Deuxième de notre série de témoignages sur les expériences d’interculturalité vécues à travers le Défap : Natacha Cros-Ancey, pasteure coordinatrice CPLR, évoque les relations étroites nouées entre le Défap et l’organisme chargé de formation permanente des pasteurs au sein duquel elle travaille. Tous les deux ans, CPLR et Défap mettent sur pied un stage dont les participants sont des pasteurs d’une Église du Nord, et des pasteurs d’une Église du Sud. Avec à chaque fois des rencontres fortes, et des relations qui s’établissent par-delà les frontières culturelles.
Participants du stage interculturel réunis dans la chapelle du Défap, au premier jour de la session 2022 de l’échange France-Togo. Vers le fond, devant le paperboard, Natacha Cros-Ancey © Défap
Comment se passe la collaboration CPLR-Défap lors de ces stages ?
Natacha Cros-Ancey : Les offres de formation sont interculturelles dès l’origine : elles sont élaborées dans le cadre d’un partenariat Nord-Sud. Avec des participants qui sont des pasteurs d’Églises du Nord et du Sud… À la CPLR (Communion protestante luthéro-réformée, lire Défap et CPLR : une relation au service de la mission pour plus de détails), on s’appuie sur les compétences du Défap pour les contacts initiaux avec les Églises. En considérant que le Défap a une expertise spécifique sur un certain nombre de pays, du fait, soit de liens institutionnels, soit de projets en cours avec les Églises concernées. Une fois les contacts établis, le choix du sujet se fait de manière concertée. On établit la liste des intervenants pressentis en fonction des thèmes. S’il s’agit d’une session qui se déroule en France, un accueil est organisé au Défap, puis on prévoit un circuit dans des paroisses de France…
Quelles ont été les thématiques des dernières sessions ?
J’ai participé à quatre de ces sessions depuis que je suis à la CPLR. Deux impliquaient l’Église protestante méthodiste du Bénin (les participants français avaient été reçus au Bénin en 2016, et les participants béninois en France l’année suivante ; ils avaient pu assister à Protestants en Fête) ; deux autres avaient mis en lien des pasteurs de France et du Togo. Dans le cas du Bénin, le thème de la « session aller » portait sur les questions de développement et de développement durable ; pour le retour, il s’agissait beaucoup plus d’analyse interculturelle. Dans le cas du Togo, la « session aller » portait sur des questions d’accompagnement familial, d’éthique familiale et conjugale (en s’appuyant sur le travail mené au sein de la Cevaa autour de la famille) ; pour la « session retour » en France, les participants du stage ont souhaité travailler sur le thème des miracles et des guérisons, en prenant en compte la question de l’inculturation des pratiques traditionnelles. Il est important de souligner que ce sont vraiment les stagiaires eux-mêmes qui ont choisi la thématique.
Participants du stage interculturel se retrouvant par petits groupes dans le jardin du Défap, au premier jour de la session 2022 de l’échange France-Togo © Défap
Quelles relations s’établissent lors de ces stages ?
Des relations fortes, suivies, et qui demeurent. Ces stages CPLR-Défap se caractérisent par un vécu très fort de la part des participants, majoré par la dimension de rencontre interculturelle que l’on retrouve dans toutes ces sessions. Pendant le stage, on forme des binômes entre des pasteurs d’Églises différentes ; il se crée ainsi des liens qui peuvent perdurer des années, et aller au-delà des échanges par WhatsApp qui se poursuivent jusqu’à aujourd’hui entre tous les participants d’un stage.
En quoi ces rencontres sont-elles précieuses ?
Ces stages sont précieux à la fois d’un point de vue théologique et d’un point de vue pratique. La vision du monde qu’ont les participants en est durablement impactée. Dans un premier temps, du fait de la distance culturelle, les uns et les autres mettent plus de temps à se rapprocher, se comprendre ; les modalités de formation diffèrent aussi entre le Nord et le Sud… Tous les participants prennent alors conscience que chacun est porteur d’une vision du monde et d’une herméneutique ; et le contexte du stage force chacun à dire d’où il parle, d’où vient qu’il perçoit les choses de telle manière, d’où vient sa manière de les dire et de les décrire… Mettre ainsi à jour nos présupposés personnels, théologiques, herméneutiques, c’est très précieux. Au contact les uns des autres, les divers participants en viennent à prendre du recul vis-à-vis de leur propre pratique pastorale. De manière générale, je dirais que se former ensemble, pour des pasteurs d’Églises et de contextes culturels différents, ça apporte aux uns et aux autres de la finesse : on s’éloigne naturellement des jugements à l’emporte-pièce. Ça ne peut pas tenir, les jugement à l’emporte-pièce, en contexte interculturel : on doit nécessairement analyser, discuter, et accepter d’être déplacé.
Au-delà de cette prise de conscience et de ce recul, qu’y gagnent les participants ?
Une réassurance mutuelle. Les pasteurs du Nord y gagnent du recul sur leurs pratiques pastorales. Les pasteurs du Sud, qui ont une connaissance vraiment pointue des textes de la Bible, ancrée dans une pratique quotidienne, repartent de ces stages CPLR-Défap avec une conscience accrue de leur expertise biblique. Ils gagnent aussi une réassurance par rapport à la vitalité de leur foi : ils sont souvent frappés de la sécularisation des sociétés en Europe, de la timidité du témoignage : ils mesurent toute la vitalité spirituelle dont ils sont les dépositaires. Un autre aspect important pour les pasteurs du Sud : ces stages leur donnent de l’espace par rapport à une société qui peut rester très traditionnelle. L’apport des sciences humaines est très utile pour cela…
Quelle impression vous reste après ces sessions ?
Il y a une joie profonde à se rencontrer : c’est de l’ordre de la grâce et du cadeau. Ces stages CPLR-Défap sont des sessions qui m’ont beaucoup marquée : il y a un avant et un après ces rencontres. Avec plein de conséquences pour notre ministère, et avec une vraie puissance spirituelle… Il y a des liens d’amitié spirituelle qui s’établissent… Si l’interculturel implique toujours une distance, partager une même foi permet de la franchir.