Dans son message lu à l’ouverture de l’AG 2019 du Défap, son président, Joël Dautheville, a prolongé l’appel à une «dynamique refondatrice» lancé l’année précédente. «J’ai lancé cet appel comme on jette une bouteille à la mer (…) Cette bouteille à la mer a été ramassée, ouverte et le message lu. Des responsables d’Église ont témoigné de leur intérêt. Cela s’est confirmé par le fait que le Conseil du Défap a décidé d’entrer dans cette dynamique, a validé un processus et a nommé un comité de pilotage.»

Évangéliser, être en mission est une grâce

Une citation : «Les Églises Évangéliques de France (énumérées à l’article 2) remercient Dieu, dont l’amour pour le monde entier se révèle en Jésus-Christ, de les appeler à témoigner de cet amour au-delà de toute frontière et de leur faire la grâce de participer à l’action de l’Esprit Saint pour le salut et le renouvellement de tout homme et de toute la création.»

Oui l’appel au témoignage est une grâce de Dieu. C’est ce qu’affirme d’emblée l’article 1 des Statuts de cette nouvelle structure qu’est désormais le Défap. L’article 2 poursuit cette vision en faisant référence au célèbre texte missionnaire de Matthieu 28/16-20. Texte analysé par Christophe Singer, professeur de théologie à Montpellier, qui voit dans la conjonction de coordination, donc, ce qui fait de l’ordre de mission une grâce accordée même aux disciples douteurs (1).

C’est avec ce rappel fort de la mission à vivre comme grâce de Dieu que je débute ce message. La mission n’est pas un devoir moral pour une Eglise et les fidèles, elle n’est pas une loi contraignante.
Elle est une grâce et une grâce doublée d’une promesse. Le crucifié-ressuscité promet d’être avec ses disciples tous les jours jusqu’à la fin du monde. Ainsi l’Eglise n’a qu’une seule raison d’être :
témoigner en paroles et en actes de la Bonne nouvelle de Jésus-Christ. C’est pourquoi le théologien suisse-allemand Emil Brunner, contemporain et compagnon théologique de Karl Barth, n’hésite pas dire : Une Eglise sans mission démissionne (2).

Églises en crise

L’an dernier, à l’assemblée générale, j’avais évoqué de multiples causes à la crise des Églises en mission et donc au Défap. Cette année, je souhaite apporter un élément plus théologique sur la nature de cette crise. Elisabeth Parmentier, professeur de théologie à Genève, l’exprime quand elle réfléchit à la nature du travail effectué par Gottfried Hammann, ancien professeur de théologie, alsacien également, à Neuchâtel. Pour elle, la thèse centrale de Gottfried Hammann est d’affirmer que l’identité des Eglises de la Réforme est marquée par une « crise » nullement accidentelle, mais constitutive de leur théologie (3).

A la fois juste et pécheur, à la fois sujet de l’interprétation de la Bible et objet de l’interpellation de la Parole etc. le chrétien membre d’une Église issue de la Réforme est constamment dans une tension critique entre plusieurs pôles. Sans entrer plus avant dans cette réflexion, on en déduit que l’identité de ces Églises est toujours en crise sur un plan théologique et ecclésiologique. L’identité d’une Église se traduit dans ce qu’elle fait et dans son témoignage. Dès lors la crise vécue par les Églises et donc par le Défap n’est pas anormale en soi. Il s’agit donc de dédramatiser ce que nous vivons aujourd’hui. Bien sûr les Eglises ont vécu dans leur histoire ancienne ou récente des périodes de crises plus aiguës que d’autres.

L’an dernier à la même époque le Défap connaissait des moments de grande souffrance tant au sein de l’équipe des permanents que des instances. Pourtant, je l’atteste ici, les membres des instances n’ont jamais démissionné de leurs responsabilités. Les permanents n’ont jamais été démotivés au point d’arrêter leur mission. Jamais ils ne se sont arrêtés de travailler. Sauf pendant les vacances ! Et encore ! Merci à toute l’équipe. Une personne entrée récemment au Défap, a découvert à quel point il y avait chez les Secrétaires exécutifs de vraies compétences, de vrais savoir-faire dans le dialogue avec des Eglises et des associations qui vivent parfois au bout du monde. Le Défap en est reconnaissant.

Évangéliser son désir d’évangélisation ; évangéliser sa compréhension de la Mission : les Églises en mission le font constamment dans et par le Défap !

L’un des moments forts de ce type de questionnement se vit lors de la mise en place de la formation des envoyés. De nombreux sujets sont abordés : vie des Églises, l’interculturel, sécurité, place des envoyés dans le dispositif, etc. Cette formation est un formidable moment où des jeunes et des moins jeunes, évangéliques issus des associations portées par le Défap, protestants issus des Églises du Défap, catholiques et agnostiques se côtoient pendant une douzaine de jours. Formidable moment où les confrontations, le dialogue et l’écoute mutuelle font bouger les positions des uns et des autres et permettent à chacun d’être envoyé avec une nouvelle manière de voir la foi chrétienne et sa mission. Un moment évangélisateur en quelque sorte.

A tout moment, les instances et l’équipe du Défap sont confrontés à cette nécessité d’évangéliser la compréhension de la mission et donc à la faire évoluer dans un monde qui change et au service d’Églises qui changent.

L’évolution constante du Défap et de la Cevaa avait été intégrée dès le départ par leurs fondateurs. Le premier président du Défap, Jean Courvoisier, l’exprime quand il conclut un article en écrivant, non sans humour : Malgré toutes les imperfections de nos nouvelles structures qui doivent rester très souples, il faut avancer pas à pas. Il faut essayer de vivre plus et de parler moins. Avec la certitude que nous répondons à un appel de Dieu, nous n’avons qu’à prendre ce que nous avons et partir comme l’a fait Abraham dans la foi au Seigneur (4).
Rappeler que la crise actuelle a, entre autres, deux spécificités :

  • L’arrivée de ce que certains appellent la post-modernité, mot parfois contesté si l’on considère que l’évolution actuelle de la société et des individus n’est qu’une phase de la modernité toujours à l’oeuvre. Une définition de cette supposée post-modernité fait réfléchir. Le philosophe Jean-François Lyotard la définit ainsi: Le post-modernisme se caractérise par une incrédulité nouvelle envers les grands récits scientifiques et philosophiques susceptibles de fournir une explication globale du monde et de la société (5). J’ajoute la montée de l’individualisme qui conduit une personne à s’ériger comme l’autorité dernière en matière d’opinion et d’engagement. Cette attitude change profondément le type de relation d’une telle personne avec l’autorité, entre autres, ecclésiale et donc missionnaire.
  • La mondialisation des échanges, la post-modernité, la montée en puissance de l’individu impactent les Églises et conduisent à transformer la manière d’être en mission. Au XIX° ont été créées des sociétés missionnaires marquées par des personnes très engagées d’une part et d’autre part engagées pendant une grande partie de leur vie, (Albert Schweitzer, Eugène Casalis, Maurice Leenhardt, François Coillard et tant d’autres plus ou moins anonymes). Elles évoluent en agences missionnaires avec des personnes qui souhaitent des envois courts. Celles-ci sont alors recrutées davantage pour leurs compétences que pour l’adhésion à une confession de foi. Cette évolution correspond à l’intégration de la mission dans les Églises d’où la création du Défap et de la Cevaa. Le missiologue Bryan Knell voit arriver une 3ème étape de transformation avec l’émergence d’institutions ayant pour objectif d’être des consultants missionnaires. Celles-ci mettent leurs compétences et leur expertise acquises depuis très longtemps au service des communautés locales. D’où ma question à notre Assemblée générale : le Défap est-il déjà un consultant missionnaire ou doit-il aller de l’avant dans cette orientation ?

L’appel au Défap à entrer dans une dynamique refondatrice participe de cette crise que constitue le fait de se questionner sur le type de mission à entreprendre.

L’an dernier, j’ai lancé au Défap et aux Églises membres un appel à entrer dans une dynamique refondatrice du Défap. J’ai lancé cet appel comme on jette une bouteille à la mer ne sachant pas si cet appel rencontrerait un écho ou non. Il était fondé sur quelques constats toujours actuels et qui ne sont pas des jugements de valeur. Je pense, entre autres, au fait que les églises locales et les paroisses connaissent de moins en moins le Défap et ne manifestent guère l’envie de le connaître. Les Églises membres connaissent des difficultés financières ce qui se répercutent sur les finances du Défap. D’où une question : faut-il augmenter la part des fonds extérieurs, laquelle est bien réduite aujourd’hui ? Les Églises manquent d’étudiants en théologie issus de leur rang et de pasteurs. Tout cela rend plus aiguë leur questionnement au sujet de la vocation du Défap. Ce questionnement impacte naturellement les missions de l’équipe du Défap. Joël, où va le Défap ? Où doit-il aller ? m’a-t-on demandé ? Le comité de pilotage souhaite que l’AG soit un lieu où on puisse dire que le Défap porte des fruits. Non pas dans une sorte survalorisation de l’institution, mais dans l’esprit de montrer que les ressources financières et humaines des Églises donnent des fruits. Ce sera le but de l’échange prévu cet après-midi.

Cette bouteille à la mer a été ramassée, ouverte et le message lu. Des responsables d’Église ont témoigné de leur intérêt. Cela s’est confirmé par le fait que le Conseil du Défap a décidé d’entrer dans cette dynamique, a validé un processus et a nommé un comité de pilotage. Il a lui-même fait deux séances de travail au conseil de Janvier animées par Bernard Dugas que nous remercions. Ces séances ont permis d’exprimer des souhaits, des avancées, des questions. Le Conseil du Défap a également validé le fait que l’AG d’aujourd’hui participe à l’enrichissement du débat grâce, notamment, aux intervenants de cet après-midi et aux échanges qui suivront. Le Conseil a validé aussi le principe d’organiser le 11 octobre prochain un colloque ou journée de réflexion et d’éditer un cahier préparatoire. Cette rencontre s’adresse, entre autres, aux responsables nationaux et régionaux des Églises membres. Seront invités des témoins et un sociologue pour poursuivre la démarche autour de la thématique : Quel moyens ou quel outil pour quelle mission-Parole aux Églises. Une réflexion sur la tenue d’un forum du Défap avec un public plus large est envisagée en 2020. Le Défap se met ainsi en mode écoute des uns et des autres.

Le but final est de permettre au Conseil de tirer de ces échanges quelques grandes orientations qui, grâce aux nombreuses expériences accumulées depuis longtemps seront l’apport du Défap à la réflexion sur la dynamique refondatrice. Emmanuelle Seyboldt, présidente de l’EPUdF a attiré notre attention sur le danger qu’il y a pour le Défap à s’auto refonder. En effet ce sont les Eglises, à travers les Assemblées Générales, qui peuvent proposer des modifications de structure. Ceci nécessite une bonne articulation entre les Eglises-institutions et l’institution du Défap laquelle est composée des délégués des Églises.

En forme de conclusion : tout le monde a besoin de tout le monde. Toutes les Églises ont besoin de toutes les Églises. Il s’agit de sortir de l’entre soi ecclésial, culturel, national.

Devant les défis missionnaires qui émergent, il est illusoire de penser qu’une Église particulière, qu’elle soit du Sud, de l’Est, de l’Ouest ou du Nord peut le relever seule d’autant qu’il y a des Églises dites du Sud au nord, à l’Est et à l’Ouest et réciproquement. Toutes les Églises ont besoin de toutes les Eglises car le christianisme est devenu une religion mondialisée. Les Églises se voient et vivent entre elles dans un lien d’interdépendance plus marqué, l’interculturel et l’interreligieux posent des questions nouvelles. Avec ses compétences, le Défap a une carte importante à jouer dans ce contexte au service des Églises membres.

Le chantier est immense. Ne l’oublions pas, les Églises en mission reçoivent toujours la grâce d’être appelées au témoignage ici comme au loin. Elles reçoivent la grâce d’être liées les unes aux autres dans une écoute partagée de l’évangile. Elles entendent la promesse du Christ d’être toujours auprès d’elles.

Bonne AG à toutes et à tous

 

1 Ibid p.231
2 « L’impératif missionnaire » par Frédéric Rognon Revue Lire et Dire, n°78, 2008
3 « Histoire et herméneutique Mélanges offert à Gottfried Hamman » Labor et Fides 2002 p.289
4 Journal des missions évangéliques, n°9-10, oct-nov-déc 1971
5 Cité par Kai Funkerschmidt, pasteur de l’Eglise évangélique de Rhénanie et membre d’une structure de coopération
missionnaire entre mission intérieure et mission extérieure lors d’un forum du Défap « Comportements individuels et
changements dans la mission » cahier post-forum Défap 2004

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