Pour ce mois de janvier 2023, Marion Rouillard a reçu Marilyn, une volontaire du programme EAPPI, dans l’émission « Courrier de mission – le Défap ». Après trois mois de présence au Proche-Orient, elle témoigne de sa mission : « accompagner les populations les plus fragiles, les plus exposées à la colonisation, à l’occupation militaire et aux violations des droits de l’homme ». Les volontaires du programme EAPPI, mis en place en 2022 par le Conseil œcuménique des Églises, viennent d’une vingtaine de pays ; en France, leur suivi administratif est assuré par le Défap. Décrire à leur retour ce qu’ils ont vécu, à travers des lettres ou des cycles de conférences, fait partie de leur engagement.
Vue du camp de bédouins de Khan Al Ahmar © EAPPI
L’arbitraire et les humiliations auxquels sont soumis les Palestiniens qui doivent quotidiennement franchir des « checkpoints » tenus par l’armée israélienne afin d’aller travailler ; le récit d’une audience devant un tribunal militaire… Marilyn a passé trois mois en Palestine dans le cadre du programme EAPPI et, en ce mois de janvier 2023, elle témoigne au micro de Marion Rouillard. Ce programme vise à accompagner les Palestiniens et les Israéliens dans leurs actions non violentes et leurs efforts concertés en vue de mettre fin à l’occupation. Les participants suivent et rapportent les violations des droits de la personne et du droit international humanitaire, soutiennent les actes de résistance non violente aux côtés des Palestiniens chrétiens et musulmans locaux et des militants pacifistes israéliens, offrent une protection par leur présence non violente, mènent une action de promotion au niveau politique et, de manière générale, manifestent leur solidarité aux Églises et à tous ceux qui luttent contre l’occupation. EAPPI cherche aussi à fournir des informations fiables et à jour sur la situation d’occupation.
L’envoi d’observateurs œcuméniques dans le cadre d’EAPPI a repris en 2022 après deux ans d’arrêt notamment pour cause de pandémie de Covid-19. Ce programme du COE (Conseil œcuménique des Églises), dont le nom complet est Ecumenical accompaniement program in Palestine and Israel, est soutenu par le protestantisme français depuis ses origines en 2002. En France, le suivi administratif des volontaires qui y prennent part est assuré par le Défap.
EAPPI : le témoignage de Marilyn au micro de Marion RouillardCourrier de Mission – le DéfapÉmission du 25 janvier 2023 sur Fréquence Protestante |
Comme le décrit Marilyn, les participants de ce programme, qui viennent d’une vingtaine de pays et sont présents trois mois sur place, « accompagnent les populations les plus fragiles exposées à la colonisation, à l’occupation militaire et aux violations des droits de l’homme ». Les « checkpoints » sont un des lieux emblématiques où sont déployés les observateurs d’EAPPI. Des milliers de Palestiniens, habitant en Cisjordanie et rejoignant leur lieu de travail en territoire israélien, doivent y patienter des heures chaque jour, dans des conditions pénibles ; et leur passage peut être à tout moment refusé sans raison valable. La présence de témoins étrangers ne change guère les relations entre Palestiniens et soldats israéliens : « Nous sommes tolérés », admet Marilyn. « Je ne crois pas que notre présence soit tellement dissuasive » face aux violations de droits. Toutefois, « elle aide les Palestiniens. Ils savent qu’ils peuvent avoir auprès de nous une écoute bienveillante ». Surtout, les observateurs œcuméniques témoignent dans leurs rapports de ce qu’ils peuvent voir au quotidien.
« Nous avons deux missions, souligne Marilyn : observer les événements vécus et envoyer des rapports quotidiens aux grandes ONG de défense des droits de l’homme, à l’Onu, à l’équipe locale à Jérusalem qui est sur place et nous accompagne. » Les passerelles avec les ONG locales sont importantes : « nous sommes tenus de rencontrer régulièrement des associations palestiniennes et israéliennes de défense des droits de l’homme », souligne Marilyn. Pas question en revanche d’intervenir directement, d’entrer en dialogue avec les soldats israéliens pour comprendre les raisons qui les poussent à refouler telle personne au checkpoint… Et c’est l’un des aspects les plus difficiles de ce type de mission. Marilyn évoque le cas d’une jeune femme dont le passage a été refoulé à Bethléem au « checkpoint 300 » : « elle avait toutes les autorisations, une pièce d’identité, des documents médicaux qui précisaient les raisons de sa visite… Elle a été refoulée alors qu’elle devait aller voir son enfant hospitalisé en cancérologie. Elle nous a dit qu’elle réessaierait plus tard, au bout de quelques heures, quand les soldats qui l’avaient refoulée ne seraient plus là… »
L’une des missions des accompagnateurs œcuméniques : assurer une présence et témoigner au niveau des checkpoints tenus par l’armée israélienne. Ici, celui de Kalendia © EAPPI
Au cours de cette même mission, Marilyn, en compagnie d’autres observateurs œcuméniques, a eu aussi « le privilège d’assister à une audience du tribunal militaire israélien » qui juge les Palestiniens soupçonnés de violences. Une présence très encadrée : « pas le droit de prendre de photos, les passeports devaient être laissés à l’entrée ; on avait le droit de prendre des notes ». Pas moins de « douze jeunes Palestiniens » devaient y être jugés ; ils avaient « entre 16 et 22 ans ». Au cours de cette audience, « les avocats avaient trois minutes pour défendre chaque jeune. Parfois, ils n’avaient même pas eu accès au dossier de leur client ».
Ce dont témoigne aussi Marilyn, habituée de la région, où elle vient régulièrement depuis 2003, c’est du durcissement des relations entre Israéliens et Palestiniens : « Les choses se sont vraiment dégradées. La colonisation a fait beaucoup de dégâts, l’occupation militaire aussi ». Au point de se demander à quoi pourrait ressembler la paix aujourd’hui… « Mais si on n’a pas cet espoir, autant rester au lit ! » Après cette expérience, Marilyn envisage d’ailleurs de repartir dans le cadre de ce programme : « C’est mon vœu le plus cher. C’est un programme magnifique qui mérite d’être mieux connu. J’encourage toutes les personnes éprises de justice et de paix d’aller à la rencontre », non seulement des Palestiniens, mais aussi « des associations israéliennes, au sein desquelles il y a des gens magnifiques qui œuvrent aussi ». Et de souligner, en conclusion, que « l’office de Jérusalem attend des Français. »
Depuis le lancement du programme EAPPI, les Églises membres du COE ont recruté plus de 2000 accompagnateurs et accompagnatrices bénévoles, pour des missions de trois mois dans les six lieux d’engagement en Cisjordanie. Le programme assure ainsi la présence continue de 25 à 30 accompagnateurs et accompagnatrices œcuméniques, soutenus par l’équipe de Jérusalem. Un Groupe de référence local représentant les communautés et Églises qui ont demandé à bénéficier du programme contribue à l’orientation de ce dernier, avec l’équipe du COE à Genève et les coordinatrices et coordinateurs nationaux dans les pays d’envoi. Dans le cadre de ce programme, EAPPI-France s’est fixé comme objectif d’envoyer au moins un ou deux volontaires par an.