Le proviseur de l’école de Burin. Au fond, la tour d’observation de l’armée et la route menant à la colonie d’Yizhar © Patrice Leurent pour EAPPI et Défap

Nous arrivons à l’école de Burin vers 9h30. Le proviseur est assis sur sa chaise sur la petite route qui longe l’école. Au bout de la route on aperçoit une tour d’observation de l’armée à côté de la route 60, et quelques soldats à côté d’une jeep militaire. On est en période d’examens, les élèves peuvent partir dès qu’ils ont terminés leurs épreuves. Il y a trois jours, les soldats ont prévenu le proviseur : si les élèves s’accumulent à l’autre bout de la route, ils tireront sur eux. Le proviseur veille donc sur sa chaise, et se lève pour les disperser. Puis vers 10h nous entendons des détonations. Trois soldats dans le champ à l’extérieur de l’école ont tiré en direction d’un groupe d’élèves dans la cour de l’école primaire une bombe sonore, puis des balles en caoutchouc, et deux bombes lacrymogènes. Les élèves se sont réfugiés dans la cour de l’école secondaire.

L’école de Burin est située entre deux colonies juives violentes, Yizhar et Bracha. Elle est proche de la route 60 et de la route qui permet d’accéder à la colonie d’Yizhar. Il y a souvent des affrontements avec les colons et l’armée, dans le village et dans l’école. L’armée est présente tous les jours autour de l’école, pour intimider et effrayer les élèves. Ce climat de tension affecte l’attention des élèves.

En retournant à Burin quelques jours plus tard, nous apprenons que l’armée a installé une nouvelle grille à l’extérieur de l’école. Une partie des terrains de l’école est ainsi confisquée. Cela irrite beaucoup l’équipe enseignante et les élèves. Quelques jours plus tard, à la fin des examens, nous assistons à un affrontement entre un groupe d’élèves lançant des pierres contre les soldats, et la réplique des soldats avec tirs de bombes lacrymogènes et tirs de balles en cahoutchouc. Quel climat pour une école !

Jets de pierres contre bombes lacrymogènes

Nous sommes une équipe de trois volontaires internationaux EAPPI basés à Yanoun, un petit village palestinien au sud de Naplouse, entouré de colonies juives et de leurs avant-postes. Les colonies de peuplement et leurs avant-postes sont interdites par le droit international, mais elles se sont fortement développées dans les territoires occupés de Palestine. Il y avait environ 100.000 colons en 1995 au moment des accords d’Oslo, il y en a 600.000 aujourd’hui !

L’EAPPI est un programme d’accompagnement et d’observation des droits humains en Palestine. L’accès à l’éducation est une de ses priorités. D’après la direction de l’éducation pour les écoles au sud de Naplouse que nous avons visitées il y quelques semaines, deux écoles sont particulièrement menacées à cause de leur proximité avec des colonies et la route 60, les écoles de As-Sawiya et Burin.

La route 60 est le principal axe de circulation nord-sud en Cisjordanie. Elle est empruntée à la fois par les Israéliens et les Palestiniens. Israël a construit un réseau de routes dédiées aux colons, pour réunir directement les colonies avec Israël. Ces routes sont interdites aux Palestiniens, ainsi qu’une zone de sécurité de 100 m de part et d’autre de la route. Elles sont construites sur des terres palestiniennes, qui sont ainsi accaparées. Elles coupent le territoire, et obligent parfois les Palestiniens à faire de grands détours pour les éviter.

Sur la colline en face, on aperçoit une colonie

Deux soldats sur le chemin de l’école © Patrice Leurent pour EAPPI et Défap

L’école secondaire d’As-Sawiya est située au bord de la route 60, en zone C. Sur la colline en face de l’école on aperçoit une colonie israélienne. Certains colons prétendent que les élèves jettent des pierres sur les voitures israéliennes, en se rendant à l’école sur le chemin qui borde la route 60. Les soldats assurent donc une surveillance tous les jours autour de l’école, et nous assurons une présence protectrice face aux intimidations des soldats. Les soldats sont par groupes de deux, et quelquefois ils gênent le passage des élèves et pointent leur arme vers eux. Nous assurons cette présence plusieurs jours par semaine de 7h30 à 8h, puis nous sommes accueillis par l’équipe des professeurs. Il y a environ un mois, un élève de 14 ans a été arrêté par deux soldats à la sortie de l’école, prétendument parce qu’il avait jeté des pierres sur les soldats. Les soldats ont refusé de discuter avec les enseignants, ont prétendu avoir des photos mais ont refusé de les montrer. Puis quand le commandant est arrivé, l’élève a été menotté et emmené dans un fourgon militaire vers le poste de police. Il est resté 4 jours en prison, puis a été libéré. Mais la famille a dû payer une amende de 1500 shekels (360 €). D’après les professeurs, les soldats accusent un élève au hasard, sans preuve. Cela fait partie de la technique d’humiliation et d’intimidation de la population.

Israël poursuit et emprisonne des enfants de 12 à 18 ans, en violation du droit humanitaire international. Beaucoup d’entre eux sont arrêtés à proximité immédiate d’une colonie, pour les humilier et réduire leur volonté de résistance face à la colonisation.

À la fin de la période d’examens, juste avant le début du ramadan, l’équipe des professeurs nous a conviés à un déjeuner, en remerciement de notre présence protectrice. Cela fait partie de l’accueil chaleureux que nous constatons toujours en Palestine.

Les élèves sont maintenant en vacances, pour environ trois mois.

Patrice Leurent, 31 mai 2018

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