Méditation du jeudi 11 novembre. Nous revenons sur l’épisode de la femme adultère. Un texte miraculeusement lumineux et plein d’espoir, à cause de cette petite trace, là, tracée par Jésus dans la poussière, une petite trace de rien du tout dont on ne sait même pas ce qu’elle dit. Cette petite trace, elle est inscrite, non pas dans la pierre de toutes les lois qui nous accablent et nous culpabilisent, mais dans la poussière de notre humanité.

Nicolas Poussin – « Le Christ et la femme adultère » © Wikimedia Commons

« Jésus était allé au Mont des Oliviers.

À l’aube il revint au temple et tout le peuple venait à lui. S’étant assis, il les instruisait.

Mais voilà que les scribes et les pharisiens amenèrent vers lui une femme qui avait été surprise en plein adultère et ils la poussèrent au milieu.

Ils dirent à Jésus : « Maître, cette femme a été saisie en plein acte d’adultère, or dans la loi, Moïse nous ordonne que de telles femmes soient lapidées. Et alors, toi, qu’est-ce que tu dis ? »

Cela, ils le disaient pour le tenter, pour avoir de quoi l’accuser. Mais Jésus se baisse et il écrit avec le doigt dans la terre sans leur prêter attention.

Mais comme ils persistaient, l’interrogeant encore, il se mit debout et leur dit : « Que celui qui n’a pas péché jette, le premier, une pierre ! »

Et se baissant à nouveau, il écrivait sur la terre.

Entendant cela, ils partirent un par un, le plus âgé d’abord puis tous les autres, et laissèrent Jésus tout seul et la femme au milieu.

S’étant relevé, Jésus lui dit : « Femme, où sont-ils ? Personne ne t’accuse ? »

Elle dit : « Personne, Seigneur. » Jésus lui dit : « Je ne te condamne pas non plus. Va, et maintenant, détourne-toi du péché. »
(Jean 8, 1-11)

De la pierre, de la poussière. Voilà les deux éléments autour desquels s’organise cette scène.

Les scribes et les pharisiens font irruption dans la cour du temple, où Jésus enseigne à la foule, et ils l’interpellent : « Dans la loi, Moïse ordonne de jeter des pierres sur les femmes adultères ! »

Jésus pourrait répondre beaucoup de choses. Il pourrait demander où est l’homme surpris avec cette femme, par exemple. Mais il ne répond pas. Il aurait pu dire, par exemple : « Vous prétendez m’apprendre la loi, celle que Dieu puis Moïse ont gravée sur les tablettes de pierre ? Mais je vous montre, moi, que la loi bonne ne peut s’écrire que dans la poussière de l’humanité. Celui qui se tient debout et regarde de haut son prochain, celui-là n’a plus pour trancher que la pierre dure et intransigeante d’une loi lointaine. La pierre des tables de la loi, la pierre qu’on jette sur les pécheurs. » Mais Jésus ne parle pas. Il s’accroupit. Et il se contente de tracer des signes dans la poussière.

Il n’aura qu’une phrase, par laquelle il interpelle à son tour les scribes et les pharisiens : « Que celui qui n’a pas péché jette, le premier, une pierre ! »

❝ Bien sûr qu’ils ont péché, tous, car ils sont tous humains.

Les pharisiens et les scribes pourraient répondre beaucoup de choses. Ils pourraient dire par exemple qu’il est injuste de se faire piéger par les mots. Mais ils ne disent rien et ils s’en vont. Le premier qui part, c’est le plus âgé, celui qui a le plus péché, car il est humain, il n’est ni de pierre ni de loi, il est pure humanité pétrie par le péché… et tous les autres suivent. Bien sûr qu’ils ont péché, tous, car ils sont tous humains.

Dans l’Écriture, le sens de l’adultère n’est pas seulement celui que l’on trouve dans le Décalogue : « Tu ne commettras pas l’adultère ». L’adultère, surtout dans les textes prophétiques, c’est le refus de l’alliance qui lie Dieu à son peuple. Si ce peuple va vers d’autres dieux, il se prostitue et commet l’adultère en donnant sa foi à un autre que Dieu. Dans ce texte qu’on appelle souvent « la femme adultère », il n’y a pas d’homme amené avec cette femme. Peut-être parce qu’il ne s’agit pas d’un adultère de ce type.

Se perdre hors de la relation avec Dieu, c’est s’égarer dans un monde où il n’y a plus que la loi qui compte. Les lois du monde, les lois du plus grand nombre, les lois du dedans et les lois du dehors, les lois qui font mourir… Quand les pharisiens et les scribes disent « Moïse ordonne que de telles femmes soient lapidées », ils ne voient pas que cette femme est déjà lapidée dans la vie où elle s’est égarée. Elle est déjà sous le coup des pierres de la loi, loi aveugle, sourde, loi inhumaine, loi de pierre, loi intime, la pire peut-être.

Et pourtant ce texte est miraculeusement lumineux et plein d’espoir. À cause de cette petite trace, là, dans la poussière, une petite trace de rien du tout dont on ne sait même pas ce qu’elle dit. Cette petite trace, elle est inscrite, non pas dans la pierre de toutes les lois qui nous accablent et nous culpabilisent, mais dans la poussière de notre humanité.

❝ Quel est ce signe, discret et mystérieux, tracé dans la poussière de nos existences ?

Comment le Christ inscrit-il sa trace dans nos vies ? Quel est ce signe, discret et mystérieux, tracé dans la poussière de nos existences ? C’est un signe inutile, pour rien, au sens où il ne surgit pas comme un coup de tonnerre qui viendrait tout régler dans nos existences. C’est infime, presque inexistant. C’est une promesse. Une promesse qui nous dit : la grâce qui t’est destinée est inscrite, non pas dans la loi, mais dans la poussière de ton humanité. Cette promesse est écrite dans la poussière, mais elle est écrite pour toujours. Maintenant ne t’occupe plus de tout ce qui te jugeait, des murs de pierre autour de toi et en toi. Tu es fragile, tu es poussière… mais tu es debout. Debout, face à ton Dieu, comme cette femme. Maintenant, va.

Le pas de la foi, c’est d’avoir confiance en celui qui a ce geste étonnant, qui trace un simple signe dans la poussière de notre humanité. Le pas de la foi, c’est d’y aller, d’oser ce premier pas dans la poussière, hors de tout jugement, d’aller de l’avant ! « Va ! » Tout cela, je crois que Dieu pourrait nous le murmurer à l’oreille, et je crois qu’il le murmure vraiment aux temps difficiles. Mais la plupart du temps, c’est comme s’il se contentait de tracer ces quelques signes dans la poussière, en silence. C’est tellement infime… et pourtant c’est vital. C’est ça qui nous permet d’entendre : « Va, et détourne-toi du péché ». Ça veut dire : « Va, tu peux te lancer dans cette vie-là qui est la tienne, imparfaite, difficile, douloureuse, mais pleine de la promesse inscrite dans l’humanité ». Pleine de la joie de cette grâce.

Amen

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