Le 8 juillet 2012, Éric de Putter, théologien français qui enseignait au sein de l’Université protestante d’Afrique centrale, était assassiné au Cameroun. Où en est l’enquête aujourd’hui ? Cet article a été également publié dans l’édition du 13 janvier 2022 de l’hebdomadaire Réforme.

Éric de Putter © Défap

Depuis le « salon rouge » du Défap, où sont reçus les invités de marque, on peut voir dans le jardin une plaque commémorative. Elle rappelle la mort d’Éric de Putter, assassiné au Cameroun. Ce jeune théologien, envoyé par le Défap en tant que Volontaire de Solidarité Internationale, enseignait l’hébreu, l’Ancien testament et les religions comparées à l’Université protestante d’Afrique centrale (UPAC), au sein de la faculté de théologie. Le 8 juillet 2012, il a été poignardé à l’entrée de son domicile à Yaoundé. Seul témoin, son épouse, Marie-Alix de Putter, n’a entendu que des éclats de voix. Nul n’a vu l’assassin. Éric de Putter avait 31 ans.

Dès l’annonce du drame, ses proches restés en France, anéantis, veulent comprendre. Leur seul interlocuteur est le Défap : c’est au Défap qu’ils demandent des comptes. Les procédures de sécurité ont-elles été respectées ? Le suivi de la mission a-t-il été suffisant ? Dans l’équipe du Défap, après la sidération, on cherche aussi des explications.

Deux personnes placées en détention, puis libérées sans aucune charge

Au cours des mois précédant sa mort, Éric de Putter avait dénoncé des faits de corruption au sein de la faculté. C’est dans ce sens que s’oriente l’enquête au Cameroun. Dès les premières semaines, un pasteur dont Éric de Putter avait refusé la thèse pour plagiat, et le doyen de l’Université, sont placés en détention provisoire. Puis l’enquête patine. Au bout d’un an, ces deux personnes seront relâchées. Aucune charge ne sera retenue à leur encontre.

En France aussi, une enquête est lancée. Les responsables du Défap sont auditionnés. La justice française ne relèvera aucune défaillance du Défap ayant pu contribuer à la mort d’Éric de Putter.

Les relations entre Églises protestantes de France et du Cameroun se tendent. Les projets avec l’UPAC sont suspendus. Les partenaires de l’Université, au nombre desquels on compte non seulement le Défap et la Cevaa, mais aussi DM-Échange et mission, EMW (Evangelisches Missionswerk in Deutschland) et ICCO-Coopération, réclament des réformes urgentes. Les autorités de l’Université sont renouvelées. À Yaoundé, la promotion 2013 de la faculté de théologie est baptisée « promotion Éric de Putter », pour, souligne le nouveau président du Conseil d’Administration de l’UPAC, « garder en mémoire ce professeur qui constitue pour nous un symbole de courage ».

« Nous avons besoin de la justice par la vérité »

Cette phase dure plus de trois ans. Trois années pendant lesquelles les représentants du Défap multiplient les rencontres avec les autorités françaises et camerounaises pour tenter de faire avancer l’enquête. Faute d’autre moyen d’action, la famille, pour sa part, multiplie les interpellations au Défap. Marie-Alix de Putter en appelle au ministère de la Justice : elle a créé avec des proches « Semeurs de Liberté », une association destinée à honorer la mémoire et l’engagement d’Éric de Putter.

Mais les relations entre justice française et justice camerounaise achoppent sur des obstacles infranchissables. Il existe des accords de coopération judiciaire depuis 1974 ; mais dans ce dossier qui concerne un crime, la France ne peut coopérer avec un pays où la peine de mort est toujours en vigueur. Du coup, le Cameroun ne permet pas au juge français d’enquêter sur place. Fin 2015, la justice camerounaise annonce qu’elle ne donnera pas suite à la commission rogatoire internationale délivrée par le juge d’instruction français.

Entretemps, l’UPAC a réalisé d’importantes réformes de gouvernance. Les relations se dégèlent. Signe de ce rapprochement, le 28 juin 2016, une cérémonie d’hommage à Éric de Putter est organisée à l’Institut français de Yaoundé, en présence de l’ambassadrice de France au Cameroun. Elle associe le Défap, l’UPAC et l’Église protestante unie de France, représentée par Laurent Schlumberger. « Nous avons besoin de la justice par la vérité », déclare ce dernier. « C’est cette vérité qui nous est nécessaire, et pour laquelle nous devons tous nous engager : pouvoirs publics du Cameroun et de France, autorités judiciaires des deux pays, Université protestante d’Afrique centrale et Défap, Églises d’ici et de là-bas. »

Mais les années s’écoulent et l’enquête n’avance pas.

Chaque année, des rencontres ont lieu entre le Défap et le ministère français de la Justice. Et en janvier 2018, un espoir renaît, ténu. L’un des interlocuteurs du Défap lui suggère de se constituer partie civile. Il serait alors possible d’accéder à toutes les pièces du dossier. Pour, peut-être, trouver un moyen de relancer l’enquête…
Mais la procédure judiciaire est stricte. Pour qu’une association se constitue partie civile, il faut qu’elle ait un « intérêt à agir », soit parce qu’elle a directement subi un préjudice, soit parce qu’elle a pour objet de lutter contre le type de crime poursuivi, ou d’en défendre les victimes. Ce n’est pas le cas du Défap, qui est débouté. Et début 2021, le tribunal judiciaire de Paris rend une ordonnance de non-lieu. Cette décision ravive la douleur de la famille, qui se sent abandonnée.

Aujourd’hui, l’enquête judiciaire côté français est officiellement close. Pour espérer la rouvrir, il faudrait de nouveaux éléments. L’assassin est toujours libre. Il y a pourtant une famille brisée qui espère encore que justice soit rendue ; et au Défap, des salariés et des bénévoles qui portent toujours la mémoire douloureuse d’Éric de Putter.

Pour aller plus loin :
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