A Madagascar, les élections présidentielles sont systématiquement des moments de tension. Depuis l’indépendance, tous les changements à la tête du pays se sont faits hors des règles. L’approche de la présidentielle 2023 a été marquée par une série d’événements (manifestations, arrestations, destitution du président du Sénat…) qui ont poussé l’Union Européenne, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, la Corée et la Suisse à exprimer leurs préoccupations dans un communiqué commun déplorant un « climat politique tendu ». Mais que se passe-t-il vraiment dans la Grande Île ? Et quels sont les enjeux de ces tensions ? L’analyse de Christiane Rafidinarivo, politologue, chercheure invitée au Centre de recherche politique CEVIPOF (Sciences Po Paris).

Carte de Madagascar © Google Maps

Quelle est la situation aujourd’hui à Madagascar, à l’approche de la présidentielle ?

Christiane Rafidinarivo : Le premier tour de l’élection présidentielle a été reporté d’une semaine : il aura lieu le 16 novembre. Le deuxième tour étant, lui, maintenu au 20 décembre. Ce report a été décidé par la Haute Cour Constitutionnelle, et à la demande d’un candidat, Andry Raobelina : gravement blessé lors d’une marche organisée par le « Collectif des 11 », il a dû être évacué à l’étranger pour être soigné. Ce Collectif regroupe 11 des 13 candidats à la présidentielle, dont deux anciens présidents, Marc Ravalomanana et Hery Rajaonarimampianina. Parmi ces autres candidats, certains sont aussi d’anciens leaders du parti d’Andry Rajoelina, président sortant et candidat à sa propre succession, qui a ainsi perdu une partie importante de ses soutiens politiques.

Que revendique ce Collectif ?

C.R. : Un assainissement du processus électoral avant les élections. Pour cela, le Collectif appelle à une concertation entre tous les candidats et les institutions. Mais Andry Rajoelina refuse. Pour appuyer ses revendications, le Collectif avait appelé à une série de rassemblements, qui tous s’étaient heurtés à des refus d’autorisation ou avaient été empêchés de se tenir. Des marches ont néanmoins été organisées, et le Collectif est devenu un mouvement politique qui mène désormais des actions dans les principales villes du pays – actions partout réprimées.

Vue de Tananarive, la capitale © Franck Lefebvre-Billiez pour Défap

Où en est le processus électoral ?

C.R. : Actuellement, Andry Rajoelina est le seul à faire campagne, les autres candidats s’y refusent tant que leur demande n’est pas prise en compte.

Quels ont été les déclencheurs de cette crise ?

C.R. : Il y a en premier lieu une dimension institutionnelle : la Constitution exige que les candidats aient la nationalité malgache. La presse a révélé récemment qu’Andry Rajoelina avait acquis la nationalité française en 2014, alors qu’il était à la tête de l’État. Dans le code de la nationalité malgache, il est inscrit que celui qui demande volontairement une nationalité étrangère perd la nationalité malgache (art. 42). Le « Collectif des 11 » conteste donc le certificat de nationalité produit par le président sortant dans son dossier de candidature à la présidentielle déposé auprès de la Haute Cour Constitutionnelle.

Une autre disposition de la Constitution requiert qu’un président sortant, lorsqu’il est candidat à la présidentielle, démissionne 60 jours avant le premier tour. Ce qu’a fait Andry Rajoelina. La présidence par intérim, qui se charge des affaires courantes, est normalement assurée par le président du Sénat. Mais celui-ci, Herimanana Razafimahefa, a rédigé une lettre de renonciation pour raisons personnelles. C’est une situation non prévue par la Constitution, et la Haute Cour Constitutionnelle a décidé, collégialement, de confier l’intérim au gouvernement. Le « Collectif des 11 »  considère qu’il s’agit là d’une forme de coup d’État institutionnel.

Mais par la suite, Herimanana Razafimahefa a fait des déclarations à la presse nationale et internationale, indiquant avoir agi sous pression et en ayant reçu des menaces de mort émanant de membres du gouvernement. Il soutient qu’il en a informé le président et les Nations-unies. Il s’est déclaré prêt à assumer la responsabilité de l’intérim, au vu de l’ampleur de la crise politique et institutionnelle. Après cet épisode, 15 sénateurs sur 18 se sont réunis, ont déclaré que le président du Sénat en exercice souffrait de déficience mentale et l’ont destitué. Dans la foulée, ils ont élu pour le remplacer Richard Ravalomanana – un général proche du président de la République, qui l’avait nommé sénateur quelques heures à peine avant de démissionner pour se porter candidat. Certains observateurs parlent là de deuxième coup d’État institutionnel.

La crise a acquis dès lors une dimension politique. La Haute Cour Constitutionnelle a reçu le « Collectif des 11 ». Au sortir de la réunion, il n’y a eu aucune déclaration. Ce que le Collectif met en avant, c’est la nécessité de trouver un accord politique pour la mise en place d’élections équitables, transparentes et reconnues par tous, au niveau national comme international. Pour cela, il faudrait que les juges ne se substituent pas aux politiques, que l’instance en charge des élections garantisse les mêmes droits à tous les candidats. A cela s’ajoute la nécessité de procéder à une vérification des listes électorales. Le Collectif met en outre en cause la Céni, la Commission électorale indépendante, composée essentiellement de proches du président sortant. Le Collectif demande que sa composition soit revue, ou qu’elle intègre des représentants des candidats dans l’organisation du processus électoral. Il continue à appeler à une table ronde regroupant tous les candidats, et toutes les parties prenantes du processus électoral.

Aujourd’hui, au vu de cette situation, de nombreux organismes de la société civile sont favorables à une large concertation.

Vue de Tananarive, la capitale © DR

Comment réagit la population malgache ?

C.R. : L’opinion publique va de surprise en surprise, ce qui suscite l’indignation, et provoque une crainte croissante pour beaucoup de voir la situation du pays s’aggraver. Madagascar est devenu au fil des années l’un des pays les plus pauvres du monde, et les Malgaches craignent de plus en plus que leurs enfants n’aient pas d’avenir. Ce qui empire à chaque crise politique. Les cycles de crise sont de plus en plus rapprochés, et le temps pour que l’économie du pays s’en remette est à chaque fois plus long.

Les Malgaches ont été privés de leur droit de vote pendant 5 ans, de 2009 à 2014. L’enjeu de cette élection présidentielle, c’est le droit de décider qui dirigera le pays dans la liberté et la transparence, par un processus démocratique équitable. Pour sortir du cycle des crises, la raison d’être d’une Constitution est précisément d’organiser et de garantir la possibilité d’une alternance politique.

Christiane Rafidinarivo,
Propos recueillis par Franck Lefebvre-Billiez

Le Défap à Madagascar
A Madagascar, le Défap est en lien avec deux Églises, la FJKM et la FLM, pour des activités tournant essentiellement autour de l’enseignement. La FJKM (Fiangonan’i Jesoa Kristy eto Madagasikara, en français Église de Jésus-Christ à Madagascar) est la plus grande Église protestante du pays. Elle revendique 3 500 000 membres, répartis dans 5 800 paroisses desservies par plus de 1 200 pasteurs. Quant à l’Église luthérienne malgache (en malgache : Fiangonana Loterana Malgache, FLM), elle revendique 3 millions de membres répartis dans 5 000 paroisses, desservies par 1 200 pasteurs.
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