Voici la deuxième lettre de nouvelles de Marilyn, membre des équipes d’accompagnateurs œcuméniques envoyés en Israël-Palestine dans le cadre du programme EAPPI, dont le Défap assure le suivi administratif. Elle est présente en Cisjordanie pour assurer une présence protectrice et témoigner depuis fin août. Elle évoque la tension à Jérusalem depuis la mort d’une jeune femme soldat : l’armée israélienne recherche activement le tireur et a bouclé entièrement le camp de Shuafat. Mais elle décrit aussi sous quelle contrainte se déroule la récolte des olives à Silwan… ou encore, cette scène significative : « la marche des colons ».

Récolte des olives sous haute surveillance à Silwan © Marilyn, EAPPI

« Si vous êtes neutre dans les situations d’injustice, vous avez choisi le côté de l’oppresseur »
(archevêque sud-africain Desmond Tutu).

Aujourd’hui, mercredi 12 octobre, les rues de la vieille ville de Jérusalem sont quasi désertes. La foule qui s’y presse habituellement semble avoir disparu et les boutiques sont fermées. Seule la présence policière est très marquée et les soldats sont nombreux. C’est le troisième jour de Souccot, la troisième fête juive depuis début septembre après Rosh Hashana et Yom Kippour

À l’heure où j’écris ces lignes, des tirs retentissent dans différents quartiers de Jérusalem et spécifiquement sur le mont des Oliviers, des sirènes de polices retentissent et un hélicoptère patrouille la ville. La tension est vive ces derniers jours depuis qu’une jeune femme soldat a été abattue au checkpoint près du camp de réfugiés de Shuafat. Depuis, le camp est fermé et nul ne sort ni n’entre. Les habitants sont bloqués. Combien de temps cette punition collective va durer ? Nous ne le savons pas. Le tireur est activement recherché.

Aujourd’hui une grève générale a été déclenchée en solidarité avec le camp de Shuafat. Les écoles sont fermées et les bus ne circulent pas.

Nous assurons une présence protectrice ce matin. Les Israéliens se rendent sur l’esplanade des Mosquées alors que celle-ci est inaccessible aux musulmans pour laisser l’accès libre aux religieux juifs. La mission continue : entre nos priorités à ne pas abandonner, nos rencontres avec des ONG et nos visites à d’autres équipes EAPPI, les journées sont bien remplies ; et souvent l’heure du dîner arrive à point nommé après le temps pris par chacun-e à rapporter les événements du jour.

De jeunes musulmanes accrochent un texte expliquant qu’elles restent à cette place en attendant l’ouverture de l’esplanade des Mosquées © Marilyn, EAPPI

Depuis les différents moments des fêtes du calendrier juif, les tensions se sont accrues. Et à nos priorités quotidiennes ou hebdomadaires se joignent parfois des urgences comme par exemple la cueillette des olives à Silwan.

Il est très difficile de partager une expérience vécue surtout quand celle-ci est émaillée de violences policières ou militaires. Nous hésitons toujours à décrire les événements survenus et nous oscillons entre descriptions froides ou chargées d’émotions. À Silwan, nous étions nombreux à assurer une présence protectrice : membres EAPPI, villageois palestiniens et activistes israéliens nombreux. Cette première récolte, en avance sur la maturité des olives, a été déclenchée à cause de la venue de soldats sur le terrain la veille… Des journalistes étaient aussi présents. La récolte avait bien débutée dans une atmosphère conviviale, chacun vaquant à sa tâche. Mais après midi, des colons protégés par des soldats et des policiers (entre 15 et 20) sont entrés sur le terrain de l’agriculteur que nous aidions et la situation a vite tourné à l’affrontement. Le fils du fermier a été arrêté, et relâché quelques jours après. Les colons n’ont pas été inquiétés. La semaine du 24 octobre, nous serons toutes et tous mobilisé-es pour cette tâche importante. C’est une période où les paysans palestiniens sont harcelés quotidiennement par les colons, battus, agressés physiquement, menacés, leurs oliviers saccagés et leurs olives détruites.

Olivier à Silwan au moment de la récolte © Marilyn, EAPPI

Durant notre mission, nous devons rendre visite à nos collègues sur deux emplacements différents. Je suis donc partie trois jours à Hébron. Je n’y étais pas retournée depuis 2019. Ce fut un choc pour moi de voir combien la situation de la vieille ville avait empiré après la pandémie. Les touristes sont quasi inexistants. Pas moins de vingt checkpoints encadrent la vieille ville. Avec l’équipe d’Hébron, je suis allée chaque matin devant une école différente : devant chacune d’elle, un checkpoint ! Nous sommes donc là pour vérifier que les enfants palestiniens puissent se rendre à l’école sans incident, sans risque pour eux. Parfois les parents les accompagnent, parfois ils vont par deux ou trois. En les regardant passer, je pensais à leur sécurité, à leur bien-être, à leur santé émotionnelle… et pourtant ! Ils poursuivent leurs études, jouent, chantent.

Vieille ville d’Hébron : des filets de protections que les Palestiniens posent pour se protéger des déchets déversés par les colons des maisons qu’ils ont prises aux Hébronites © Marilyn, EAPPI

Mais l’une des expériences les plus significatives vécues à Hébron est d’assister à « la marche des colons ». Chaque samedi après la prière, des colons avec un guide entrent dans la vieille ville, protégés par les militaires et la police des frontières. Ils sont aussi nombreux que les colons eux-mêmes et leur assurent protection et sécurité en patrouillant devant eux dans les ruelles du souk. Aucun Palestinien n’a le droit de bouger ni d’avancer avant leur passage. C’est absolument glaçant. Cette marche dure entre une demi-heure et une heure. Le pouvoir de la violence est là aussi, dans ce moment. Mais il est aussi dans cette rue fantôme : la « Shuhada Street », cette fameuse route interdite aux Palestiniens. Ils ne peuvent la traverser !

Je ne peux pas ne pas finir ce second reportage par une note d’espérance, et je cherche ce que je pourrais dire… rien ne me vient si ce n’est les repas partagés avec les populations locales, le thé chez les Bédouins, leurs crêpes merveilleuses, le Moujadara plat traditionnel préparé par Nawal, enseignante, femme forte de Nebi Samwil, village dont j’évoquerai la situation dans mon prochain reportage.

Un thé chez les Bédouins © Marilyn, EAPPI

Et je n’oublie pas non plus les rencontres avec des personnalités de la société civile palestinienne ou israélienne, des ONG qui œuvrent ensemble à l’établissement d’une paix, à la fin de l’occupation, à la dignité et qui ne ménagent pas leur peine pour relater jour après jour les constantes violations des droits humains et les violations des lois internationales.

Ce qui se passe ici dans cette région du monde est parfaitement intolérable, et je voudrais que chacun-e soit un témoin de cette indicible situation. Mon souhait est que toutes et tous deviennent des voix pour que cesse cette barbarie. Que le mur, les checkpoints disparaissent, que la liberté de mouvement, de construire sa maison, de garder sa maison, sa terre, de vivre sans permis de circuler, de ne pas être que « résident permanent » de Jérusalem , soit enfin réalité, que les enfants aient le droit d’aller à l’école sans risquer d’arrestation. Que les mères ne pleurent pas la mort de leur enfant.

Que la vie enfin soit la vie.

Marilyn, accompagnatrice œcuménique, groupe 85

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