Dans son message d’ouverture du dixième Synode national de l’Église protestante unie de France, la pasteure Emmanuelle Seyboldt, revenant sur les défis auxquels les Églises et la société dans son ensemble sont confrontés – sécularisation, perte de crédibilité des institutions, érosion des structures sociales par la mondialisation – a voulu transmettre un message d’espérance. Une perspective qui devrait se retrouver dans les deux documents qui seront proposés au débat, puis au vote : la Charte pour une Église de témoins, et les objectifs stratégiques.
Emmanuelle Seyboldt au synode national de l’EPUdF à Mazamet © EPUdFLes protestants en France, entend-on parfois du côté des sociologues, c’est, en gros, 3% de la population ; soit environ 2 millions de personnes. Une minorité, donc. Qui plus est, traversée de nombreuses lignes de failles, qu’elles soient sociologiques ou théologiques ; avec des préoccupations très diverses, des manières de prier, d’exprimer leur foi, de concevoir leur rapport à la société, qui diffèrent beaucoup d’une Église à une autre. Certaines sont de très petites communautés ; d’autres comptent des centaines de milliers de fidèles. À ce titre, l’Église protestante unie de France, née en 2012 de l’union de l’Église réformée de France et de l’Église évangélique luthérienne de France, est numériquement la plus importante, avec environ un millier d’Églises locales et 250.000 membres. Son synode national, qui se tient à Mazamet jusqu’au dimanche 29 mai, suscite l’intérêt au-delà du milieu de protestantisme ; La Croix lui a consacré un article et la radio RCF une émission spéciale – et elle couvre l’événement en direct. Il faut dire que les enjeux des débats sont cruciaux : « Mission de l’Église et ministères ». Un titre qui entre en forte résonance avec les préoccupations du Défap ; d’autant que le thème de la mission est aussi présent, au même moment, bien que de manière peut-être moins appuyée, au synode d’une autre Église membre du Service protestant de mission : l’Unepref.
Si le thème est aussi fondamental, c’est parce que la société évolue à marche forcée, poussant dans leurs retranchements des protestants luthéro-réformés traditionnellement discrets dans leur manière de témoigner de leur foi. Et qui peuvent se sentir bousculés par la croissance d’Églises évangéliques plus confessantes. Dans une société française fortement sécularisée, où les Églises sont globalement en perte d’influence, les sociologues notent une érosion du nombre de ceux qui se revendiquent d’une appartenance ecclésiale, avec l’apparition de phénomènes opposés. Il y a d’un côté ceux que ces mêmes sociologues baptisent les « non-vertis » : des personnes qui ont été socialisées dans une religion, et qui la quittent (par opposition au terme de convertis). Ainsi en France, seuls 26% des jeunes adultes se déclarent chrétiens. Mais parallèlement à cet affaiblissement de l’appartenance institutionnelle, à cette baisse d’influence de la régulation institutionnelle, sociale par la religion, on note une explosion de la religiosité. Conséquence paradoxale : se dire chrétien aujourd’hui, en Europe et en France, c’est une posture qui se fait plus rare… mais qui est plus assumée. Une tendance que le sociologue Jean-Paul Willaime décrit comme une forme « d’évangélicalisation sociologique du christianisme »… et partiellement détachée des institutions, puisqu’il note parallèlement « une certaine transconfessionnalisation du christianisme : des hybridations réciproques, l’émergence d’un christianisme transconfessionnel, qui cherche à dépasser le christianisme institutionnel à travers un christianisme plus personnel ».
« En tous temps et en tous lieux, les chrétiens se demandent comment vivre et témoigner de Jésus-Christ »
Le synode national de l’EPUdF à Mazamet © EPUdFComment peut se positionner une Église comme l’EPUdF ? Comme n’a pas manqué de souligner la présidente du Conseil national de l’EPUdF, Emmanuelle Seyboldt, dans son message d’ouverture à Mazamet, les défis ne sont pas forcément aussi nouveaux qu’ils le paraissent. Revenant sur un autre synode national qui s’était tenu également à Mazamet, celui de l’Église réformée de France, en 1947, elle a cité Marc Boegner qui évoquait alors le manque de pasteurs, l’inégalité de répartition des paroisses vacantes « au risque d’une rupture de solidarité entre les régions », la « désertion du culte, en particulier dans de nombreuses paroisses de campagne ». Et le même Marc Boegner soulignait : » Notre Église souffre d’une hémorragie à quoi nous n’avons pas encore trouvé le remède. Cependant, Messieurs, d’autres signes, non moins visibles, parlent d’une vie qui résiste à l’assaut des forces de mort, d’une Église qui reprend peu à peu conscience de sa vraie vocation et de la seule force qui peut l’aider à y être fidèle ».
Un peu plus loin dans son message d’ouverture, Emmanuelle Seyboldt poursuit : « En tous temps et en tous lieux, les chrétiens se demandent comment vivre et témoigner de Jésus-Christ. Chaque époque présente des défis particuliers, des dangers, des risques, des tentations aussi (…) Aujourd’hui, nous pouvons ajouter aussi quelques défis auxquels les Églises et finalement tous nos contemporains sont confrontés : la sécularisation, la perte de crédibilité des institutions et de la parole d’une manière générale, la fin de la transmission familiale, l’éclatement de la société en microbulles sous la pression de la mondialisation, la méfiance généralisée et bien sûr le défi écologique et les conversions qu’il suppose dans notre manière de vivre, et ses conséquences, notamment les déplacements de population à venir. Alors, quelle est la mission de l’Église aujourd’hui ? » Et citant la traversée du lac de Tibériade par Jésus et ses disciples relatée au chapitre 4 de l’Évangile de Marc, Emmanuelle Seyboldt conclut : « Peut-être qu’aujourd’hui la mission de l’Église est de monter franchement dans la barque et de passer sur l’autre rive, dans le chaos du monde. Et comme ministres, on chercherait des hommes et des femmes de toutes sortes, venus de partout, qui n’ont pas le mal de mer et ne craignent pas la compagnie des vociférants. Je ne sais pas comment on pourrait appeler ces nouvelles formes de ministères, des colporteurs ou des témoins ? Pourtant je sais que c’est là que le Seigneur nous attend. »
Une perspective qui devrait se retrouver dans les deux documents qui seront proposés au débat, puis au vote : la Charte pour une Église de témoins, texte d’encouragement et de partage de convictions sur la mission de l’Église et les ministères ; et les objectifs stratégiques, définissant de grands domaines de travail et d’orientations, à partir desquels des propositions concrètes feront l’objet de la suite de la consultation synodale (en 2023-2024). La Charte devrait s’organiser autour de quatre points : affirmer la vocation de témoins de celles et ceux qui vivent l’Église, dans la lignée de « l’Église de témoins » qu’appelait de ses voeux Laurent Schlumberger ; réaffirmer le besoin de la rencontre et du partage face aux risques de repli ; insister sur la joie de la vie en Christ ; rappeler que la mission est d’abord un projet de Dieu, dans lequel viennent s’inscrire les chrétiens. Quant aux objectifs stratégiques, ils devraient tourner également autour de quatre axes : l’approfondissement de la foi, la connaissance des besoins dans notre société, des projets de vie des paroisses plus centrés sur la mission, et une réflexion sur les ministères utiles pour atteindre de tels objectifs.