Si on ne parle plus officiellement de guerre, les violences perdurent en République centrafricaine, comme a pu en témoigner, en novembre 2018, le drame d’Alindao. La situation reste instable, les risques de dérapage permanents, et les besoins immenses. Comment les Églises participent-elles à réinventer un vivre-ensemble dans ce pays meurtri ? Entretien avec le pasteur Maurice Gazayeke, président de l’UFEB (Union Fraternelle des Églises baptistes), qui a été reçu au Défap au cours du mois de juin 2019.
Carte de la République centrafricaine

 

On ne parle plus de guerre civile en République centrafricaine. Et pourtant, les troubles perdurent, dans un pays qui reste profondément marqué et où tout est, encore aujourd’hui, à reconstruire. Si la situation est relativement calme à Bangui, la capitale, les provinces restent instables et leurs populations, menacées par de toujours possibles éruptions de violences. En 2016, les élections ont apporté un espoir de tourner la page des années de guerre. Pour la première fois de son histoire, la RCA avait enfin un président (l’ancien Premier ministre Faustin-Archange Touadéra) et un parlement démocratiquement élus. Mais des régions entières sont restées de fait sous le contrôle de milices faisant régner la terreur ou monnayant leur «protection». Des groupes armés avec lequel le gouvernement a bien dû négocier, jusqu’à signer en février 2019 un accord avec quatorze d’entre eux : l’accord de Khartoum, treizième accord de paix qu’ait connu la République centrafricaine depuis 2007, qui devait permettre d’apporter un apaisement en intégrant les principaux chefs de guerre à la vie politique centrafricaine. Dans les faits, la situation reste si difficile que le Conseil de sécurité a renouvelé, jusqu’au 15 novembre 2019, le mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (Minusca), tout en le renforçant. Les violations des droits humains sont quotidiennes, plus des trois-quarts des habitants du pays sont toujours en situation d’extrême pauvreté et la RCA est à la toute dernière place de l’indice du développement humain, au 188ème rang sur 188 pays.

Dans un pays où les structures collectives sont détruites et les institutions défaillantes, les Églises représentent l’une des rares forces capables d’aider à reconstruire le vivre ensemble. Elles jouent un rôle d’accompagnement irremplaçable auprès de la population, aident à panser les plaies de la guerre et plaident pour l’apaisement. Le Défap est directement en lien avec deux d’entre elles : l’Église Protestante Christ-Roi de Centrafrique, basée à Bangui, et l’Église Évangélique Luthérienne de République centrafricaine, présente principalement dans l’ouest du pays, région déshéritée et instable. Mais des relations ponctuelles peuvent s’établir avec d’autres partenaires, également engagés dans les efforts de paix et de reconstruction. C’est le cas des communautés baptistes, et notamment de l’UFEB (Union Fraternelle des Églises baptistes), dont le président, le pasteur Maurice Gazayeke, a été reçu au Défap au cours du mois de juin 2019.

Le pasteur Maurice Gazayeke © Défap

 

Quelle est aujourd’hui la situation en République centrafricaine ?

Pasteur Maurice Gazayeke : Le gouvernement continue à tendre la main à ceux qui ont pris les armes, en les exhortant à cesser les hostilités. Depuis l’accord de Khartoum, on sent un changement positif à Bangui et dans les villes environnantes ; mais il y a toujours des difficultés dans les régions, des massacres inopinés perpétrés par des groupes rebelles… Il y a des coupures de route : celle qui va de Bangui au Cameroun a ainsi été bloquée, pour empêcher le ravitaillement de la ville ; les fautifs ont été écartés ; mais on craint toujours les violences qui peuvent survenir de façon imprévisible. Partout dans l’arrière-pays, les groupes armés se sont solidement établis : en dépit de la Minusca, ils ont pris le pouvoir de certaines régions et ne veulent pas le laisser. En outre les chefs rebelles semblent n’avoir pas toujours un entier contrôle de tous leurs éléments, qui peuvent se comporter comme des bourreaux de la population. Ce qui continue à attiser les craintes de violences interconfessionnelles : quand des groupes rebelles sont majoritairement des musulmans, les Églises ont fort à faire pour éviter les représailles de la part de la population contre des musulmans… Alors qu’à la base, le problème est politique, non confessionnel.

Que vit la population au quotidien ?

Les gens sont en insécurité permanente. Les villageois craignent d’aller dans leurs champs, d’aller à la pêche, ou à la chasse : ils risquent à tout moment de rencontrer des éléments rebelles et de se faire tuer. Et la population civile a souvent l’impression d’être abandonnée à elle-même en cas de violences, alors que les forces de la Minusca sont là théoriquement pour les protéger. Personne n’a oublié le drame d’Alindao, en novembre 2018, lorsque des groupes armés ont massacré des dizaines de personnes dans un camp pourtant placé sous la protection de la Minusca. Le contingent de la force internationale avait été prévenu des préparatifs de cette attaque, et n’a rien fait pour s’y opposer ; au contraire, les hommes de la Minusca se sont retirés sans un coup de feu. L’Onu a dû ouvrir une enquête internationale, et l’image de la Minusca, déjà mauvaise aux yeux de l’opinion publique centrafricaine, s’est encore dégradée. De tels drames alimentent tous les soupçons, y compris ceux de connivence entre certains éléments des forces internationales et certains groupes rebelles. Mais en dépit de cette insécurité permanente, on progresse vers la paix, avec l’aide du Seigneur.

Que font les Églises pour aider à désamorcer ces violences ?

Les Églises baptistes ont toujours exhorté leurs fidèles à travailler comme artisans de paix. Mais elles ne le font pas seules : chaque dénomination travaille dans le sens de la cohésion sociale, en vue de la réconciliation de la population. Là où je vis à Bangui, dans le quatrième arrondissement, mon Église, celle de Ngoubagara, organise des grandes rencontres de prière, et y invite le gouvernement et le président de la République. Elle lance des appels notamment à travers l’AEC (l’Alliance des Évangéliques en Centrafrique), qui fait partie de la Plateforme des Confessions Religieuses de Centrafrique, laquelle regroupe des protestants, des catholiques et des musulmans pour faire du plaidoyer en faveur de la paix. L’une de ces grandes rencontres de prière en faveur de la réconciliation et de la paix a eu lieu juste avant mon départ pour la France, en présence des autorités politiques. De son côté, le gouvernement fait régulièrement appel non seulement aux partis politiques, mais aussi aux diverses confessions pour nouer des contacts et tenter de consolider la paix. À travers ces rencontres, à travers la Plateforme, les leaders religieux, au lieu d’agir en ordre dispersé pour le retour de la paix, plaident ainsi ensemble contre les violences interconfessionnelles. Ils s’efforcent de montrer, ensemble, que les bases du conflit ne sont pas religieuses. Les relations entre représentants religieux sont régulières : ainsi, quand les nouveaux leaders de l’AEC ont été élus, l’imam Kobine, qui fait partie de la Plateforme, avait été invité.

Ces appels sont-ils bien reçus au sein de la population ?

Les gens sont fatigués de toutes les violences. Ils aspirent avant tout à la paix. S’il y a des réticences chez les fidèles, ils ne les expriment pas dans l’Église. Quand on organise des chaînes de prière au niveau de l’AEC, toutes les Églises répondent de manière positive et les fidèles impliqués sont nombreux. Mais les rebelles, eux, ont beau signer des accords, ils ne les respectent pas toujours. Les Églises sont sincères dans leurs appels à la paix, mais se rendent bien compte que les rebelles jouent à une sorte de jeu de cache-cache…

Propos recueillis par Franck Lefebvre-Billiez

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