Enlèvements de pasteurs ou de missionnaires, emprise croissante des gangs qui bloquent le pays, ses commerces et ses hôpitaux en empêchant l’accès aux terminaux pétroliers : les nouvelles venues d’Haïti peuvent paraître désespérantes. Mais si la crise haïtienne est multiforme, les Haïtiens ont avant tout besoin qu’on ne les oublie pas.
Des enfants dans un camp pour personnes déplacées à Port-au-Prince, Haïti © ONU/Sophia Paris
« Haïti est un pays assiégé ». L’homme qui s’exprime en ces termes a pour nom Jerry Tardieu ; c’est un ancien élu de l’Assemblée nationale d’Haïti, devenu depuis lors le coordinateur national du mouvement « En Avant » – une formation qui réclame un sursaut national pour sauver le pays face à la déliquescence politique et à l’emprise toujours plus grande des groupes armés. Ce même Jerry Tardieu n’hésite pas à dénoncer « une collusion au plus haut niveau de l’État, avec des hommes politiques qui veulent que ces gangs puissent servir leur désir de voler les élections ». Un autre bon connaisseur de la politique haïtienne, Daniel Dorsainvil, ancien ministre de l’Économie et des Finances de 2006 à 2009, signe pour sa part une tribune dans Le Nouvelliste, l’un des plus respectés des journaux haïtiens, dans laquelle il appelle à des réformes urgentes en soulignant : « Le quotidien des Haïtiennes et des Haïtiens est fait de frayeur, d’anxiété, d’incertitude, et de mal-vivre. Cette situation ne cesse d’empirer, à un point tel qu’il n’est plus question de s’inquiéter qu’Haïti s’enfonce. Il sied plutôt de constater : Haïti s’est enfoncée. »
À Port-au-Prince, ce sont désormais les gangs qui font la loi, bloquant les terminaux pétroliers et plongeant le pays dans le noir, multipliant les enlèvements, érigeant des barrages sur les routes ; les pays voisins, pour leur part, de la République dominicaine jusqu’aux États-Unis, s’efforcent de se tenir à l’écart du brûlant creuset haïtien. Ceux qui fuient la violence sont refoulés. Les présidents du Panama, du Costa Rica et de la République dominicaine ont appelé les États-Unis à prendre des « mesures concrètes » pour freiner la migration des Haïtiens à travers l’Amérique latine en direction de la frontière américaine. Aux États-Unis même, la volonté de tenir la crise haïtienne à distance est patente, que ce soit à travers les images de migrants repoussés par des gardes à cheval ou à travers les citations d’officiels selon lesquelles les problèmes d’Haïti doivent trouver une solution en Haïti – allusion transparente à l’organisation d’élections dont nul ne pense, en Haïti même, qu’elles pourraient changer quoi que ce soit.
Il est pourtant possible d’agir
Les soubresauts du quotidien haïtien trouvent parfois des échos lorsque des étrangers en sont directement victimes : les autorités américaines ont ainsi dépêché une équipe du FBI pour aider à la libération d’un groupe de missionnaires de l’organisation « Christian Aid ministries » enlevés le 16 octobre. Ces 17 ressortissants étrangers, 16 Américains et un Canadien, sont toujours séquestrés après l’attaque de leur convoi à Croix-des-Bouquets par le gang des « 400 Mawozo ». Mais les attaques de lieux de culte et les enlèvements de pasteurs, les balles perdues blessant des élèves en plein cours dans leur salle de classe, les barrages et les scènes de guerre civile entre gangs rivaux, font en réalité partie du quotidien. Plus de 100 femmes et enfants ont été enlevés de janvier à août 2021, selon l’UNICEF. Bruno Lemarquis, Représentant spécial adjoint du Secrétaire général des Nations unies et Coordinateur résident et humanitaire en Haïti, souligne pour sa part que « depuis juin, la violence des gangs dans la région de Port-au-Prince a déplacé au moins 19.000 personnes et a affecté 1,5 million de personnes. » Les équipes de l’ONU ont reçu pour consigne de limiter autant que possible leurs déplacements. La liste des lieux à éviter pour ne pas tomber aux mains d’un groupe armé s’allonge quotidiennement. Le Premier ministre Ariel Henry lui-même, tentant de commémorer le 17 octobre dernier la mort d’un des pères de la nation haïtienne, Jean-Jacques Dessalines, assassiné le 17 octobre 1806 à Pont-Rouge, en a été empêché par un gang armé qui a contraint le convoi présidentiel à quitter les lieux.
Si la crise haïtienne est multiforme, les Haïtiens ont avant tout besoin qu’on ne les oublie pas. Les regards des nations voisines qui se détournent, les réfugiés refoulés aux frontières, sont un blanc-seing donné aux gangs. Dans ces conditions plus que difficiles, il est pourtant possible d’agir. Les partenaires de la Plateforme Haïti, créée sous l’égide de la Fédération protestante de France et dont la coordination administrative est assurée par le Défap, s’y emploient. L’UEBH (Union Évangélique Baptiste d’Haïti), partenaire haïtien de la Mission Biblique, a pu fournir une aide financière d’urgence aux familles les plus touchées par le tremblement de terre du 14 août dernier ; elle a aussi appelé, du 30 octobre au 2 novembre, à trois journées de jeûne et de prière à travers l’ensemble de ses Églises pour la situation générale du pays. Présente sur place, ADRA-Haïti a été parmi les premières ONG à intervenir dans les zones touchées par le séisme, distribuant de l’aide en évitant les axes de circulation contrôlés par les gangs. La Fondation La Cause, qui travaille depuis une dizaine d’années avec 8 orphelinats haïtiens, a noué un partenariat avec ADRA-France pour envoyer une aide financière, de façon à permettre la distribution de produits de première nécessité (eau potable, kits alimentaires, kits d’hygiène et tentes) ainsi que le déploiement d’infirmières bénévoles et d’agents de santé communautaire, et la mise en place d’une clinique mobile. Et les divers membres de la Plateforme Haïti restent mobilisés.
N’oublions pas Haïti !
Le Défap et la Plateforme HaïtiDes liens privilégiés existent de longue date entre la Fédération protestante de France (FPF) et la Fédération protestante d’Haïti (FPH). Le passage de quatre tempêtes dévastatrices sur le territoire haïtien en 2008 (Fay, Gustav, Hanna et Ike) s’était traduit par la création de la Plateforme Haïti, regroupant divers acteurs du monde protestant sous l’égide de la FPF. En 2010, au moment du tremblement de terre qui devait faire plus de 230.000 morts, les réseaux protestants étaient donc bien en place, et la solidarité avait trouvé rapidement des canaux pour s’exprimer. Le président actuel de la Plateforme Haïti est le pasteur Rodrigue Valentin, de l’Église du Nazaréen, et sa coordination administrative est assurée par le Défap. La Plateforme rassemble les acteurs suivants : |