En ce mois d’avril dans « Courrier de mission », Guylène Dubois a reçu Adrien Franck Mougoué. Étudiant en histoire des religions à l’université de Douala, au Cameroun, il effectue un séjour d’une année en France pour des recherches dans le cadre d’une thèse sur l’implantation de communautés de l’Église presbytérienne camerounaise en France, et Suisse et en Belgique. Issue des missions occidentales (en l’occurrence, de la Mission Presbytérienne Américaine), l’EPC développe ainsi en retour une activité missionnaire en Europe. Mais ce projet missionnaire faisait-il déjà partie des préoccupations des Camerounais venus en Europe ? Peut-on véritablement parler aujourd’hui d’une « mission inversée » ?
Adrien Franck Mougoué lors de l’enregistrement du numéro d’avril de « Courrier de mission » dans les locaux de Radio FM+, à Montpellier © Radio FM+ / Défap

Vous avez peut-être eu l’occasion d’entendre Adrien Franck Mougoué lors de la première session des « Jeudis du Défap », le 4 avril dernier : consacrée aux relations complexes et aux mouvements de personnes entre Églises d’Afrique et de France, que ce soit côté catholique ou côté protestant, elle posait la question de l’existence, à travers ces échanges, d’une « mission inversée ». Vous l’avez peut-être aussi croisé le 18 avril lors du webinaire de la CLCF (la Centrale de Littérature Chrétienne Francophone) sur « Les communautés chrétiennes de l’Église presbytérienne camerounaise en Europe ». Ce dimanche 21 avril, il était l’invité de Guylène Dubois pour l’émission mensuelle du Défap, « Courrier de mission », diffusée sur Fréquence protestante et coproduite avec Radio FM+.

Étudiant en histoire des religions à l’université de Douala, au Cameroun, Adrien Franck Mougoué effectue un séjour d’une année en France, en bénéficiant d’un soutien financier du Défap, dans le cadre de recherches pour une thèse sur l’implantation de communautés de l’Église presbytérienne camerounaise en France, et Suisse et en Belgique. Une implantation qui a suivi le mouvement des migrations de Camerounais vers l’Europe et les pays francophones, mais qui n’obéissait pas forcément à un projet préexistant de l’EPC : comme Adrien Franck Mougoué a pu le constater au cours de ses recherches, l’apparition de ces communautés a pu se faire sans que les dirigeants de l’EPC au Cameroun en aient véritablement conscience. Et leur existence même a d’ailleurs fini par se traduire par des problèmes structurels au sein de l’Église presbytérienne camerounaise, laquelle a fini par se doter d’un « consistoire Europe » pour tenter de rassembler ces communautés nées de manière indépendante.

Adrien Franck Mougoué et la « mission inversée »

Courrier de Mission
Émission du 21 avril 2024 sur Fréquence Protestante

 

Des communautés liées à une langue et à une région

Pour Adrien Franck Mougoué, ces travaux de thèse s’inscrivent dans la continuité de ceux qu’il avait lancés depuis plusieurs années sur l’EPC, Église à laquelle il avait déjà consacré un mémoire en 2015 ; mais il s’agissait alors pour lui d’étudier les phases du développement de l’EPC au Cameroun. Au fil de ses recherches, il a découvert, comme il le dit lui-même, « plusieurs pans méconnus de l’histoire de l’EPC » : une histoire complexe qui s’inscrit dans le riche contexte du protestantisme camerounais.

Le Cameroun est un pays qui pourrait être un continent. Plus de 200 ethnies et autant de langues, réparties dans des milieux naturels très contrastés : c’est une « Afrique en miniature », comme on l’entend parfois dans la bouche de Camerounais. Dans ce paysage fourmillant, le protestantisme s’est implanté de longue date, apportant l’Évangile dès le XIXème siècle, avec tout d’abord les baptistes, incarnés par le Jamaïcain Joseph Merrick et l’Anglais Alfred Saker. Ils ont été suivis par les presbytériens américains, puis par des arrivées successives de missionnaires d’Europe, dont ceux de la Société des Missions Évangéliques de Paris. Les protestants ont construit les premières écoles, les premiers hôpitaux, la première université : l’Université protestante d’Afrique centrale, à Yaoundé. Sa faculté de théologie, où se retrouvent de futurs pasteurs, mais aussi des étudiants catholiques ou musulmans, accueille aujourd’hui dans une perspective interdénominationnelle des étudiants venant de différents pays des sous-régions d’Afrique Centrale et de l’Afrique de l’Ouest. C’est dans une école protestante qu’a été composé l’hymne national camerounais ; et il n’est pas rare de voir en pleine ville des panneaux publicitaires affichant des versets bibliques pour le compte de telle ou telle Église.

Guylène Dubois avec Adrien Franck Mougoué dans les locaux de Radio FM+, à Montpellier © Radio FM+ / Défap

Le protestantisme camerounais porte aussi l’héritage des missionnaires successifs qui ont fondé autant d’Églises dans les diverses régions du pays : à l’ouest les baptistes, au nord les luthériens, au sud la mission américaine… Une géographie dont l’évolution se poursuit avec la croissance plus récente d’Églises pentecôtistes qui font concurrence aux Églises dites « historiques ». À ces lignes de partage s’en ajoutent d’autres, parfois internes aux Églises, en fonction des ethnies, créant de sensibles jeux d’équilibre, voire des conflits, dans la gestion des diverses instances ecclésiales. Une situation qui n’est pas propre aux Églises, dans un pays où structures étatiques et structures traditionnelles se superposent sans s’opposer, où l’on peut retrouver des héritiers des dynasties royales, des lamibé ou des sultans, en poste dans des ministères à Yaoundé. À cela s’ajoute encore le poids de l’histoire : la division entre Cameroun francophone et Cameroun anglophone, héritage des colonies allemandes passées sous mandat français et britannique à l’issue de la Première Guerre Mondiale…

L’Église presbytérienne camerounaise, objet des recherches d’Adrien Franck Mougoué, est bien représentative de cette histoire complexe. Issue des missions occidentales (en l’occurrence, de la Mission presbytérienne américaine), elle s’est peu à peu rendue autonome de ses « pères fondateurs » ; on aurait pu penser qu’à l’étranger, elle créerait des communautés plus facilement aux États-Unis, mais c’est en fait plutôt dans les pays francophones d’Europe que des rejetons de l’EPC sont apparus. Suivant en cela les parcours individuels de Camerounais venus s’installer d’abord en France, puis en Belgique et en Suisse, avant de tenter de se regrouper par familles, puis de s’organiser pour retrouver une vie communautaire et spirituelle proche de celle qu’ils connaissaient dans leur région d’origine. C’est le parcours de ces différentes communautés, liées avant tout à une région et à une langue, voire à un village, qu’Adrien Franck Mougoué tente de retracer dans ses travaux.

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