Cet article a été publiée dans l’hebdomadaire Réforme pour le troisième anniversaire de la mort d’Éric de Putter, le 9 juillet 2015.

Éric de Putter © Défap

Il y a trois ans, Éric de Putter, théologien protestant, était assassiné au Cameroun. Depuis, l’enquête piétine. Réforme a rencontré l’ambassadeur français en poste à l’époque.

« Je suis à un point où je ne sais plus quoi faire. Mais je ne veux pas abandonner. » Au téléphone, la voix délicate de Marie-Alix de Putter n’en reste pas moins déterminée. Cela fait maintenant trois ans que son mari, qui enseignait l’hébreu, les sciences des religions et l’Ancien Testament à l’Université protestante d’Afrique centrale (UPAC) de Yaoundé, au Cameroun, a été poignardé à leur domicile. Trois ans que les assassins courent toujours et que l’enquête piétine. Chaque année autour du 8 juillet, date de l’assassinat du théologien âgé de 31 ans, Réforme fait un point sur l’enquête et ne peut que constater l’impasse.

Commissions rogatoires

« À l’automne dernier, nous avons rencontré et demandé à des responsables de l’Église évangélique du Cameroun de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour faire avancer l’enquête. En janvier, l’ambassade française à Yaoundé nous a informés que la commission rogatoire internationale des autorités camerounaises lui était parvenue pour être transmise aux autorités françaises. Je ne sais pas s’il y a une relation de cause à effet », confie Bertrand Vergniol, secrétaire général du Défap. Le Service protestant de mission avait envoyé Éric de Putter enseigner dans la capitale camerounaise en septembre 2010. « Depuis plus d’un mois, je demande à être reçu par le ministère de la Justice française pour savoir ce qui s’est passé depuis. Nous attendons le rendez-vous », ajoute Bertrand Vergniol. En revanche, aucune nouvelle de la commission rogatoire côté français.

Pour Bruno Gain, l’ambassadeur français en poste à Yaoundé en 2012, il ne faut pas attendre grand-chose de ces deux commissions rogatoires : « À l’heure où on transfère de l’argent d’un clic entre la France et l’île de La Barbade, la commission rogatoire, elle, met un temps fou à passer de service en service. »

L’ancien diplomate sort de sa poche un article de Marie-Alix et Éric de Putter publié trois mois avant l’assassinat, dans Mission, l’ancienne revue du Défap. Pour lui, ce texte est au cœur de l’affaire et éclaire la personnalité d’Éric de Putter, vraisemblablement trop intègre et franc pour un pays corrompu comme le Cameroun. « Nous étions venus ici pour tenter de participer à un mouvement d’unité et de convergence. C’est plutôt un éclatement sur une dispersion. Nous pensions venir partager un projet ecclésial et communautaire. C’est bien plutôt la lutte individuelle, la querelle des clochers, la compétition entre les Églises, et sans rire, cela se traduit dans le vocabulaire académique enseigné aux futurs pasteurs : compétitivité, croissance, rendement… », écrivent les époux de Putter. Ils déplorent également la corruption généralisée, les « préférences tribales » qui bloquent le pays. Et poussent « un cri d’alerte » pour lancer « une grande réflexion » et « fixer des objectifs ».

« Éric a dit tout haut ce que tout observateur averti pense tout bas. J’ai exactement la même vision du pays que lui. Cet article, j’aurais pu le signer », déclare Bruno Gain. Sauf que dans un pays comme le Cameroun, « miné par la corruption », critiquer ouvertement est dangereux. Bruno Gain avait croisé Éric de Putter à Yaoundé et l’appréciait : « Cet homme, d’une rigueur intellectuelle et morale, a été déçu et a laissé parler son cœur. Les volontaires envoyés comme lui vivent comme les Camerounais et pensent donc qu’ils sont immunisés contre les réactions de la population qui n’est pas forcément bien disposée envers les Occidentaux depuis la décolonisation. C’est un pays compliqué, où la corruption concerne toutes les couches de la société, y compris la fac dans laquelle Éric enseignait. »

« C’est vrai que l’ambassadeur a beaucoup parlé de cet article à l’époque. Je ne sais pas s’il a eu un rôle. Nous l’avons écrit de bonne foi, dans l’optique d’améliorer les choses et non de jeter la pierre. Et le magazine Mission était distribué aux volontaires, pas à l’extérieur », rétorque Marie-Alix de Putter. « On pensait donner des nouvelles aux autres volontaires du Défap, pas faire quelque chose de dangereux », ajoute-t-elle.

Ce texte intitulé « Cameroun : arrêtons de faire comme si tout allait bien ! » a été rédigé au début de l’année 2012, au retour d’un voyage du couple dans le nord du pays. Il n’a été publié qu’en avril 2012 à un moment où les relations d’Éric avec plusieurs personnes de l’université étaient particulièrement tendues, selon sa femme.

« Éric remplaçait un collègue pour coordonner la session d’examens à venir du département de théologie. Il avait décidé de faire respecter le règlement intérieur. Mais les gens de la fac ont pensé qu’il avait durci les règles. À partir de février, Éric a commencé à recevoir des menaces orales de la part d’enseignants et d’étudiants. Un ami étudiant croisé en dehors de la fac nous a dit qu’il ne préférait plus venir chez nous car c’était devenu trop dangereux vu ce qu’il entendait sur nous à l’université », se souvient Marie-Alix de Putter qui ajoute : « Éric l’a d’autant plus mal vécu qu’il était profondément convaincu que le débat et la confiance existaient dans un environnement d’Église. »

Isolés dans un monastère

Le climat sur le campus était tel que le couple avait prévu de s’isoler dans un monastère catholique de Yaoundé en attendant la fin des examens et leur retour en France prévu début août. Éric de Putter a été assassiné la veille de son déménagement du campus, selon sa femme « alors que nous ne l’avions dit à personne », précise-t-elle.

« À mon avis, il faut chercher les responsables dans ses connaissances de la faculté. Certains ont dû se sentir visés par cet article et ont eu peur des conséquences. Car si la corruption est généralisée, il y a parfois des arrestations et des condamnations à valeur d’exemple, même au plus haut sommet de l’État », lance, sans ciller, l’ex-ambassadeur.

À ce stade de l’enquête, les Camerounais ne font pas de lien entre l’assassinat d’Éric de Putter et son emploi à l’UPAC. Un constat répété par le recteur de l’université, joint par téléphone : « Peut-être que l’ambassadeur a des infos que nous n’avons pas. Moi, à ce stade, je n’ai aucune idée des responsables. Le conseil d’administration de l’UPAC a rencontré plusieurs fois le ministre de la Justice camerounaise. On nous répond que l’enquête suit son cours. Nous allons continuer de prier et d’intercéder jusqu’à ce que notre Dieu nous dévoile la vérité. Et grâce à Dieu, on trouvera un jour. C’est mon intime conviction de chrétien et de pasteur », répond calmement le professeur Bouba Mbima.

« L’enquête a été bâclée. Elle n’a pas été menée avec suffisamment de rigueur et on risque malheureusement d’attendre longtemps son issue », regrette l’ex-ambassadeur. Une position partagée par le colonel de gendarmerie français qui était à l’époque responsable de la sécurité de l’ambassade. Les deux hommes n’étaient pas impliqués dans l’enquête camerounaise mais ont observé le travail de la police et de la justice du pays africain. « La scène de crime n’a pas été préservée du passage et donc des traces des policiers et des curieux », « il n’y a pas eu de fouille autour de la maison pour retrouver l’arme du crime », « les enquêteurs se sont focalisés sur un étudiant de la victime et le doyen de l’université, finalement relâchés, sans chercher d’autres pistes », commence à lister l’officier, dépité.

Un autre élément n’a malheureusement pas joué en faveur du théologien, selon Bruno Gain. L’affaire a été beaucoup moins médiatisée que d’autres dossiers français, comme celui de l’avocate franco-camerounaise Lydienne Yen Eyoum, écrouée depuis 2008 (lire ci-contre). Le 3 juillet, François Hollande était en visite officielle au Cameroun. Il a évoqué avec le président camerounais, Paul Biya, le cas de Lydienne Yen Eyoum. A-t-il parlé de l’assassinat de l’enseignant protestant ? Nous n’avons pas reçu de réponse de l’Élysée à ce sujet.

« J’espère que l’avenir donnera tort à l’ambassadeur et que l’enquête aboutira. Ce n’est pas tenable et profondément injuste de ne pas connaître la vérité quand on sait à quel point Éric était à l’écoute et au service des autres », réagit Marie-Alix de Putter.

Hommages

Face à la lenteur de l’enquête, l’entourage d’Éric de Putter se mobilise pour entretenir son souvenir et défendre ses idéaux. Le 21 mars, une plaque a été inaugurée (voir photo) et un Ginkgo biloba a été planté dans le jardin du Défap. Un « arbre particulièrement résistant qu’Éric aimait et qui le rassérénait », a déclaré ce jour-là Marie-Alix de Putter. Un prix « Éric de Putter » a aussi été créé cette année à la faculté de théologie de Strasbourg, financé par l’association Semeurs de liberté. Côté Cameroun, chaque 8 juillet , une séance de prières est organisée sur le campus « pour la famille, son épouse, le Défap, nos autres partenaires et nos deux pays », précise le recteur Bouba Mbima. Un bâtiment de l’université et la promotion d’étudiants 2014 ont été baptisés « Éric de Putter ».

Et surtout, une réforme du fonctionnement financier et académique de l’UPAC a été enclenchée après la mort du théologien. La reprise des relations entre l’UPAC et ses partenaires internationaux (dont le Défap) en dépend. Y compris le dégel des subventions versées à l’université camerounaise.

Par Elise Bernind

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