Alors que l’ONU a mis en garde contre le risque de pénuries à Bangui, dont les groupes rebelles ont coupé les principales voies d’approvisionnement, des offensives gouvernementales ont permis de reprendre du terrain. Face à ces violences grandissantes dont la population est la principale victime, l’Église catholique a lancé un appel au dialogue. Dans ce pays où les structures sont détruites et les institutions défaillantes, les Églises représentent l’une des rares forces capables d’aider à reconstruire le vivre ensemble.

Patrouille de la Minusca (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République Centrafricaine) © DR

Face aux tentatives des groupes rebelles d’asphyxier Bangui, les forces armées centrafricaines (les Faca) s’efforcent de desserrer l’étau : en ce 25 janvier, le gouvernement a annoncé deux opérations qui auraient permis de reprendre le village de Boyali, à 90 km de la capitale, et surtout la ville de Boda, à 124 km. Le 17, c’était la ville de Bangassou, aux mains des rebelles depuis début janvier, qui avait été reprise sans combats. Ce passage à l’offensive des troupes gouvernementales intervient après des attaques coordonnées lancées jusque dans Bangui même, qui avaient été repoussées à la mi-janvier. Depuis décembre, les rebelles de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) ont commencé à bloquer les trois principales routes permettant d’acheminer de l’approvisionnement dans la capitale.

Ces groupes, après avoir largement entravé les opérations de vote lors de la présidentielle, contestent désormais la réélection du président Touadéra, qui a obtenu 53,16% des voix mais au terme d’un scrutin où deux électeurs sur trois n’ont pu voter. Depuis le 21 janvier, l’ensemble du territoire est sous état d’urgence pour une durée de 15 jours. L’émissaire de l’ONU en Centrafrique, Mankeur Ndiaye, déplorant une «grande désertion» des forces de sécurité centrafricaines, a réclamé au Conseil de sécurité une «augmentation substantielle» du nombre de Casques bleus déployés dans le pays, et du matériel militaire. Mais d’autres renforts sont déjà présents sur place : désormais, aux 12.000 militaires de la force de maintien de la paix de la mission de l’ONU en Centrafrique (Minusca) présents depuis 2014, s’ajoutent des centaines de soldats rwandais et paramilitaires russes envoyés à la rescousse du président Touadéra.

Le rôle clé des Églises dans un pays ravagé

Le CPC présente une alliance improbable de groupes, dont certains se sont combattus ces dernières années. Parmi eux se trouvent des groupes armés du nord de la RCA qui composaient auparavant la Séléka – l’alliance qui a renversé le gouvernement de François Bozizé en 2013, déclenchant des années de conflit. Il comprend également des milices anti-Balaka, que Bozizé est soupçonné d’avoir contribué à mettre en place en 2013 pour combattre la Séléka. L’ex-président, qui a été empêché de se présenter aux urnes de décembre par la Cour constitutionnelle, fait actuellement l’objet d’une enquête du parquet pour avoir soutenu le CPC. Tous les groupes composant cette coalition se partagent de fait plus des deux-tiers du territoire, où ils contrôlent les très lucratives filières de l’or et des diamants, et rackettent la population. Des avantages bien plus importants que ceux que pouvait leur apporter l’accord de Khartoum, huitième tentative en date de trouver un chemin de stabilisation du pays, qui offrait pourtant à divers chefs de guerre des postes au sein du gouvernement. Et les ressources tirées des divers trafics pourraient aussi leur offrir les moyens, à terme, d’une attaque d’envergure sur Bangui.

Conséquence de cette hausse des violences, la situation des civils – dans un pays où une personne sur quatre était déjà déplacée à l’intérieur du pays ou vivant en tant que réfugiés à l’étranger – s’est encore aggravée. Et à Bangui, jusqu’alors relativement épargnée, les étals des marchés sont à moitié vides. Le prix des marchandises a grimpé en flèche alors que des centaines de camions restaient bloqués dans la ville frontalière camerounaise de Garoua Boulai – incapables de traverser en raison de la présence rebelle le long de la route principale. L’ONU a mis en garde contre des pénuries de nourriture et de médicaments dans la capitale. En Centrafrique, deuxième pays le plus pauvre du monde, plus d’un tiers de la population (soit 1,9 million de personnes) est déjà confronté à un niveau élevé d’insécurité alimentaire, selon l’ONU.

«La misère du peuple centrafricain est indicible»

Pour maintenir le lien dans le pays, les Églises font partie des rares institutions à rester debout. C’est dans les Églises que beaucoup de familles fuyant les violences vont chercher refuge, comme tout récemment à Bouar, où elles ont accueilli des milliers de personnes qui ne savaient où dormir. Réunis en session plénière du 9 au 17 janvier, les évêques de Centrafrique ont publié un message appelant à la fin des violences, en soulignant : «La misère du peuple centrafricain est indicible.» Présentant ce message commun intitulé : «Lève-toi et marche», l’Abbé Cédric Rodrigue Kongbo Gbassinga, secrétaire général des évêques de Centrafrique, a souligné : «Nous appelons à un dialogue sincère et franc, fraternel et constructif pour trouver une paix juste et durable en repoussant la haine, la violence et l’esprit de vengeance.»

Au-delà de cet appel des évêques, les diverses religions présentes dans le pays ont tenté de jouer ces dernières années un rôle d’apaisement, notamment à travers la plateforme interreligieuse pour la paix (Interfaith Peace Platform), créée par l’archevêque de Bangui Dieudonné Nzapalainga, le pasteur et président de l’Alliance évangélique Nicolas Guérékoyamé-Gbangou (qui avait été reçu au Défap), ainsi que l’imam et président du Conseil islamique Oumar Kobine Layama, décédé en novembre dernier à 62 ans. Les Églises jouent aussi un rôle irremplaçable de soutien auprès des populations dans ce pays très majoritairement chrétien. Depuis des années, le Défap accompagne notamment l’Église protestante Christ-Roi de Centrafrique (EPCRC), membre de la Cevaa et présente dans la capitale (lire : Poursuivre l’accompagnement de l’Église à Bangui). Mais il est aussi en lien avec d’autres Églises présentes ailleurs sur le territoire centrafricain, comme l’Église Évangélique Luthérienne de République centrafricaine (EELRCA) ; des relations ponctuelles ont pu aussi s’établir avec d’autres partenaires, également engagés dans les efforts de paix et de reconstruction. C’est le cas par exemple des communautés baptistes, et notamment de l’UFEB (Union Fraternelle des Églises baptistes).

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