Méditation du jeudi 24 février. À quoi ressemble ce Dieu auquel nous croyons ? La pente naturelle de toutes les religions, c’est de nous le présenter régnant par la force. Mais la croix proclame sur Dieu tout le contraire de ce que les hommes conçoivent de Dieu.

L’adoration des bergers, Simon Vouet (1590-1649), dans l’église Saint-Pierre et Saint-Paul d’Évry-Courcouronnes, œuvre récemment classée au titre des monuments historiques après sa restauration – détail © Jacques Longuet, ancien adjoint à la Culture et au Patrimoine de la ville d’Evry

« Considérez, frères, qui vous êtes, vous qui avez reçu l’appel de Dieu : il n’y a parmi vous ni beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens de bonne famille. Mais ce qui est folie dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qui est faible dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort ; ce qui dans le monde est vil et méprisé, ce qui n’est pas, Dieu l’a choisi pour réduire à rien ce qui est, afin qu’aucune créature ne puisse s’enorgueillir devant Dieu. C’est par Lui que vous êtes dans le Christ Jésus, qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification et délivrance afin, comme dit l’Écriture, que celui qui s’enorgueillit, s’enorgueillisse dans le Seigneur. « 
(1 Co 1,26-31)

La plupart du temps, les êtres humains définissent Dieu comme tout ce qu’ils ne sont pas eux-mêmes : ils sont limités par leur humanité ; ils l’imaginent infiniment grand et infiniment puissant. Ils se sentent faibles et dérisoires à la surface de la terre ; ils le définissent comme le tout-puissant, une présence qui sature tout et déborde tout ce qui existe. Ils ont peur de la mort, alors ils le disent immortel et hors du temps. Ils ont l’impression de se traîner à ras de terre, et disent de lui qu’il est tout seul dans les cieux. Ils se sentent soumis à un destin, et disent que c’est lui qui en tire les ficelles et décide du sort du monde.

Au fond, tout ça nous parle de ce que les humains voudraient être, mais est-ce que ça nous parle vraiment de Dieu ? Oui, ça nous parle d’un Dieu qui serait tout l’inverse des humains. Et ça trahit surtout une véritable haine, une jalousie immense envers Dieu, qui nous travaille en sourdine.

❝ Se croire détenteur d’une vérité sur Dieu, c’est toujours se fourvoyer

Croire à ce Dieu-là nous condamne à un effroyable esclavage. Pour se sentir digne de lui, il faut se rendre inhumain, renoncer à son humanité, au doute, au chemin forcément sinueux. Il faut défendre bec et ongles cette image d’un Dieu terrible, qui contrôle tout, prévoit tout, exige tout. Et de préférence, il faut convaincre le reste de l’humanité qu’on est du bon côté de ce Dieu-là, qu’on est dans ses petits papiers et qu’il nous donne ainsi un peu de sa puissance, un peu de son pouvoir de tout contrôler. Il faut bien dire que c’est là la pente naturelle de toutes les religions.

Paul ne dit pas autre chose aux Corinthiens. Face à la remuante communauté de Corinthe, où s’esquissent des batailles terribles entre des courants différents, qui tous prétendent se réclamer du véritable Dieu, Paul choisit un autre langage. Il rappelle que se croire sage, se croire détenteur d’une vérité sur Dieu, c’est toujours se fourvoyer, et tenter d’écraser les autres pour se sentir un peu plus justifiés. Il quitte tout débat partisan, il renonce à dire qui a raison et qui a tort, pour questionner jusqu’au bout la question et redemander : mais au fond, de quel Dieu parlez-vous ? Il convoque alors une autre parole, dans une formule étrange : la parole de la croix. La folie de la croix. La croix proclame sur Dieu tout le contraire de ce que les hommes conçoivent de Dieu… Tout ce qu’ils croient comprendre sur Dieu, tout ce qu’ils croient savoir sur Dieu, tout cela est balayé.

La sagesse des hommes faisait de Dieu la figure des aspirations humaines. La folie de Dieu, c’est de renoncer à rentrer dans ce combat. C’est de mettre l’homme face à ses prétentions. C’est de lui révéler qu’en s’appuyant sur sa propre sagesse, l’homme passe à côté de Dieu. Entend-on vraiment l’incroyable nouvelle de la croix ?

❝ L’annonce d’un salut qui passe par la plus profonde injustice

Le tableau qui illustre cet article a été redécouvert par hasard dans une église de la région parisienne. C’est « L’adoration des bergers » de Simon Vouet : on note d’abord qu’il ne s’agit pas dans cette nativité de représenter des rois mages (qui ne sont de toute façon pas dans les textes bibliques) mais des bergers, dans le texte de l’évangile selon Luc. Et regardez le geste de Marie : elle tend la main comme en supplication, non seulement pour présenter cet enfant aux bergers, mais au monde tout entier, parce qu’il est le salut du monde entier. Un détail attire le regard au premier plan : l’agneau tenu par un des bergers. Le raccourci est saisissant : cet enfant au creux de la paille, faible livré aux aléas d’un monde violent, est aussi l’agneau qui sera sacrifié par pure malice, dans un déchaînement de violence que rien ne justifiait. Ce n’est pas une jolie histoire que raconte ce tableau : c’est l’annonce d’un salut qui passe par la plus profonde injustice, incompréhensible pour qui croit encore que Dieu vient régner par la force sur des humains qui n’attendent que ça.

Nous avons à prêcher cela – ce n’est pas vendeur. Ça complique beaucoup la mission de l’annonce de l’Évangile, un message aussi peu vendeur. Et pourtant, voyez par quelle beauté le peintre a représenté la scène : la beauté est là, oui. Encore faut-il avoir les yeux pour la voir, et le talent pour la représenter, malgré tout.

La beauté tient à une vérité qui s’impose, malgré nous : non, la force brute ne vainc pas vraiment dans ce monde, la victoire est ailleurs, tout simplement parce qu’aucun humain ne peut véritablement mettre sa confiance dans la force brute et le non-droit, on ne peut que s’y soumettre. Pourtant, c’est la confiance qui sauve le monde et nous donne de croire à ce salut. Ça n’a l’air de rien… mais ça change tout.

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