Valérie Nicolet, Doyenne de la Faculté de Paris de l’Institut protestant de Théologie (IPT), a effectué courant janvier 2023 une mission courte au Cameroun avec le Défap. Professeure de Nouveau Testament, elle avait été invitée pour dispenser des cours à Yaoundé, à l’UPAC, ainsi qu’à la faculté de théologie de Foulassi. Elle raconte.

Valérie Nicolet lors d’un cours dispensé à l’UPAC © Défap

Enseigner au Cameroun était une expérience nouvelle pour vous : qu’en retirez-vous ?

Valérie Nicolet : Je suis arrivée un lundi soir à Yaoundé, en pleine nuit, et j’ai découvert le bruit, un mouvement permanent dans les rues, un ballet de motos… et dès le lendemain matin, je donnais mon premier cours à l’UPAC (l’Université protestante d’Afrique centrale). J’ai tout d’abord eu l’impression qu’il était assez fou de me retrouver ainsi dans une université qui n’avait a priori pas grand-chose de commun avec celles que je connaissais… Et pourtant, je me suis vite aperçue que, dès lors qu’on travaille ensemble sur les mêmes sujets, une compréhension mutuelle s’établit assez rapidement. Malgré des parcours très différents, on se retrouve autour de questionnements théologiques très proches. Les étudiants de l’UPAC peuvent avoir des problématiques très similaires à ceux de l’IPT. On peut trouver, à Yaoundé comme à Paris, des parcours marqués par des traditions chrétiennes dans lesquelles le rapport au texte biblique est assez immédiat : si je suis dans un tel contexte, je peux avoir facilement le sentiment que le texte biblique me parle directement, de manière personnelle. Le passage par les études théologiques fait prendre conscience d’une nécessaire distance historique et critique : on doit faire alors un pas de côté par rapport au texte biblique. Dès lors, la question qui se pose est : comment se rapproprier le texte biblique après avoir fait ce pas de côté ? Comment faire en sorte qu’il me parle encore, en dépit de cette distance ?

Valérie Nicolet sur le campus de l’UPAC, aux côtés du doyen Charles Elom NNanga © Défap

Votre expérience la plus déroutante au cours de ce séjour ?

Ce n’était pas à Yaoundé, où j’ai donné des cours pendant trois jours, mais à trois heures plus au sud : à Foulassi. J’ai passé deux jours dans cette ville, à donner des cours sur les liens entre exégèse et herméneutique à l’institut de théologie de l’Église presbytérienne camerounaise (EPC). Je me suis retrouvée dans un lieu où seuls des hommes étudient la théologie. J’avais face à moi un auditoire de 50 à 70 hommes, tous habillés en noir, selon le code vestimentaire des pasteurs ; j’étais la seule femme et c’était moi qui devais enseigner… Le lendemain, autre expérience : je devais donner un cours aux épouses des étudiants, dans le cadre de la section féminine du séminaire de Foulassi. Le thème en était la place de la femme dans le Nouveau Testament. Et leurs époux étaient aussi présents. Un contexte particulier, et un défi intéressant pour moi : connaissant les décisions prises par leur Église, et sachant la position des pasteurs et des étudiants en théologie sur la place de la femme, comment leur faire entendre certaines choses allant à l’encontre de leurs convictions personnelles ? Nous étions là dans une situation de communication interculturelle où chacun partait de positions très éloignées. Et la question était : où peut-on se rencontrer ? J’avais l’avantage d’arriver dans cet Institut de Théologie en tant qu’enseignante, c’est-à-dire en position d’autorité. Comme je laisse beaucoup d’espace pour des discussions dans le cadre de mes cours – ce à quoi ces étudiants n’étaient pas habitués – j’ai assez vite eu des questions. Ce sont les étudiants qui les ont posées – pas leurs épouses – mais avec un respect visible pour mon statut de professeur. Je me suis rendu compte qu’ils étaient prêts à entendre beaucoup de choses. Jusqu’à me demander ce qu’il était possible de faire dans le cadre de leur Église, où le rôle de la femme est peu reconnu… Je leur ai dit alors que si l’on peut, historiquement, reconstruire à quoi correspondait la place des femmes dans l’Église du Ier siècle, il leur revenait, à eux, de voir ce qui est possible au sein de leur Église aujourd’hui (1).

Un sujet particulier de reconnaissance ?

Je l’ai beaucoup répété au cours de mon séjour : je suis particulièrement reconnaissante pour l’accueil que j’ai reçu. J’avais l’impression que je n’en méritais pas tant. Tous mes interlocuteurs étaient prêts à changer leurs habitudes, leurs priorités pour que mon séjour se passe au mieux. Et il est vrai que, lorsqu’on arrive à Yaoundé, venant de France, on ne peut littéralement pas faire un pas tout seul : on n’est absolument pas autonome. C’est là une expérience qui incite à l’humilité. Et au-delà de la gratitude pour l’accueil que l’on m’a fait, ça me questionne sur nos propres manières d’accueillir.

Valérie Nicolet avec les étudiants en théologie de Foulassi © Défap

(1) Valérie Nicolet revendique une approche féministe dans son travail de théologienne. Voir cette conférence sur « Féminismes et Bible » organisée par les paroisses parisiennes de Montparnasse-Plaisance et de Saint-Jean.

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