Méditation du jeudi 10 mars 2022. Nous avons tous une fâcheuse tendance à nous croire le centre du monde. Pourtant Dieu, l’Évangile, le Christ et même l’Esprit peuvent être compris différemment ailleurs, et la foi s’incarner autrement.

La parabole de la paille et de la poutre par Domenico Fetti (Metropolitan Museum of Art) – Wikimedia Commons

Pourquoi regardes-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et ne remarques-tu pas la poutre qui est dans ton œil à toi ? Comment peux-tu dire à ton frère : « Mon frère, laisse-moi ôter la paille qui est dans ton œil », toi qui ne vois pas la poutre qui est dans ton œil ? Hypocrite, ôte d’abord la poutre de ton œil ! Alors tu verras comment ôter la paille qui est dans l’œil de ton frère.
(Luc 6,41-42)

Dieu est-il le même partout, pour tout le monde, de tout temps ? Spontanément on penserait que oui. Or les textes bibliques nous montrent un Dieu qui discute et même se dispute avec les humains, qui évolue et qui change, qui passe contrat et qui ouvre des perspectives : ce n’est pas un Dieu immuable et statique ! L’idée de qui est Dieu pour nous, les textes en témoignent, est en perpétuelle évolution.

Il semble pourtant qu’une réalité humaine incontournable soit notre tendance à nous imaginer les autres – et Dieu – comme d’autres nous-mêmes, par défaut d’imagination mais surtout par centrement sur nous-mêmes. En d’autres termes, nous avons une fâcheuse tendance à nous croire le centre du monde. Ça va si loin que dans notre imaginaire, nous traitons Dieu, l’Autre par excellence, comme nous traiterions un double de nous-même… L’altérité, c’est ça le problème.

Il y a cependant des situations limites où on rencontre l’autre, vraiment. Mais ça relève de conditions qui échappent largement à notre contrôle : il faut que quelque chose surgisse et s’impose. On peut appeler ça l’Esprit, cette part de Dieu qui souffle où il veut, qui vient bousculer et ouvrir des possibles là où nous les voyions pas.

C’est ainsi que le concept d’Église universelle vient nous bouleverser dans nos représentations : nous réalisons que Dieu, l’Évangile, le Christ et même l’Esprit sont compris différemment ailleurs que chez nous et que la foi s’incarne autrement. C’est le même Dieu, le même Évangile… mais ils s’inscrivent dans des imaginaires différents et prennent de nouveaux visages. Le choc de la rencontre est une épreuve, mais il est salutaire pour pouvoir faire des rencontres fraternelles en vérité, à la dimension de l’Église dont Dieu seul connaît les contours et du Royaume qui nous appelle à une imagination sans cesse renouvelée, pour sortir de nos imaginaires. Sans tenter de s’ôter mutuellement des yeux des pailles ou des poutres !

Tu regardes l’autre à la mesure du regard que tu imagines porté sur toi.
Ton Dieu est bienveillant ? Alors ton regard est bienveillant.
Ton Dieu est un juge impitoyable ? Alors tu juges l’autre et tu te mesures à lui.
Ton Dieu est humble et faible ? Alors tu regardes l’autre avec humilité et impuissance.
Tu te sens ignoré et perdu dans le vaste monde ? Alors tu ignores l’autre dans son propre monde et tu n’essaies pas d’y accéder.

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