Partir à l’étranger avec le Défap, ce n’est pas seulement découvrir un autre pays, une autre culture, et y vivre de nombreux mois en immersion : c’est aussi se découvrir soi-même. Avec le Covid-19 d’autres problématiques se posent. Au travers de leurs lettres de nouvelles, les envoyés partagent leur ressenti mais aussi leurs questionnements.

 

Manon Grosbois à Madagascar
Manon Grosbois est actuellement à Madagascar. Elle a envoyé sa lettre de nouvelles, publiée ci-dessous, peu de temps avant le confinement. Depuis les nouvelles mesures, elle travaille ses cours dans l’optique d’une reprise : « Je vais bien. Je reste à la maison chez mes amis mais nous avons tous le moral. Le président prend la parole chaque soir, Antsirabe n’est pas confinée mais le maire prend des mesures avec la fermeture de tous commerces hors alimentaires etc… J’ai refait tout un programme, de quoi enseigner ici pour encore dix ans, il faut positiver ! Les mesures à Madagascar sont prises localement,  je sais par exemple que Betafo est confinée », écrit-elle.

Bonjour à tous ! c’était un plaisir de vous lire en janvier et imaginer chacun dans un coin particulier du monde. J’ai trouvé ma lettre de présentation très scolaire, est-ce le métier qui rentre ?

Le métier… Ma mission, cette fameuse mission d’enseigner le français à des enfants malgaches. Quelle mission ! Je constate que je suis en phase d’expérimentation. Du bidouillage, des essais, des erreurs, de la remise en question, beaucoup de remise en question, des illusions et désillusions, du sur-mesure, du peaufinage, des interrogations sans réponse. C’est intéressant et déstabilisant. Pour illustrer mon propos, nous sommes actuellement en mars, cinq mois après la rentrée scolaire. Je m’aperçois que la moitié des élèves de  ne 4ème ne connaissent pas les jours de la semaine, ni les trois premiers pronoms personnels. Et moi, dans l’ignorance et l’illusion groupale, avec la meilleure volonté du monde, je leur enseigne « la phrase négative » ! Leur prochaine leçon sera « les couleurs ». En parallèle, ils apprendront le fonctionnement du système digestif, EN FRANÇAIS ! Ce paradoxe, ce non-sens, cette incompréhension du système peuvent parfois me décourager, me peiner vis-à-vis des élèves qui se trouvent en difficulté.

Alors deux solutions s’offrent à moi : changer le système scolaire malgache, ou faire avec ! Le temps des colons est révolu. Je vais « faire avec » ! Et pour cela, régulièrement, je recontextualise ma présence ici, ma mission. Je crois que quelle que soit la leçon, le fait d’échanger avec les élèves, c’est cela ma mission. La rencontre avec mes collègues qui se transforme en belle relation, c’est ma mission. Apporter aux élèves une ouverture sur le reste du monde, c’est ma mission. Une mission de liens entre deux cultures et entre les hommes.

Quant à la vie à Betafo, c’est toujours l’ascenseur émotionnel. Nous sommes à un carrefour de petits villages isolés. C’est ici que se retrouvent les personnes handicapées considérées comme « folles », livrées à elles même et à la rue. Beaucoup de gens sont dépendants de l’alcool. Il y a aussi des élèves qui viennent de loin pour étudier et logent ensemble dans des chambres louées (dès 13 ans). Cette cohabitation peut générer parfois un sentiment de malaise. Puis il y a la facette de Betafo plus sympathique : « allô Manon, tu viens faire un foot ? », la reconnaissance des commerçants, les invitations à diner…

Zébus dans les rues de Betafo

Et parfois j’aimerais pouvoir prêter mes yeux pour partager des scènes de vie. 5h30 le matin, la lune brille encore, la pluie a transformé l’ile rouge en une palette de multiples verts. Je sillonne les rizières, je traverse des villages qui s’éveillent, je cours, ça monte et je souris face à la beauté des montagnes. Les rayons du soleil qui font briller les champs, les paysans à vélo qui transportent le lait, les élèves qui prennent le chemin de l’école, les zébus qui tirent les charrettes, l’odeur du café. Mais très vite, il est temps de rentrer j’ai cours à 8h !

Je fais le choix de prolonger ma mission, j’ai encore tant à découvrir et je sens que mon équilibre se stabilise. Je ne peux imaginer quitter le navire si rapidement !

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