Chers frères et sœurs en Christ,
Comme nous le savons tous :

La place des religions dans la société est en crise

Image de l’Assemblée Générale du Défap © Défap

Voici trois articles de presse que je partage avec vous.

  1.  Le 12 janvier 2018, le journal Le Monde fait paraître un article intitulé Le Parlement égyptien veut légiférer contre l’athéisme. Pourtant le Président Al-Sissi a affirmé à notre délégation en visite au Caire en novembre dernier qu’il était attaché à la liberté de croire et à celle de ne pas croire !
  2.  Dans le numéro du 8 février 2018 de l’hebdomadaire protestant Réforme Alain Joubert fait paraître un article dans le courrier des lecteurs. Il raconte, alors qu’il est dans le transilien il ouvre son livre intitulé Jésus de Nazareth avec en couverture une magnifique descente de la croix. Un voisin «d’apparence arabe», écrit-il, change alors de place, un autre voisin de type européen, la soixantaine, l’apostrophe: «On en a marre! Vous ne voyez pas que vous gênez les autres avec votre livre ! Si vous êtes croyant, c’est votre problème. Vous pouvez lire ça chez vous ; mais ici, on est dans un pays laïc. C’est à cause des croyants qu’il y a les guerres et les massacres. » Alain Joubert ajoute : une dame très BCBG du même âge approuve ses propos !
  3.  Toujours dans Réforme, le numéro du 1er mars 2018 fait état du rapport du préfet Gilles Clavreul sur Laïcité, valeurs de la République et exigence minimales de la vie en société demandé par le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb. Valentine Zuber, auteure de l’article, est historienne et spécialiste de l’histoire de la liberté religieuse en Europe occidentale et de la laïcité en France. Elle attire l’attention du lecteur sur le risque induit par ce rapport d’une dérive de la laïcité vers une religion politique. D’où sa conclusion: Il faut donc décidément dénoncer ces tentatives abusives de neutralisation autoritaire de la société et œuvrer à démasquer cette « laïcité » dogmatique qui prend des allures de religion politique.
Message du président du Défap © Défap

Voici trois exemples parmi beaucoup d’autres qui témoignent clairement que la place des religions est aujourd’hui en crise.

Il n’y a pas que le place des religions, et donc de la laïcité qui est remise en cause. Beaucoup de valeurs, de traditions, sont bousculées par la préoccupation écologique, l’arrivée de l’intelligence artificielle qui bouleverse déjà la nature du travail et supprime des métiers avant éventuellement d’en créer d’autres mais avec quelle rémunération. A cela s’ajoute la montée du transhumanisme, l’épuisement du modèle de la société de consommation, le rôle du médecin amené aussi à évoluer fortement, etc. La vie dans toutes ses dimensions est impactée par ces profonds changements techniques, sociétaux, éthiques et religieux. On mesure que ces changements sont à l’œuvre mais on ne mesure pas ce qui va apparaître. On sait ce qu’on perd, mais on ne sait pas ce qu’on gagne. D’où un sentiment paradoxal fait d’inquiétude et d’angoisse pour le lendemain mais aussi fait d’espoir avec l’émergence de nouvelles opportunités.

Les Églises aujourd’hui sont en crise sur la façon d’évangéliser, la reconnaissance ou non par la société de son message. À son niveau le Défap est en crise tout comme les Églises qui le mandatent.

La pertinence de l’outil Défap est en crise

Pour aller plus loin :

Écoutons les questions qui ne cessent d’être posées au Défap : a-t-on encore besoin d’avoir des envoyés alors que l’évangélisation est à faire dans notre pays et que l’argent des Églises diminue ? Faut-il encore continuer cette mission qui n’est pas sortie du colonialisme ? Alors que le flux des immigrés pose problème, le Défap parle encore des étrangers ! Faut-il encore travailler avec certaines Églises du Sud qui veulent venir évangéliser en France sans liens avec les Églises locales ? Des permanents du Défap s’interrogent aussi : où va le Défap ? Dans quelle direction devons-nous aller ? Comment mieux travailler avec la Cevaa ? Toutes ces questions et toutes celles que chacun porte en lui-même sont légitimes. Dans cette crise, et peut-être grâce à elle, l’action courageuse et créative du Défap depuis tant d’années suscite chez les personnes qui vivent une expérience interculturelle des évolutions personnelles, qui font sens pour elles. Leurs témoignages sont comme des pépites qui éclairent la vie des Églises et stimulent la dynamique missionnaires des Églises locales et des paroisses.

Au cœur de cette crise, des pépites missionnaires

Elles éclairent d’une manière singulière l’action du Défap. Elles stimulent les Églises locales et les paroisses dans leur mission.

1. À titre d’exemple, voici quelques courts extraits du Journal des envoyés de décembre 2017, qu’ils soient Volontaires du Service Civique International VSCI réservés aux 18-25 ans ou Volontaires de la Solidarité Internationale VSI.

a. Lygia SAUVE Assistante d’éducation, volontaire du service civique dans un complexe scolaire de l’EPMB à Cotonou / BENIN écrit :
…J’intègre, peu à peu, la culture du pays, mon esprit s’ouvre à la différence et je suis curieuse d’apprendre encore de « l’autre ». J’ai le sentiment de ne plus réfléchir comme je pouvais le faire jusque-là, d’une façon presque étriquée ; je peux prendre davantage de recul face à certaines situations qui se présentent. …

b. Pauline CICORELLI Pharmacienne, volontaire du service civique au département synodal de santé de l’EEC à Brazzaville / CONGO :
C’est pendant ces premières semaines que j’ai eu le plaisir de découvrir la religion protestante côté congolais. Mes premiers cultes sont marqués par leurs multiples chorales et leurs magnifiques chants, serrer la main de chacun de ses voisins afin de simplement se dire bonjour et enfin la promesse d’abandonner les péchés pour suivre Jésus par les nouveaux convertis…
… Les différences culturelles, l’éloignement familial et amical et l’adaptation ne sont pas tous les jours faciles. Cependant chaque jour, sans exception, je me répète : « ça vaut le coup !« . Ce partage et ces échanges que je vis quotidiennement resteront gravés en moi et je sais déjà qu’il va être difficile de partir. …

Le président du Défap présentant les délégués de l’EELRCA © Défap

c. Un professeur de théologie de l’IPT à la faculté de théologie de Montpellier en Ancien Testament, Dany Nocquet, a été envoyé par le Défap en novembre 2017 auprès de la faculté de théologie protestante de l’Église évangélique du Congo à Mansimou dans la banlieue de Brazzaville. Il a écrit un courrier au Défap en forme de bilan. Voici sa conclusion :
Ce fut une joie d’avoir vécu ce temps et d’avoir ressenti cette « douleur non dite », mais perceptible, de frères et sœurs de notre Église. Dans ce cadre, ce fut un vrai bonheur d’avoir pu partager une autre façon de lire le vieux Testament. Il me semble avoir ouvert une fenêtre et permis de lire « autrement » les textes bibliques en mettant à distance les présupposés théologiques et moraux qui si souvent enferment les Écritures. Pour combien de temps la fenêtre demeurera-t-elle ouverte ? Quoiqu’il en soit, de tels échanges sont nécessaires pour mieux se comprendre mutuellement, et participent d’une solidarité à promouvoir toujours plus pour construire, malgré tout, une part de l’Église invisible. Le soutien et l’investissement du Défap dans de telles rencontres sont plus que jamais indispensables pour le protestantisme européen.

2. Pour continuer l’énumération de quelques exemples de ce qui se vit grâce au Défap, je vous propose de façon aléatoire l’intitulé de quelques thèses récentes rédigées par les boursiers que le Défap a la joie d’accueillir au nom des Églises. Si le Défap envoie des personnes, il accueille également entre autres des boursiers.
a. FAIRE ÉGLISE ENSEMBLE : DÉFI OU ILLUSION ? Le cas des immigrés en France par JEAN PATRICK NKOLO FANGA  in Cahiers de l’Institut Lémanique de Théologie Pratique.
b. Église et conditionnements culturels : sortir des rétrécissements éthiques par André Zabulon Djarra du Bénin
c. Trinité : entre trithéisme et monothéisme par Kpédonou Jérémie Gandonou du Bénin.
d. Apport de l’Église à la consolidation de la démocratie au Bénin par Elie Tchepko
e. Les défis catéchétiques de l’Église en zone de conflits par Nelly Mfoutou du Congo

3. On ne peut oublier non plus l’action de la Bibliothèque et des Archives du Défap qui contribuent à l’action missionnaire en ouvrant sa fabuleuse mémoire aux chercheurs et en réunissant un grand nombre de publications et de livres sur la mission. Grâce à sa notoriété, même le musée du Quai Branly a fait appel aux Archives du Défap pour illustrer son exposition « L’Afrique des routes » en automne dernier.

On pourrait ajouter à tout cela les témoignages innombrables de celles et ceux qui ont participé aux échanges d’Église, aux formations communes de pasteurs, à la réalisation des projets, etc. Malgré l’obtention toujours plus difficile des visas, l’action du Défap offre la possibilité d’une transformation des regards et des préjugés des uns sur les autres. A l’heure des fake news et de l’amplification des préjugés par les réseaux sociaux et l’information continue, vivre la mission partagée comme cela se fait au Défap est un bon antidote ! Ces différentes actions sous forme d’échange de personnes et de projets partagés font découvrir les réalités des autres Églises, suscitent en retour un regard renouvelé sur sa propre Église, permettent de comprendre que les Églises ont des atouts et des faiblesses et qu’il est nécessaire, utile et pertinent de mettre ensemble les expériences pour vivre la mission de Dieu. En ce sens le Défap participe à stimuler l’action missionnaire des paroisses et des églises locales.

L’institution Défap est en crise

  1.  La récente décision de l’Uepal de verser sa contribution directement à la Cevaa met en crise le modèle du Défap tel qu’il a été pensé à sa création en 1971. Le Département évangélique français d’Action Apostolique composé des cinq Églises luthériennes et réformées était alors chargé communautairement de soutenir financièrement la Cevaa et de relayer son action. En quoi le modèle 1971 ne convient plus ? Par quoi le remplacer ? Que faut-il garder ?
  2.  Le Secrétariat du Défap connaît également des difficultés. La démission de son Secrétaire général le 13 janvier dernier en témoigne. Était-ce un conflit comme semble le dire Bertrand Vergniol lorsqu’il précise, je cite : «le pasteur Bertrand Vergniol a présenté sa démission au Conseil du Défap réuni le 13 janvier 2018 suite à une incompatibilité durable entre l’équipe en place et l’exercice du ministère de Secrétaire général tel qu’il le concevait» ? Ou bien est-ce une crise dont il faudrait préciser les contours ? Le Conseil du Défap du 13 janvier 2018 a estimé que l’équipe ad hoc qu’il a nommée pour faire fonction de Secrétaire général doit travailler sur les articulations au sein du Défap. Cette crise, ou ce conflit, a généré beaucoup de souffrance aussi bien chez Bertrand Vergniol que chez les permanents du Défap mais aussi chez les membres du Bureau, du Conseil et autres commissions à des degrés divers. Dans cette crise majeure, je rends hommage à tous les acteurs et à toutes les instances qui ont été à la hauteur de la situation et ont cherché à préserver la dynamique missionnaire. L’équipe des permanents est au travail, Bertrand Vergniol assure les missions données par l’équipe ad hoc, les commissions et les instances fonctionnent. La situation est encore fragile mais la mission du Défap se poursuit. Merci à tous.
  3.  Sur le plan financier, le Défap doit faire face à la perte du programme ABS et à une diminution sensible de la contribution de l’EPUdF. D’où la nécessité d’un redéploiement en interne des activités mais aussi d’être plus performant pour aller à la recherche de financements extérieurs de projets lesquels doivent s’inscrire dans l’esprit du Défap.

Ce n’est pas parce que le Défap est entraîné dans une crise qui le dépasse qu’il faut le supprimer ! Que serait une Église sans la dimension d’Église universelle ? Que deviendrait une Église qui marginalise la dimension internationale ? Ne risque-t-elle pas de se replier sur elle-même et ses problèmes et par voie de conséquence d’affaiblir le message du Christ ?

Quel est le sens de cette crise multiforme ?

Toute crise suscite, pour un temps donné, une période aigüe et douloureuse. Cela est vrai pour les Églises du Nord comme du Sud, de l’Est comme de l’Ouest. Car la mondialisation et les nouvelles techniques remettent en question les modes de vie ecclésiale, elles interrogent le sens profond de la mission de Dieu. Mais toute crise est une opportunité. Pour les Églises : celle de témoigner de l’Evangile à nouveaux frais, celle de permettre de découvrir ou redécouvrir pour soi et pour d’autres la puissance de la parole de Dieu en Jésus-Christ pour aujourd’hui. Je propose à votre méditation trois citations qui malgré leur radicalité donnent du souffle à un témoignage renouvelé des chrétiens.

Si on en croit Théodore Monod, on n’a pas encore essayé le christianisme.

Si on entend Jacques Ellul, l’alliance du trône et de l’autel, le constantinisme, au lieu de christianiser l’empire a paganisé l’Église. « Comment se fait-il que le développement de la société chrétienne et de l’Église ait donné naissance à une civilisation, à une culture en tout inverse à ce que nous lisons dans la Bible… Si bien que, d’une part, on a accusé le christianisme de tout un ensemble de fautes, de crimes, de mensonges qui ne sont en rien contenus dans le texte et l’inspiration d’origine et, d’autre part, on a modelé progressivement, réinterprété la Révélation sur la pratique qu’en avaient la chrétienté et l’Église.»

Si on lit l’interview par Réforme de Jean-François Colosimo, essayiste et théologien orthodoxe sur son livre Aveuglements il est plein de confiance. «Vous n’êtes donc pas désespéré ?» lui demande Réforme. «Pas du tout. La seule urgence est de revenir au travail théologique, non pas de manière scolaire, mais en vue de l’évangélisation. Partout ailleurs dans le monde, le christianisme ne fait que commencer. S’il venait à finir en Europe, ce ne serait jamais que la preuve de notre manque de foi.»

Ces réflexions concernent toutes les Églises, qu’elles soient anciennes ou récentes, qu’elles soient dynamiques ou essoufflées, du Sud, de l’Est, de l’Ouest comme du Nord. Ce n’est parce que les temples sont remplis que les Églises n’ont pas de faiblesses. Ce n’est par parce qu’il y a une participation clairsemée au culte que les Églises n’ont pas d’atout. Ces réflexions nous aident à penser que le témoignage évangélique, que la mission chrétienne en paroles et en actes est profondément attendu. Dans un contexte de repli identitaire il fait bon rappeler comme le dit cette confession de foi lue par Didier Fiévet lors de l’émission protestante sur France Culture du 11 Mars 2018: Nul besoin de cultiver une identité : elle nous est gratuitement donnée. Sans condition, sans mérite. C’est là notre liberté ! Dans un contexte d’une recherche toujours plus grande de liberté, annoncer que Jésus, le Christ est une autorité qui libère fait sens. Dans une société qui a de plus en plus peur de l’autre, de l’étranger, l’appel du Christ reprenant un des fondamentaux de l’Ancien Testament à aimer son prochain est un appel à la vie et les Béatitudes un formidable don : celui du sens de sa vie.

Le Défap, comme la Cevaa sur un autre plan, est à la croisée des cultures, des questions et des espérances. Les Églises doivent véritablement être ensemble avec toute leur diversité pour dynamiser la mission là où elles vivent.

Appel au Défap et aux Églises membres à se lancer dans une dynamique refondatrice du Défap pour 2021

Dans ce contexte de crise multiforme qui est le nôtre, et dans cette attente de nos contemporains d’une parole qui fasse sens pour eux, une parole de confiance, je lance un appel au Défap. J’appelle le Défap à entrer dans une dynamique refondatrice sur sa ou ses missions et son institution. J’appelle la Cevaa à bien vouloir rejoindre une telle dynamique. J’appelle les Églises membres du Défap à oser cette refondation grâce à tout le travail d’évaluation qu’elles ont fait précédemment dans les années 1992-1993. J’appelle les Églises membres de la Cevaa à faire chemin ensemble sur cette thématique. Non pas pour la recherche d’un seul bien-être ecclésial, mais pour un mieux missionnaire. Non pas pour satisfaire à la mode du zapping permanent. Mais pour rendre plus crédible et plus pertinent le fait que la mission à l’internationale sert la mission intérieure et réciproquement.

Bertrand Vergniol pensait fêter le bicentenaire de la SMEP en 2022. Or la SMEP a eu deux héritiers : la Cevaa, aujourd’hui Communauté des Églises en Mission et le Défap, aujourd’hui Service Protestant de Mission. Je ne sais pas s’il est opportun ou non de fêter en tant que tel le bicentenaire de la Société des Missions Évangéliques de Paris, la SMEP, laquelle n’existe plus. Mais je sais que fêter le jubilé du Défap et de la Cevaa est une manière de rappeler d’où on vient et de faire mémoire de la SMEP. Je sais aussi que prendre le temps de cette fête c’est aussi prendre le temps de chercher à mieux se projeter dans l’avenir pour les décennies qui viennent dans un monde qui évolue rapidement, sans cesse et en profondeur.

Comment le Défap peut-il aider, stimuler, les Églises locales et paroisses dans leur ministère d’évangélisation ? Comment peut-il mettre ses compétences à l’interculturel, son expertise internationale au service des Églises membres pour les aider dans leur mission ?

Pour mieux répondre à ces questions, j’appelle le Défap à entrer dans une réflexion refondatrice pendant ces trois prochaines années pour vivre le cinquantenaire du Défap et de la Cevaa, si elle le souhaite, en 2021 avec une vision et une action renouvelées au service du seul Seigneur Jésus, le Christ !

Joël Dautheville
Mars 2018

 

 

Retrouvez ci-dessous quelques images de l’AG du Défap (à retrouver sur la page Facebook du Défap):

 

 

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