L’Église protestante Christ-Roi de Centrafrique (EPCRC), avec laquelle le Défap est en lien, veut préparer l’avenir dans un pays toujours miné par les violences : elle accompagne les victimes et les aide à construire un nouveau projet de vie, s’occupe d’une école, s’efforce de réhabiliter un grand complexe destiné à la jeunesse situé en plein Bangui… La visite commune Défap-Cevaa organisée début décembre visait à faire le point sur le soutien à cette Église, et notamment sur l’accompagnement pastoral, réalisé par des pasteurs issus des Églises de France.

Les responsables de la cellule d’écoute psychologique © Défap-Cevaa

En République centrafricaine, la guerre civile aurait dû s’achever en 2014. Plus précisément le 23 juillet, date de la signature d’un accord de cessation des hostilités à Brazzaville. Depuis lors, tous les éléments d’une normalisation se sont mis en place : une nouvelle Constitution, approuvée fin décembre 2015 par référendum, et un nouveau président démocratiquement élu, l’ancien Premier ministre Faustin-Archange Touadéra. Mais ces changements n’étaient que superficiels. Le nouveau gouvernement n’a pas renoncé aux pratiques de mauvaise gouvernance de ceux qui l’avaient précédé. Son influence n’a pu s’étendre véritablement au-delà de la capitale. Dans le reste du pays, le pouvoir est aux mains des milices armées. Le souvenir de la marche des Séléka sur Bangui est encore vivace : c’était en 2013, et les partisans de Michel Djotodia avaient pris la ville sans résistance, forçant à la fuite le président François Bozizé, lui-même arrivé au pouvoir les armes à la main. Mais les exactions des membres de la Séléka («Coalition» en sango) venue du nord du pays où se trouvent la majorité des musulmans (le reste du pays étant très majoritairement chrétien), composée en partie de mercenaires tchadiens, libyens et soudanais, avaient provoqué la création de milices d’autodéfense bientôt baptisées les anti-balaka. Et des violences envers les musulmans soupçonnés de sympathies pro-Séléka…

Depuis, le spectre de l’affrontement inter-communautaire et inter-confessionnel n’a jamais vraiment disparu. Dans les portions du pays qu’elles contrôlent, les milices jouent sur la peur et sur la «protection» qu’elles prétendent offrir pour asseoir leur légitimité. L’année 2017 a ainsi vu la résurgence de la crise centrafricaine sous une forme tout aussi grave qu’en 2013-2014, lorsque la France et les États-Unis s’alarmaient d’une situation «pré-génocidaire» : si la Séléka a été officiellement dissoute, elle a donné naissance à de multiples factions qui se sont engagées dans des luttes territoriales, pendant que de nouveaux groupes anti-balaka se formaient jusque dans l’Est du pays, épargné jusqu’alors.

D’inlassables appels à la paix

Plus que jamais, les Églises de Centrafrique ont besoin d’un accompagnement. Si un affrontement interconfessionnel généralisé a été évité durant les années 2013-2014, c’est en grande partie grâce à des responsables religieux qui ont refusé de voir la religion instrumentalisée. Grâce à des figures comme celles de Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui, Nicolas Guerekoyame-Gbangou, pasteur de l’Église évangélique Elim Bangui-M’Poko, et Omar Kobine Layama, président de la conférence islamique, dont les infatigables plaidoyers pour la paix, au mépris même de leur propre sécurité, avaient conduit à les surnommer les «trois Saints de Bangui».

La nécessité de cet accompagnement était au centre de la visite commune Défap-Cevaa qui a eu lieu début décembre à Bangui. Le Défap est en lien avec l’Église protestante Christ-Roi de Centrafrique (EPCRC), membre de la Cevaa et présente dans la capitale. Le secrétaire général du Défap, Bertrand Vergniol, qui participait à ce voyage, décrit «une ville déstructurée, sans charpente, où la violence est à fleur de peau, malgré la présence forte de la Minusca». Les troupes de cette Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique sont d’ailleurs elles-mêmes vues avec méfiance, souvent accusées de passivité face aux violences.

«Transcendons les clivages pour reconstruire notre pays»

Rencontre avec avec l’archevêque Nzapalainga © Défap-Cevaa

«À Bangui, endroit le plus sécurisé de la Centrafrique, poursuit Bertrand Vergniol, on se rend compte que les gens parlent encore avec terreur de ce qu’ils ont vécu il y a deux-trois ans. Si aujourd’hui, on ne voit plus des foules de déplacés autour de l’aéroport (on les appelle aujourd’hui les retournés), tout le monde craint que ça recommence». Les Églises poursuivent un travail inlassable pour appeler à l’apaisement et refuser la logique de l’affrontement, quelles que soient les confessions : la visite commune Défap-Cevaa à Bangui a d’ailleurs été marquée par une rencontre avec l’archevêque Nzapalainga. Depuis 2013, la teneur de ses sermons n’a pas changé. «Nous sommes tous Centrafricains comme une famille : transcendons les clivages pour reconstruire notre pays», lançait-il encore le 9 décembre dernier lors de la messe de clôture du pèlerinage sur le site du sanctuaire marial de Ngoukomba, un village situé à 24 km de Bangui sur la route de Damara. Et d’ajouter en sango sous les applaudissements de la foule : «Nous ne voulons plus écouter parler de musulmans, de protestants, de catholiques… Nous sommes tous Centrafricains».

Engagée elle aussi pour le dialogue, et dans l’aide aux victimes de violences, l’EPCRC a mis en place, avec le soutien de la Cevaa et du Défap, une cellule d’accompagnement psychologique. Elle est fréquentée surtout par des musulmanes : dès l’origine, l’Église a voulu que cette aide soit ouverte à toutes les victimes, indépendamment de leur confession. L’Église bénéficie aussi d’un accompagnement pastoral, dans le cadre d’un poste ouvert par la Cevaa ; et ce sont les Églises de France qui ont fourni les pasteurs, notamment Bernard Croissant, qui a été le plus présent à Bangui au fil d’une série de missions de plusieurs semaines à chaque fois. L’EPCRC s’efforce aussi de réhabiliter un grand complexe situé en plein Bangui qui a été très dégradé lors des années 2013-2014, le Centre Protestant de la Jeunesse, et a construit une école à Morija, dans la banlieue de la capitale.

Les élèves de l’école de Morija © Défap-Cevaa

La visite de ce début décembre avait notamment pour but d’évaluer la mission d’accompagnement pastoral, qui devra se poursuivre, même si ses modalités pourront évoluer ; d’ores et déjà, Bertrand Vergniol tient à exprimer à Bernard Croissant «la reconnaissance du protestantisme français et du Défap» pour le travail réalisé à Bangui. En ce qui concerne la cellule d’écoute, «après avoir reçu l’aide d’un psychologue, elle peut désormais fonctionner de manière autonome, souligne le secrétaire général du Défap. C’est un lieu important où des personnes qui ont été maltraitées peuvent retrouver une dignité et former de nouveaux projets de vie». En ce qui concerne le Centre Protestant pour la Jeunesse, les travaux de sécurisation progressent : une fois la clôture achevée, les bâtiments ne seront plus exposés aux pillages. Mais il faudra une aide du gouvernement centrafricain pour réhabiliter le complexe proprement dit, très endommagé : c’était l’objet d’une rencontre qui a eu lieu, au cours de ce séjour, entre la délégation Défap-Cevaa et le Premier ministre. Il faudra aussi pouvoir récupérer l’usage effectif des locaux, qui ont été en partie occupés après la période des troubles… En ce qui concerne Morija, l’école proprement dite est achevée, elle accueille déjà 200 élèves, et il reste à réaliser un forage et un dispensaire. Les paroissiens de l’EPCRC, et tout particulièrement le mouvement des femmes de l’Église, sont très impliqués dans le soutien de ce projet. Aujourd’hui, l’école forme des élèves, en dépit des troubles ; demain, ce sont ces mêmes élèves qui pourront participer à la reconstruction de leur pays.

image_pdfimage_print