Soledad André, envoyée du Défap au Liban, est chargée de mission pour la Fédération de l’Entraide Protestante. Elle travaille dans le cadre du projet des «couloirs humanitaires», créés par un protocole signé entre l’État français et cinq partenaires issus du milieu des Églises, afin de permettre la venue en France, par des voies légales, de réfugiés particulièrement vulnérables. Son rôle : accompagner ces familles syriennes ou irakiennes au long du parcours qui leur permettra d’être accueillies et hébergées en France. De Beyrouth à Paris ; du consulat, où sont déposées les demandes de visas humanitaires, jusqu’à l’atterrissage à Roissy.

Vue du camp de réfugiés palestiniens de Chatila, en place depuis 1948 : l’un des lieux où intervient Soledad André © Soledad André pour Défap

 

Accompagner des familles qui ont fui la Syrie ou l’Irak, avant de se retrouver au Liban – à Beyrouth, Tripoli, Saïda, ou dans l’un des camps de réfugiés de la Bekaa ou du Akkar : telle est la mission de Soledad André. Il faut aider à constituer des dossiers pour obtenir du consulat un visa humanitaire, et pour cela reconstruire des récits, des parcours jalonnés de violences et de traumatismes. Une fois obtenu ce précieux visa, accordé en priorité aux personnes les plus vulnérables, il faut aussi organiser les conditions d’accueil des familles en France, puis les accompagner dans l’avion qui les emmène vers Roissy…

Soledad André est chargée de mission pour la Fédération de l’Entraide Protestante (FEP), et s’occupe du projet des «couloirs humanitaires». Après la formation au départ suivie au siège du Défap, à Paris, elle a rejoint le Liban. Le projet sur lequel elle travaille, directement inspiré d’un exemple italien associant la Fédération des Églises évangéliques italiennes et la communauté catholique de Sant’Egidio, est régi par un protocole d’entente signé à l’Élysée et qui associe les ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères à cinq partenaires issus du milieu des Églises : la Fédération protestante de France, la Fédération de l’Entraide protestante, la Conférence des évêques de France et le Secours catholique – Caritas France. Cette action humanitaire s’adresse à toutes les personnes en condition de vulnérabilité, indépendamment de leur appartenance religieuse ou ethnique. Une alternative légale aux «voyages de la mort» à travers la Méditerranée…


Quel est votre rôle dans le projet des «couloirs humanitaires» ?

Pour aller plus loin :

Soledad André : Mon rôle au Liban se répartit entre visites aux familles de réfugiés et aide à la constitution des dossiers. Comme ces familles sont présentes en plusieurs points du territoire libanais, je passe en général trois jours par semaine dans la capitale, et deux hors de Beyrouth – une journée dans le Nord, et une journée au Sud, dans la plaine de la Bekaa. Ces familles peuvent être hébergées en divers lieux : dans des camps de réfugiés palestiniens, par exemple, qui sont installés depuis longtemps et qui ont eu le temps de s’organiser, avec beaucoup de bâtiments qui sont aujourd’hui construits en dur. Ou dans des camps plus récents gérés par le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, où les familles sont hébergées sous des tentes… On en trouve aussi au sein du tissu urbain, dans des quartiers pauvres de Beyrouth, à Saïda… Je suis chargée des premiers entretiens, des visites aux familles, de la préparation pour les entretiens au consulat… Cette étape est cruciale. Il s’agit d’aider les réfugiés à organiser leur récit, raconter ce qu’ils ont vécu… Puis, une fois leur dossier constitué et traduit, il faut les accompagner dans la demande de leur visa humanitaire. Deux jours par mois, je suis ainsi avec ces familles au consulat… Enfin, il y a les réunions d’équipe où nous discutons des dossiers, cas par cas, et les rencontres avec d’autres associations, pour essayer de nouer des liens sur le terrain. Nous sommes ainsi en contact avec beaucoup d’ONG locales qui nous font remonter des informations sur des cas de familles réfugiées au Liban qui pourraient entrer dans le cadre de ce programme.

C’est un processus long, plein de rebondissements. Il mobilise du monde ici, au Liban (je travaille au sein d’une équipe de six membres : quatre Italiens, un Syrien, et moi), mais aussi en France, où il faut organiser l’accueil et l’hébergement des familles. En toute fin de processus, il faut organiser le voyage en France, et j’accompagne les familles dans l’avion, jusqu’à Roissy, où nous attend un comité d’accueil. Nous essayons d’organiser des départs groupés d’au moins une trentaine de personnes (y compris les accompagnateurs), et nous avons des accords avec Air France pour limiter le prix de ces voyages. Récemment, François Clavairoly, le président de la Fédération Protestante de France, partenaire du projet, est venu nous rendre visite à Beyrouth.

Une fois partis du Liban, quel est le parcours de ces réfugiés ? Certains sont accueillis en Italie, à l’origine des «couloirs humanitaires», d’autres en France…

Soledad André (à gauche) avec deux des membres de son équipe © Soledad André pour Défap

Soledad André : Dans le cas de l’Italie, pionnière en la matière avec un accord signé entre diverses Églises et l’État dès 2016, ces familles sont accueillies dans des appartements, c’est un peu du logement social ; et il n’y a aucune aide publique, tout est financé par les Églises. En France, où un protocole a également été signé en 2017, la situation est un peu différente : ce sont des collectifs de volontaires qui se mobilisent pour organiser l’accueil des réfugiés. Il faut non seulement les loger, mais aussi les aider dans leurs démarches, aider à la scolarisation des enfants, accompagner les familles à la préfecture, auprès des diverses administrations, à l’hôpital… Il faut aussi traduire : ces réfugiés ne parlent souvent qu’arabe, parfois anglais, très peu français. Et il faut également leur permettre d’avoir des cours de français… Ces familles d’accueil, ces collectifs de volontaires ne reçoivent aucune rémunération ; ils accompagnent les réfugiés en général pendant une année, le temps qu’ils obtiennent leurs papiers. C’est un projet qui crée de nouvelles dynamiques de solidarité entre les gens, et qui peut parfois bénéficier à d’autres personnes que les réfugiés eux-mêmes : des collectifs montés dans certains villages pour recueillir des vêtements en faveur de familles de réfugiés, ont ainsi pu étendre leur action à des personnes vivant dans la rue.

Qu’est-ce qui a motivé votre engagement au Liban ?

Soledad André : J’avais depuis longtemps un intérêt prononcé pour le Moyen-Orient, ainsi que pour la langue arabe. J’ai fait mes études à l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux, section Études Internationales, où j’ai suivi un Master «Gestion des risques dans les pays du Sud» . Aussitôt après, je suis partie six mois en Jordanie pour y apprendre l’arabe. J’ai cherché dès lors à travailler dans la région. Je me suis impliquée, avec le statut de VSI (Volontaire de Solidarité Internationale), au sein d’Asmae – Association Sœur Emmanuelle, où j’ai été chargée d’un projet d’appui éducatif et psychosocial auprès des familles syriennes présentes au Liban. J’ai aussi fait plusieurs stages en Palestine et un séjour en Égypte. Aujourd’hui, de suis chargée de mission pour la FEP. À l’avenir, j’envisage de continuer à travailler sur la problématique des migrants et des réfugiés. Peut-être en postulant auprès du HCR… ou peut-être me rapprochant de la Cimade.

Propos recueillis par Franck Lefebvre-Billiez

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