Nouveau témoignage cette semaine d’une étudiante partie suivre un cursus de plusieurs mois à l’Institut œcuménique de Théologie Al Mowafaqa, à Rabat (Maroc), avec le soutien financier du Défap. Après Marysol, étudiante à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg, voici Ewa. Elle évoque des découvertes qui vont bien au-delà du cadre universitaire : une mise en dialogue au quotidien des cultures et des religions, une véritable expérience de vie.

Ewa en compagnie d’une autre étudiante de l’Institut Al Mowafaqa : Sœur Aimée © Ewa pour Défap

Qu’est-ce qui vous a incitée à suivre ce cursus à l’Institut œcuménique de théologie Al Mowafaqa ?

Ewa : Je suis sculpteur de profession. J’ai déjà deux diplômes en art. J’avais décidé de suivre des études en théologie pour approfondir et conjuguer différentes manières de servir le Seigneur dans ma vie professionnelle, ce qui m’a poussée à m’inscrire en licence à la Faculté de Théologie protestante de Strasbourg. Au bout de trois semestres, je me suis rendue compte que j’avais besoin de retrouver un côté plus humain, plus ouvert et en dialogue avec des croyants et des non croyants de différentes communautés. Et j’ai appris que j’avais la possibilité de le faire au Maroc.

Je suis d’origine polonaise ; et en Pologne, pays majoritairement catholique, les aspects interculturels et interreligieux sont peu présents, ce qui me manquait. Dans ma manière de témoigner à travers l’art, où je m’exprime par les couleurs et par les formes, j’ai trouvé une façon d’intégrer les regards des autres cultures, et notamment des cultures d’Afrique. Il y a là un regard différent de ce que l’on peut trouver à travers l’art que nous connaissons en Europe. Ce cursus à Al Mowafaqa représentait précisément une ouverture dont j’avais besoin par rapport aux études que je suivais à Strasbourg, qui sont d’un format plus universitaire.

Qu’avez-vous découvert ?

Les professeurs sont très variés, ce qui permet, à chaque cours, de découvrir une problématique à travers le parcours d’une personne qui la connaît bien. Par exemple, pour le cours « Histoire et anthropologie de l’islam », la professeure venait du Maroc, elle était baignée dans la culture marocaine : c’était magnifique de voir ces relations étroites entre la matière enseignée, et l’histoire personnelle de la personne qui donnait le cours. Les professeurs sont aussi plus faciles d’accès qu’à l’université, ce qui permet, en échangeant avec eux, de découvrir le parcours et la vision du monde de personnes venant du Cameroun, du Rwanda (mais habitant en Belgique), ou du Sénégal, ou du Maroc (mais avec des racines berbères)… À Al Mowafaqa, on apprend à mieux comprendre les autres : on découvre non seulement des thématiques, mais des personnes avec leur histoire et leur vécu. Je ne m’attendais pas à trouver une telle densité d’humanité. On se rend compte que si l’on fait de telles études, c’est aussi pour comprendre ce qui fonde l’humanité et notre relation avec Dieu.

On travaille souvent en groupe – et les groupes aussi sont très variés. Il y a une grande diversité d’histoires personnelles parmi les étudiants de ce Certificat ; une grande diversité de contextes culturels, d’âge (de moins de 20 ans à plus de 70) : c’est comme si on était tout un petit village, où se retrouvent toutes les générations. On échange, on mange ensemble, on parle de nos vécus ; ce sont des moments importants et qui ajoutent quelque chose, qui permettent de se parler en vérité. À Al Mowafaqa, je sens que je grandis ; que je vis là une étape de ma vie dont je sortirai avec un beau bagage. J’entends des témoignages de participants qui sont des gens engagés (pour les droits de l’homme, pour les réfugiés…), et qui apprennent ici des choses qu’ils pourront mettre directement en lien avec leur engagement. Je suis aussi touchée par le parcours de personnes que je rencontre, et qui ont donné toute leur vie à l’Église, des pasteurs, des frères ou des sœurs… Je sens véritablement ici que nous sommes tous ensemble le corps de Christ, tout en étant tous très différents.

Tous différents, mais marchant dans la même direction © Ewa pour Défap

Que vous apporte cette expérience à titre personnel ?

Sur le plan universitaire, les cours suivis ici me permettent de valider mon quatrième semestre. Et j’ai aussi décidé de suivre deux cours supplémentaires et de faire un mémoire pour valider la totalité du Certificat Al Mowafaqa. J’ai pris confiance pour parler en public : pour moi, ce passage à Al Mowafaqa, c’est comme une porte qui s’ouvre.

Le matin, nous avons un temps de prière : un membre du groupe choisit de raconter une histoire biblique. Pour ma part, j’ai proposé un clin d’œil artistique, et les autres étudiants m’y ont encouragée, connaissant mon parcours. J’ai choisi une thématique : la différence entre un vagabond, qui va sans but, et un pèlerin, qui marche avec Dieu et se laisse guider. Pour l’illustrer, j’ai pris l’empreinte des pieds de chaque participant. Je me suis retrouvée avec les empreintes d’une trentaine de pieds, qui m’ont servi à illustrer le fait que nous marchons tous dans la même direction. Venus de différents milieux, issus de différentes théologies, nous allons vers le même but… J’ai aussi été invitée par l’Institut à faire un témoignage artistique le 2 mai, pour montrer comment je parle de ma foi à travers mon art.

J’apprécie énormément d’étudier des sujets comme le dialogue islamo-chrétien ou l’histoire de l’islam, d’apprendre l’arabe, dans un pays de culture musulmane : on a tellement besoin aujourd’hui d’apprendre à nouer ou à rétablir le dialogue, à respecter l’autre… Et venir faire ces études ici, au Maroc, en m’éloignant de ma vie quotidienne, me permet de prendre de la distance par rapport à ma propre vie et à mon propre parcours. C’est toujours bien de s’éloigner ainsi, pour mieux voir dans quelle direction on aimerait aller. Je me rends compte aussi de l’étendue des choses que je ne connais pas encore ; et qu’il est important de s’accorder la liberté de dire : je ne sais pas. On peut apprendre toute la vie à condition de ne pas être figé, et d’accepter de s’ouvrir à des choses nouvelles ; mais pour autant, il ne faut pas oublier qui l’on est, d’où l’on vient et ce que l’on peut apporter aux autres.

Que pourriez-vous dire à un étudiant français pour l’encourager à venir à l’Institut œcuménique de théologie Al Mowafaqa ?

Je lui dirais qu’ici, il ne va pas découvrir seulement un pays et une culture, mais aussi se découvrir lui-même. Pour marcher sur l’eau, il faut d’abord sortir du bateau. Très souvent, on attend des miracles dans sa vie, mais sans être prêt à prendre des risques. On ne peut pas passer sa vie à aller toujours tout droit ; il faut prendre le temps d’aller à droite ou à gauche pour découvrir.

image_pdfimage_print