Une pandémie révélatrice des forces et faiblesses

Le Docteur Célin Nzambe est médecin missionnaire, partenaire du Défap. Il a été de nombreuses années responsable de l’hôpital de Bafia au Cameroun. Aujourd’hui il est médecin chef de l’Hôpital EPC (Église presbytérienne du Cameroun) de Djoungolo. Il témoigne de l’impact de la crise sanitaire au Cameroun.

 

Docteur Célin Nzambé

Comme lors de l’épidémie au choléra, l’Hôpital presbytérien de Djoungolo dont j’assume actuellement la charge, est réquisitionné depuis mars 2020 par l’État camerounais pour prendre en charge les malades atteints de Coronavirus. L’imprévisibilité et la massivité de la pandémie au Covid-19 nous ont tétanisés au début. Puis nous nous sommes souvenus de notre engagement en tant qu’hôpital d’église : être aux côtés des démunis. Et les réflexes face aux épidémies auxquelles nous avons déjà été confrontés nous sont revenus.

A part quelques désistements minimes au sein du personnel, l’ensemble de l’équipe médicale et paramédicale a accepté avec force de se jeter vers l’inconnu et de soigner les malades atteints de ce virus mortel. Médecins Sans Frontières et plusieurs personnels étatiques se sont joints à nous dans cette prise en charge. A ce jour l’Hôpital EPC de Djoungolo a pris en charge plus de 350 cas confirmés, sans compter des cas suspects. Nous avons eu à déplorer, malheureusement, 5 décès. Par la grâce de Dieu, aucun personnel n’a été contaminé, même si deux médecins ont dû être mis au repos pour suspicion au covid-19 mais sans confirmation.

Le Cameroun, à l’inverse des autres pays, n’a pas imposé de confinement strict, juste quelques mesures barrières. On s’attendait donc à la catastrophe prédite et clamée par le secrétaire de l’ONU et l’OMS pour les pays africains. Mais nous devons avouer que nous avons été nous-même les premiers surpris par le faible impact sanitaire de cette maladie sur notre population. Même si sur le plan économique les inquiétudes sont grandes.

Comment expliquer ce faible effet de covid-19 sur nos populations. Aucune étude n’a été menée dans ce sens, mais plusieurs hypothèses, qui mériteraient d’être confirmées par la suite, ont été évoquées. Les plus connues seraient que ce virus circule moins bien dans le climat chaud ; la population africaine habituellement confrontée à plusieurs infections aurait développé, bien avant l’arrivée du virus, des anticorps qui rendent moins actifs le covid-19 ; la jeunesse de la population africaine qui favorise des formes asymptomatiques et moins graves ; etc.

Mais au-delà de ces hypothèses, nous avons remarqué sur le terrain, sans que cela soit clairement dit, que les états africains ont pris le pari de laisser circuler le virus afin de favoriser l’immunité collective afin d’éteindre rapidement l’épidémie. Pour éviter l’encombrement des hôpitaux par des malades peu symptomatiques, et dans la mesure où cela n’était pas dangereux, les états africains ont favorisé les traitements placébos alternatifs proposés par les tradipraticiens, les leaders ecclésiastiques et les scientifiques improvisés chercheurs. Ainsi, face à ce virus inconnu et à l’anxiété généralisée qu’il générait, la population ne s’est pas retrouvée sans armes et se sentait apaisée, évitant ainsi la panique collective. Les opportunistes internationaux et nationaux ont profité de la peur provoquée par le Covid-19 pour développer un business visant, non à rendre service mais à se servir.

Pour nous Hôpital de l’Eglise, cette pandémie a été révélatrice de nos faiblesses et forces. La confiance en Dieu, nous a enlevé la peur d’aller au front et d’accueillir tout le monde. Nous avons ainsi vu passer dans notre hôpital des hautes autorités qui n’auraient jamais osé venir chez nous en dehors du Covid-19. Nous nous sommes aussi rendu compte du manque cruel des moyens pour prendre en charge les cas graves et notre faiblesse dans le management du personnel en temps de crise.

Aujourd’hui le Cameroun a amorcé la phase de décroissance de la pandémie, et le relâchement des efforts à tous les niveaux inquiète. Pour les énormes efforts consentis, le personnel de l’hôpital espère une reconnaissance de l’Etat qui tarde à venir. Il sait aussi que nous aurons du mal à convaincre les malades de reprendre confiance à un hôpital qui ne faisait que du Covid. Ce Covid-19 est à la fois une chance pour reformer les soins et un drame si rien n’est fait.




De Paris à Bukavu, en RD Congo

Adrien Bahizire Mutabesha est le doyen de la faculté de théologie de l’Université Évangélique en Afrique (UEA) à Bukavu. Il était en France pour un congé de recherche de trois mois qui s’est prolongé jusqu’en juillet suite à la crise sanitaire. Son sujet :  » Résilience et spiritualité pentecôtiste dans le contexte de la République démocratique du Congo ».

 

Adrien Bahizire Mutabesha

J’ai atterri à l’aéroport Charles de Gaule à Paris le 14 février 2020 et je devais regagner la République démocratique du Congo, mon pays à la fin du mois d’avril de cette même année. La bourse qui m’a été accordée par le DEFAP devait ainsi m’aider à me connecter à plusieurs ressources sur la résilience pour affiner mes idées de cherche sur la thématique en liaison avec le pentecôtisme.

Mais de la R.D. Congo à la France après un séjour de six ans d’études doctorales en Corée du Sud, je me suis aperçu petit à petit que ma foi de pentecôtiste était de diverses influences que je ne maîtrisais pas. Et jusqu’à l’heure où j’écris cette page, ce mystère persiste. En effet, je ne savais pas expliquer pourquoi, une fois à Séoul ou à Paris, je me sentais mieux quand j’adorais Dieu chez les Réformés ou chez les Baptistes que quand je participais au culte chez les frères pentecôtistes charismatiques dont mon Église était sensée partager les convictions spirituelles.

Mais aussi, plus je m’éloignais de Bukavu, ma ville natale, et que plusieurs bibliothèques s’ouvraient à moi, plus les repères de mon Église se complexifiaient. C’est de cette expérience confrontée aux réalités socioculturelles différentes qu’est née en moi l’idée de mener une étude sur la  »Résilience et spiritualité pentecôtiste dans le contexte de la RDC ». Malheureusement l’irruption de la Covid-19 est venue perturber mon élan de réflexion sur le sujet lors de ce séjour en France. Confinement et déconfinement se sont conjugués en moi sans que je puisse assouvir mes ambitions de recherche. Qu’importe !
J’étais déjà sur une première conclusion que ma foi était le fruit d’un pentecôtisme non connu en France et en Corée du Sud, non maîtrisé par moi-même, non encore décrit d’un point de vue historique et qui nécessitait alors des fouilles sérieuses. Les Scandinaves luthériens et baptistes qui l’ont propagé doivent l’avoir transmis dans son luthéranisme et son baptisme teinté de pentecôtisme sans autre ‘isme’ particulier. Il est tout de même singulièrement caractérisé par son ancrage dans le monde de l’imaginaire en lien émotionnel avec des actions sociales et humanitaires conséquentes. Cette combinaison crée en son sein un pouvoir sécurisant et porteur d’espoir pour des fidèles pentecôtistes qui se croient être les seuls  »protestants » dignes. Certes, la soif de poursuivre mes recherches dans les arcanes des bibliothèques parisiennes pour infirmer ou confirmer cette première conclusion effacera en moi les stress du confinement de 2020 et me ramènera certainement un jour au 102 du Boulevard Arago du quatorzième arrondissement.

Université évangélique d’Afrique à Bukavu (RdC)

Six mois seulement après mon arrivée en France, ces découvertes qui enrichissent ma propre foi et nourrissent mes recherches autour de la résilience, doivent être encore approfondies, et restent difficiles à exprimer et à partager avec mes proches, mes fidèles et mes collègues au moment du retour au pays.
La raison est simple à imaginer. Pour eux comme pour moi, la joie des retrouvailles est plus forte que la curiosité sur mes recherches. Ils ont retrouvé qui un père, qui un pasteur, qui un collègue qu’on croyait mort du Covid-19 et le voici revenu à la vie. Leur principale préoccupation a été d’écouter ce que disent les Blancs sur la pandémie, d’avoir les preuves de son existence réelle. En effet, malgré les cache-nez censés protéger la bouche de certains, ils croient à peine à la présence de la pandémie qu’ils pensent être une création occidentale pour terrifier les Noirs, qui aurait échappé au contrôle de ses initiateurs en se retournant contre eux. Ils n’ont pas vu de morts en cascade en Afrique. Ils n’ont vu que des cercueils à la télévision. Ils n’ont entendu que les informations qu’ils qualifient d’intox européenne. Le confinement de trois jours n’a pas suffi (pour) à les convaincre bien qu’il ait suscité un système d’automédication traditionnelle jamais observé contre le paludisme et la grippe. Certains se disent timidement :  »Si c’est vrai que cette pandémie est une réalité, alors naître Noir et surtout Africain redevient une fierté. Mais en attendant la confirmation, mes amis, lavez vos mains à tout bout de champ et portez-vos cache-manteaux ».

Il faut comprendre : l’espérance est immense autour de celui qui revient tout de même de Paris ! Il doit avoir plein de chocolats dans ses valises, des financements pour des projets, des aides pour ce pays éprouvé… Dans l’imaginaire collectif six mois sur le sol français suffisent pour tout gagner et ne pas revenir les mains vides! Avec sympathie et humour, les langues se délient et les attentes s’expriment autour du rescapé du confinement de France, si bon négociateur : « le président Macron est jeune, la France doit aussi avoir rajeuni dans sa générosité ! »

C’est ainsi que la recherche sur  »la Résilience et la spiritualité pentecôtiste » devient une histoire personnelle et privée de son auteur. Ce qui intéresse de prime abord -et c’est bien normal- c’est son retour, sa bonne santé et ce qu’il a ramené. Malheur à ce pauvre chercheur si ces deux éléments lui font défaut ! Quant à son travail, commencé dans les bibliothèques de Paris, il n’attend qu’à être approfondi, mis en lien avec l’histoire de son Église et les expériences humaines dans le contexte si particulier de son pays, quelque part dans l’est de la RdC.

Pour relire le témoignage d’Adrien pendant le confinement, cliquer ici >>>

 

Adrien Bahizire Mutabesha et sa famille, à son retour à Bukavu




Éloigné, en confinement : parole à Mathilde

Partir à l’étranger avec le Défap, ce n’est pas seulement découvrir un autre pays, une autre culture, et y vivre de nombreux mois en immersion : c’est aussi se découvrir soi-même. Avec le Covid-19, d’autres problématiques se posent. Au travers de leurs lettres de nouvelles, les envoyés partagent leur ressenti mais aussi leurs questionnements.

Mathilde Ricklin est VSI auprès de la direction des écoles de la FJKM à Madagascar depuis 2018. Elle nous livre ici quelques morceaux choisis de son « journal d’une confinée »

Dimanche 2 février 2020,

Je reviens d’une tournée de formation de plusieurs semaines dans le sud de la Grande île, où je suis allée avec mon compagnon, venu me rejoindre pour un mois. Nous atterrissons à l’aéroport d’Antananarivo et remarquons tout de suite que quelque chose est différent. Des affiches mettant en garde contre un virus sont placardées un peu partout. Un spot publicitaire au sujet de ce virus passe en boucle sur les écrans. Le chauffeur de taxi qui nous ramène jusqu’à la maison nous explique qu’il ne prend plus de clients d’origine chinoise ou revenant de Chine, de peur d’attraper ce virus car plusieurs personnes seraient tombées malade. En ville, nous ne voyons pourtant aucune information concernant ce virus.

Quelques semaines plus tard… Jeudi 19 mars 2020,

Cela fait maintenant bien une dizaine de jours que j’ai réduit les contacts physiques. Ici les gens se serrent toujours la main. Au bureau avec mes collègues, les visites sont incessantes, alors en une journée, ça en fait beaucoup de mains à serrer ! Depuis une dizaine de jours, j’explique que je ne préfère pas d’échange physique à cause de ce virus. Les gens ne mesurent pas le danger potentiel, ils en rigolent tout en resserrant la main de mes collègues en partant… Mais depuis hier, les choses ont changé, la plupart des visiteurs évitent les mains et à la place se touchent le pied comme on l’a vu faire sur les réseaux sociaux. Ce pourrait être une vraie catastrophe si le virus se développe ici.

À partir de demain, les liaisons aériennes seront coupées pour trente jours, les bateaux n’accostent déjà plus depuis dix jours… Je me demande si le sentiment d’isolement sur l’île se fera sentir de manière plus forte.

Vendredi 20 mars 2020,

Dans la matinée d’hier et d’aujourd’hui, des inconnus croisés dans la rue se sont adressés à moi en utilisant le mot « coronavirus ». Alors oui, j’ai la peau blanche et l’on voit que je ne suis pas malgache, mais je ne suis pas d’accord avec ce préjugé. Il est à mon avis même dangereux que certains Malgaches imaginent que les « étrangers » sont (ap-)porteurs de maladies à Madagascar. Ils oublient trop souvent qu’il y a une grande diaspora malgache. Que beaucoup de leurs concitoyens vivent en France, en Europe, aux Etats-Unis, partout dans le monde. Ces personnes reviennent aussi voir leur famille ou passer des vacances sur la Grande Île et peuvent être porteurs de virus …

Ce sont ces remarques qui font prendre conscience de l’importance de la mission, de l’échange et du dialogue. En effet, elles sont signe de lacunes dans l’éducation ou dans la connaissance de l’autre, ce qui a pour résultat la stigmatisation, voir une forme de racisme.

Interviewé à la télévision, le président malgache annonce trois cas dans le pays.

Lundi 23 mars 2020,

Nous voilà donc quelques jours plus tard avec douze personnes prises en charge ayant les symptômes du Covid19. Le confinement a été proclamé hier soir, des restrictions sont mises en place.

Pour ma santé, je pense que ça va aller. Mais pour toutes celles et ceux qui n’ont pas accès à l’eau et au savon, qui ne peuvent pas rester à la maison mais sont obligés d’aller au marché pour vendre quelques produits afin de gagner de quoi survivre jusqu’au lendemain… C’est pour eux que la situation va être très compliquée.

J’ai beaucoup de chance, je ne suis pas seule, je suis invitée à me confiner chez des amis. La famille Minard, également envoyée par le Défap, m’accueille depuis que je suis à Madagascar lorsque j’ai besoin de compagnie et d’un peu plus de confort que chez moi. Chez eux, il y a tout ce qu’il faut, et des bouches à nourrir : un bonheur pour moi qui aime cuisiner !

Jeudi 26 mars 2020,

Nous en sommes à notre 4ème journée de confinement. Les enfants sont occupés par les devoirs envoyés par leurs professeurs sur une plateforme. En fin d’après-midi, nous jouons à des jeux de société, de quoi se détendre et rigoler… Les journées passent très vite, il y a les repas à préparer, un moment de repos toujours bienvenu. Avec Delphine, la maman, nous avons commencé un programme de « fitness » pour transpirer un peu. Enfin c’est surtout pour dépenser l’accumulation de « trop ». Trop de station assise, trop de repas, trop de gâteaux… Ou peut-être pour justement pouvoir encore manger ces douceurs qui font tellement de bien au cœur ?

La situation financière de la plupart des Malgaches ne va pas être facile. Heureusement, des alternatives se mettent en place. Le gouvernement a annoncé des aides spéciales pour ceux qui en ont besoin. D’ailleurs on ne sait pas trop quoi penser ici. Dix-neuf cas ont été annoncés. Ces personnes seraient en quarantaine. Le président a isolé Tananarive et Tamatave, il n’est plus possible d’y entrer ou d’en sortir. On espère que la situation sera réglée au plus vite tout comme en Europe et dans les autres pays du monde.

Samedi 28 mars 2020,

Ce matin, avec Timothée Minard, nous avons tenté une sortie « courses ». On a rapidement abandonné en voyant l’embouteillage monstre devant nous, nous disant que nous reviendrions après le déjeuner. Bonne idée ! En revanche, plusieurs rayons avaient été littéralement pillés. Ici c’est la chips qui a la cote !

Mardi 31 mars 2020,

France Volontaire a organisé un temps d’échange par visio-conférence pour prendre de nos nouvelles, savoir comment nous vivons le confinement. De quoi redonner le moral, aider à déculpabiliser quant au sens de la mission. Le bien que m’a fait cette discussion m’encourage à garder du lien par téléphone ou messagerie avec mes collègues, directeurs ou pasteurs rencontrés ici.

Mercredi 22 avril 2020,

Un retour à la normale est amorcé en douceur. Les élèves en classe d’examen ont repris le chemin de l’école. Les transports en commun sont à nouveau autorisés, avec seulement 18 personnes par navette. Le président malgache, Andry Rajoelina, annonce la production d’une boisson, le CovidOrganics, qui renforcerait les défenses immunitaires. C’est le début d’une grande polémique entre médecins, chercheurs, l’OMS etc.

Mardi 5 mai 2020,

Première sortie en solo depuis le début du confinement, c’est-à-dire six semaines ! Je suis retournée dans la petite maison à côté des sœurs de Mamré récupérer quelques affaires personnelles. J’en profite pour faire un état des lieux, du rangement et dire bonjour à mes voisines.

Monsieur Albert, chauffeur de taxi du quartier, me ramène chez les Minard. Il me raconte que la situation est plus que difficile. En temps normal, il a entre douze et quinze clients par jour. Depuis le confinement, il en a au maximum quatre. Il a déposé une demande d’aide auprès de sa mairie mais n’a que très peu d’espoir de la voir aboutir. Il m’explique que l’aide promise par l’état malgache n’est pas assez importante pour tous ceux qui en ont besoin.

Jeudi 7 mai 2020,

Alors qu’aucun cas de nouveau malade n’avait été rapporté ces derniers jours, voici qu’aujourd’hui trente-cinq personnes présentant des symptômes sont enregistrées. Je ne sais plus quoi penser. Même si ce chiffre semble insignifiant par rapport au nombre communiqué en une journée dans de nombreux pays, il donne le sentiment que la période de confinement sera beaucoup plus longue que ce que nous pouvions imaginer.

Vendredi 8 mai 2020, …




Éloigné, en confinement : parole à Delphine et Timothée

Partir à l’étranger avec le Défap, ce n’est pas seulement découvrir un autre pays, une autre culture, et y vivre de nombreux mois en immersion : c’est aussi se découvrir soi-même. Avec le Covid-19, d’autres problématiques se posent. Au travers de leurs lettres de nouvelles, les envoyés partagent leur ressenti mais aussi leurs questionnements.

La famille Minard est actuellement à Madagascar. Delphine est VSI à Tananarive auprès de la FJKM comme enseignante de français. Timothée enseigne à l’Institut supérieur de théologie évangélique (ISTE).

Le tremblement de terre Covid19 secoue aussi Madagascar, même s’il a fait moins de dégâts qu’ailleurs et que nous sommes déjà en train de nous déconfiner. Confinement, « cache-bouche », remède « vita malagasy »… Voici quelques mots sur notre vécu à Tananarive.

Le 20 mars dernier, l’épidémie de Covid19 a officiellement atteint Madagascar. En vue de tenter de contenir la propagation du virus, le gouvernement a pris rapidement des mesures assez radicales : le confinement a notamment été imposé dans la capitale ainsi que dans deux autres grandes villes du pays. Tous les vols internationaux et nationaux ont été interrompus jusqu’à ce jour.

Comme partout dans le monde, on a vu des foules se hâter vers les pharmacies en espérant trouver des « cache-bouche » (comme on dit ici) ou de la chloroquine. Les rayons et étals de riz, aliment de base à Madagascar, ont été dévalisés.

Le confinement n’est pas facile à vivre pour une grande partie de la population qui souvent ne fait que (sur)vivre avec son salaire du jour, ou qui loge à cinq personnes (ou plus) dans une seule pièce. Conscient de cette situation, l’Etat malgache a rapidement mis en place une distribution de nourriture pour les plus démunis. Ainsi, les rues de la capitale étaient loin d’être désertes pendant le confinement et nous avons même expérimenté des embouteillages. Heureusement, l’épidémie ne semble pas s’être véritablement propagée à Madagascar. Nous sommes le 25 avril et, depuis cinq semaines, seules 123 personnes ont été testées positives au Covid19, dont peu de malades, très peu de cas graves et aucun décès. Ces dix derniers jours, seule une dizaine de nouveaux cas ont été détectés.

Nos activités confinées

Bien entendu, les cours dans les écoles FJKM ainsi que ceux de l’Institut Supérieur de théologie évangélique (ISTE) où enseigne Timothée, ont été suspendus. Ici, il n’est guère envisageable de poursuivre la formation « à distance ». Même si Madagascar possède un des meilleurs réseaux internet haut-débit d’Afrique, peu nombreux sont ceux qui peuvent se payer un abonnement illimité. Par contre, les réseaux sociaux et les SMS sont très utilisés, ce qui permet de garder le contact avec les collègues et étudiants.

En tant que famille, nous avons conscience d’avoir vécu le confinement de façon privilégiée. Nous avons un logement spacieux. Eve et Ethan ont eu le privilège de suivre les cours des écoles françaises depuis la maison, grâce à internet. Nous ne manquons de rien (et avons même mangé un peu trop de gâteaux maisons ces dernières semaines !). Nous avons aussi la joie d’avoir Mathilde, une française envoyée du Défap à Tananarive, qui loge avec nous.

Ce confinement forcé nous a permis de souffler un peu après une période particulièrement chargée. Nous ne comptons plus les parties de jeux de société (avec une préférence pour « Splendor ») et les activités manuelles. Nous avons vécu de bons moments de culte à la maison (préparés par les enfants). Les séances « fitness » fréquentes (surtout fréquentées par les filles) ont permis d’évacuer un peu les calories emmagasinées. Enfin, pour Timothée, habitué à être « confiné » dans son bureau, ce fut l’occasion de pouvoir trouver un peu de temps pour avancer dans ses travaux d’écriture.

En déconfinement !

Face à la faible propagation de l’épidémie, le gouvernement a mis en place un déconfinement progressif depuis le 22 avril. Celui-ci s’accompagne d’une distribution massive de « cache-bouches » (dont le port est désormais obligatoire, et en cas de défaut les personnes sont condamnées à des peines de travaux d’intérêt général avec effet immédiat !) et du remède « vita malagasy (= Made in Madagascar) », le « Covid Organics » (une tisane de plantes médicinales dont le président semble convaincu de l’efficacité).

Dans les écoles malgaches, seules les classes ayant des examens à passer en fin d’année scolaire (7e=CM2, 3e et Terminale) reprennent les cours pour le moment. Delphine devrait probablement reprendre son cursus début mai. Quant aux enfants, qui suivent le système français, en vacances scolaires jusqu’au 4 mai, ils ne savent pas encore s’ils reprendront les cours à l’école ou à la maison. À l’ISTE, les activités vont reprendre ce lundi 27 avril. Les transports en commun étant pour le moment interdits dans la capitale l’après-midi, les cours ne reprendront que le matin dans un premier temps. Conformément aux directives du gouvernement, des « mesures barrières » ont été mises en place : port de « cache-bouche » obligatoire, distance d’un mètre entre les étudiants dans les salles de classe, lavage des mains et prise de température à l’arrivée.

Humilité, reconnaissance et espérance

Ces trois mots représentent bien ce que ce temps particulier évoque chez nous. Cette pandémie révèle la folie de notre prétention à vouloir tout maîtriser. Le COVID-19 nous pousse à l’humilité et nous apprenons à dépendre de Dieu qui, lui seul, maîtrise toutes choses.

Nous sommes reconnaissants pour l’absence de morts à Madagascar et reconnaissons la grâce de Dieu derrière cela.

Enfin, nous voulons fixer nos regards vers celui qui est la source de notre espérance. Une espérance qui, comme nous l’avons rappelé à Pâques, est plus forte que la mort !

Reprise des cours pour Timothée




Confiné mais pas isolé

Par leurs lettres de nouvelles, les pasteurs, en mission hors de France, partagent leur vécu et leurs questionnements, dans le contexte de la pandémie de Covid19. Comment faire Église ensemble tout en restant confiné ? Comment vivre et partager l’Évangile ?

 

Yves Chambaud est en mission pastorale courte à Cayenne auprès de l’Église protestante en Guyane.

La Guyane n’a pas été autant touchée par le virus que l’Hexagone. Mi mars, des mesures drastiques ont été prises, jusqu’à fermer les frontières avec le Brésil et le Surinam. A ce jour nous n’avons à déplorer qu’un seul décès. Le risque et le danger peuvent venir de l’extérieur, d’où une grande vigilance et un grand respect des consignes préfectorales.

L’Église protestante de Guyane a pris l’habitude de vivre le « désert », la solitude, l’isolement. Cette Église sans domicile fixe, sans lieu de vie attitré, sans pasteur permanent depuis de nombreuses années, avec beaucoup de mouvements de personnel, s’est accoutumée de ce provisoire qui dure.

Mais le confinement n’est pas le vide. Une nouvelle façon de vivre l’Église a émergé. Les réseaux se sont réactivés. Les solidarités et le soutien fraternel sont devenus une réalité, avec une parole pastorale et un mot d’ordre  » prendre soin et avoir le souci des autres ».

Chaque groupe communique avec autonomie et bienveillance par les réseaux sociaux. La vie spirituelle change de style et de modalité.

Et le pasteur dans tout cela ? Il fait le lien. Il accompagne par des appels systématiques et de fréquents courriels à l’ensemble des paroissiens et amis. Le moindre événement est vécu avec intensité, d’autant plus que l’ensemble de la communauté est en diaspora. Chacun porte aussi dans sa prière et dans son cœur son pays, sa famille.

L’activité pastorale se déploie en premier lieu par une écoute et un accueil des questionnements. La rencontre n’est pas physique, mais elle n’en est pas moins intense. Une sorte de thérapie de la foi s’instaure. Des interrogations, des craintes nouvelles apparaissent. On cherche un coupable et un responsable, ou à comprendre ce qui arrive. Il me semble que l’expression de la foi se déplace aussi sur des problématiques plus existentielles et plus solidaires. Une prise de conscience sur notre façon de vivre fait jour. Les « pourquoi » s’estompent, faisant place au « comment » et à l’« après ».

Le moindre geste et tous les mots prennent davantage de valeur. Les signes de reconnaissances sont vécus comme des bénédictions. Confiné certes, éprouvant assurément, mais pas destructeur.

En espérant et en attendant des jours meilleurs. L’« après » sera certainement différent de l’aujourd’hui.

 




Ce « petit machin de virus »

Par leurs lettres de nouvelles, les pasteurs, en mission hors de France, partagent leur vécu et leurs questionnements, dans le contexte de la pandémie de Covid19. Comment faire Église ensemble tout en restant confiné ? Comment vivre et partager l’Évangile ?

 

Pierre Thiam est VSI à Djibouti comme directeur du centre social ainsi que pasteur de l’Église protestante évangelique de ​Djibouti (EPED).

On a presque tout vu ou tout entendu avec cette pandémie de Covid19. S’il ne s’agit pas d’un virus fabriqué de toute pièce, il est un nouveau signe donné par Dieu pour appeler son peuple à revenir à lui ou une nouvelle accusation à l’encontre des animaux comme les pangolins, les chauves souris, etc. Que tout ce qui se dit soit vrai ou faux, ce qui est sûr, c’est que ce petit « machin de virus » pour emprunter l’expression d’un internaute, est entrain d’abimer le monde.

Ce virus a bloqué le monde. Par un jour de confinement, mon attention a été attirée par un bruit venant de ma toiture. Je sors pour voir ce qui se passe et je découvre que ce sont deux corbeaux qui se battent. Accrochés l’un à l’autre, ils tombent d’un coup de la toiture comme une boule noire pour reprendre leur envol dans une liberté dont rien ne fixe les limites. C’est alors que je me suis rendu compte que ma liberté à moi, homme, ne tenait qu’à un communiqué publié le 20 Mars et précisant : « Afin de renforcer le dispositif de prévention, le gouvernement a pris des mesures supplémentaires : fermeture des établissements scolaires, fermeture des mosquées, interdiction des activités sportives … Il est également conseillé par mesure de précaution d’éviter tout rassemblement. »

Jusque-là tout semblait bien aller mais l’apparition des deux premiers cas testés positifs, le 23 mars, a ouvert une longue période de confinement. Depuis ce jour, ce petit « machin de virus » s’est installé avec armes et bagages à Djibouti, défiant toutes les mesures de prévention. De l’interdiction des vols commerciaux au départ ou à l’arrivée de Djibouti à la fermeture des lieux de cultes en passant par l’interdiction des rassemblements et le confinement général, rien ne semble l’affecter ; pas même les gestes barrières répétés à longueur de journée pour sensibiliser la population.

Présents à Djibouti depuis plus de deux ans, c’est la première fois que nous vivons cette situation, dans un pays où chacun pouvait sortir à tout moment et faire ses courses dans une liberté que me rappelle celle des deux corbeaux sur le toit. Mais, maintenant, comme beaucoup d’autres, me voilà donc contraint à ne faire qu’une seule chose : « rester chez moi ». Toutes les activités étant aux arrêts dans le centre social et la paroisse, je ne puis m’empêcher de regarder chaque matin les oiseaux qui « refusent » d’être confinés. Libres de tout mouvement, les voilà qui voltigent du matin au soir sans se soucier du coronavirus comme pour dire aux humains : « c’est le temps du tout autrement : restez chez vous ». C’est ce que je fais, pour :

– repenser autrement le maintien des liens avec les paroissiens à travers les cultes en ligne

– repenser autrement l’accompagnement des enfants dans la suite des cours avec le e-learning.

– faire autrement du sport en montant et descendant les escaliers.

– m’accorder un peu plus de temps pour la lecture et m’occuper un peu du jardin.

– être davantage en relation avec ma famille, au pays, qui s’inquiète aussi malgré qu’elle vive la même situation que nous.

Et puisque ce petit « machin de virus » traine encore par ici, restons confinés comme tant d’autres à travers le monde, et vivons autrement, car il nous oblige à accepter de manière stoïque la pandémie. Pauvre de petit « machin de virus », Jésus nous demande d’aimer nos ennemis, mais toi, nous ne t’aimerons jamais.

 




« La destinée de l’homme est dans son cœur, pas dans ses mains »

Par leurs lettres de nouvelles, les pasteurs, en mission hors de France, partagent leur vécu et leurs questionnements, dans le contexte de la pandémie de Covid19. Comment faire Église ensemble tout en restant confiné ? Comment vivre et partager l’Évangile ?

 

Olivier Déaux est pasteur aux Antilles pour les Églises de Guadeloupe et Martinique ainsi qu’aumônier des prisons.

Je vous écris depuis la Guadeloupe, aux Antilles.

Quelques mots et réflexions dans ce temps si particulier de confinement, dans une région où, habituellement, on profite de la nature, des plages et des montagnes, du contact avec une population ouverte et joyeuse. Eh bien, tout cela, c’est fini !

Nous avons perdu nos repères, nous sommes déboussolés, le quotidien se trouve bousculé avec le confinement dû à l’épidémie. D’abord le silence de la ville, troublant et apaisant mais aussi inquiétant. Les rues se sont vidées de leurs voitures, le ronron de la ville s’est tu, d’autres bruits que nous ne remarquions pas auparavant, se font entendre. Les animaux sauvages pointent leur nez. Une drôle de paix, un calme fragile. Parce qu’en même temps ce silence n’est pas « normal », il est presque inquiétant; il n’y a pas de raison pour que la vie s’arrête. Un silence de mort ? Non, un silence d’attente, un silence en point d’interrogation à l’image des conséquences de cette épidémie dont l’homme n’a pas la maîtrise, submergé par la vague.

Nous sommes privés de mouvement, confinés à la maison sans contact avec autrui. Nous devons repenser notre vie dans ce contexte particulier. Cela dit, pour notre communauté chrétienne – c’est aussi vrai pour toute communauté – nous ne pouvons pas vivre sans lien, sans prier, sans chanter, sans louer Dieu. L’Église n’a d’existence qu’au travers les hommes et les femmes qui rendent témoignage à l’Évangile de Jésus Christ, Évangile incarné dans « la communauté de foi ».

Dans l’impossibilité de se rencontrer et de se rassembler, notre communion et notre foi doivent employer d’autres outils. Nous nous sommes mis à la vidéo, aux cultes et aux temps de prières filmés, à regarder ensemble à une heure que l’on se fixe… ou pas. Le CP a tenu sa réunion en vidéo-conférence dans le souci de poursuivre la marche de l’Église en partageant des nouvelles des uns et des autres. On sensibilise nos frères et sœurs aux difficultés financières…

« Rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ », c’est un peu ce que nous essayons de mettre en pratique. Il est notre Unité, notre Communion. Notre prière collective via les réseaux est ce lien qui nous unit à lui et entre nous. Cette épreuve d’isolement qui nous montre combien nous sommes des êtres sociaux, doit nous faire réfléchir aux priorités que nous nous donnons. La croissance à tout prix est remise en cause et cependant elle est la source de revenu des travailleurs. Repenser le collectif avec ses priorités : éducation, santé, accompagnement des plus faibles…  oui, mais cela prendra du temps. Une conversion profonde.

J’ai entendu ce propos dans un petit film qui m’invite à méditer « la destinée de l’homme est dans son cœur et pas dans ses mains ». Nous ne sommes pas tout-puissants, un virus infiniment petit a grippé le moteur qui fait tourner le monde. Le savoir comme le pouvoir ne ne sont pas une fin en soi mais cette vie que nous partageons sur tous les endroits du globe.

Notre plus grande force c’est le lien que nous avons entre nous. L’amour est la seule chose qui se multiplie quand on le partage. Le Christ nous a déjà donné la route à suivre : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. »

Que cette épreuve ne laisse pas de traces trop profondes là où vous résidez.




Éloigné, en confinement : parole à Élie

Partir à l’étranger avec le Défap, ce n’est pas seulement découvrir un autre pays, une autre culture, et y vivre de nombreux mois en immersion : c’est aussi se découvrir soi-même. Avec le Covid-19, d’autres problématiques se posent. Au travers de leurs lettres de nouvelles, les envoyés partagent leur ressenti mais aussi leurs questionnements.

 

Elie OLIVIER était en service civique comme animateur linguistique – échanges interculturels à Antsirabe (Madagascar).

Que la joie demeure !

Le cœur dit de rester, la raison dit de partir. Qui écouter ? Je n’en sais rien. Puis je me décide : je pars. La tristesse me submerge et m’empêche d’exprimer ma colère. De toutes façons, contre qui être en colère ? Ce pauvre pangolin braconné ? Ce marché insalubre ? A quoi bon…

Parmi les sentiments qui me traversent, le plus intense est la déception. Déception d’interrompre des projets en cours, de ne pas avoir pu faire tout ce que j’avais envie de faire. Les larmes qui coulent sur mes joues ont un goût d’inachevé.

Aujourd’hui, il pleut. Ce n’est pas cette pluie tropicale, chaude, brève, puissante, que j’aimais tant affronter à vélo sur les routes boueuses. Non, c’est une pluie tiède, molle, qui ne cesse de tomber. Les vers de Verlaine que mon grand-père aimait beaucoup reviennent à ma mémoire :

Il pleure dans mon cœur Comme il pleut sur la ville ; Quelle est cette langueur Qui pénètre mon cœur ?

Il faut maintenant annoncer la nouvelle aux enfants… Ils comprennent, même s’ils ne se rendent sans doute pas compte de l’ampleur d’une pandémie. Leur maturité m’étonne de plus en plus ! Ils pourraient m’en vouloir, mais ils sentent que mon choix est fait à contre-cœur. Nous organisons un goûter d’au revoir, car manger fait toujours du bien dans ces moments-là. Le vol n’est que demain soir, alors les enfants me convainquent de revenir le matin. C’est d’accord, j’essaierai de leur laisser une meilleure impression ! Des sourires plutôt que des larmes…

La dernière matinée, on joue, on prie, on rigole… Que du bonheur ! J’essaie d’apprendre un dernier morceau de piano à Fy et Bruno : « Que ma joie demeure » de l’intemporel et universel Bach. Ils adorent, alors j’écris la partition sur un bout de papier, vite, vite… puis il faut partir. Comme on dit à Madagascar, « Tsy veloma fa mandra-pihaoana » Ce n’est pas un adieu, mais à bientôt.

J’enfourche mon vélo, remercie de tout cœur la directrice et tout le monde pour ces merveilleux mois. Je donne un premier coup de pédale… un deuxième… un troisième… je me retourne une dernière fois. Il n’y a plus personne devant le portail, mais j’aperçois entre les grilles Mamy, ce petit bout de chou, qui me regarde m’éloigner, la tête entre les grilles. Quelle belle dernière image de Akanisoa je vais garder en mémoire !

Taxi-brousse, attente, avion, voiture… et me voilà en France. On nous avait parlé de la difficulté du retour de mission, mais ce retour-ci est si étrange… En 24 heures je suis passé de l’insouciance des enfants à la méfiance de tous ces gens masqués ; d’une proximité amicale à une distanciation forcée. Il faut faire avec et avancer… ou plutôt rester chez soi.

Paradoxalement, cette situation inédite rend le retour peut-être moins difficile. Comprenons-nous bien : ce départ précipité a été un déchirement. Mais ce que je redoutais du retour, c’était de ne pas me sentir en accord avec le mode de vie mes proches, de ne pas être sur la même longueur d’onde. Là, nous sommes tous bouleversés, nous allons sans doute tous changer, en un certain sens. Alors je me sens moins seul, bizarrement, dans ce triste épisode.

Cette année de mission devait être une parenthèse enchantée. Elle l’a été, et elle n’est pas encore refermée. Après avoir discuté avec le Défap, a émergé l’idée de poursuivre la mission à distance : préparer des fiches de cours de solfège, des partitions de piano, des problèmes d’échecs, un tuto pour construire un jeu de dames avec du carton et des bouchons de bouteille… L’idée est non seulement d’occuper les enfants pendant le confinement, mais aussi de préparer la venue du prochain volontaire, en commençant une « boîte à outils » que chaque envoyé pourra remplir de ses passions. Car l’idée centrale ici, qui m’a questionné le long de l’année, est la transmission. Comment assurer une continuité entre tous ceux qui viennent et ne restent qu’une année sur place ? Mon départ précipité pourrait ouvrir la voie à une nouvelle façon de passer le flambeau au suivant. Alors… au travail !

Avant tout, je commence par télécharger un logiciel sur mon ordinateur pour écrire des partitions. Car j’ai un morceau en tête qu’il faut que je leur envoie… Lequel ? « Que ma joie demeure », évidemment !




Éloigné, en confinement : parole à Zoé

Partir à l’étranger avec le Défap, ce n’est pas seulement découvrir un autre pays, une autre culture, et y vivre de nombreux mois en immersion : c’est aussi se découvrir soi-même. Avec le Covid-19, d’autres problématiques se posent. Au travers de leurs lettres de nouvelles, les envoyés partagent leur ressenti mais aussi leurs questionnements.

 

Zoe Koch est VSI en Égypte avec l’Action chrétienne en Orient. Elle est en mission à la maison Fowler au Caire. En raison du confinement, elle a dû rentrer en France le 20 mars.

Jeudi 16 avril 2020 à Colmar, mais toujours un peu au Caire dans la tête et le cœur.

Aéroport Paris-Charles de Gaulle. 10h du matin. Ça y est, je suis en France. Mon masque est la seule chose qui soutient encore mon visage fatigué. Dehors, tout est vide. Il n’y a plus personne dans les rues de Paris. L’air frais me réchauffe curieusement le cœur, mais je n’oublie pas qu’il y a encore quelques heures, je marchais dans les rues étouffantes du Caire.

La crise que nous traversons tous en ce moment est amère, brute, difficile. Elle a radicalement transformé nos modes de vie, elle nous a fait réfléchir, repenser nos habitudes. Elle a fait émerger du beau, également. Pour moi, elle a d’abord été légère. En mission au Caire à la maison Fowler, nous nous sentions si loin de l’agitation. La crise sanitaire est rapidement devenue l’objet de nos conversations avec les collègues pendant les repas. Au début, nous ne l’abordions qu’à travers quelques blagues. En effet, nous en étions si loin qu’elle nous semblait presque irréelle. Puis nous avons pu goûter aux inquiétudes, aux peurs de nos proches restés en France tout d’abord, puis aux frissons naissants qui ont agité la population égyptienne. La nouvelle est finalement tombée : l’aéroport du Caire allait fermer, les écoles également. Les gens dans la rue étaient devenus méfiants : nous étions, bien malgré nous, les visages de ce virus. Tout est allé très vite. Nous avons été un petit peu secoués par la police locale, qui souhaitait ne plus voir d’étrangers sur les lieux de travail. Une décision devait être prise, une décision compliquée et triste, mais indispensable.

Nous avons eu un petit peu plus de 24 heures pour faire nos adieux au Caire.

On nous apprend à partir. On nous prépare au choc culturel, on s’y attend. Et parce que ça semblait loin dans nos têtes avant cette crise, on oublie le retour. Ce retour, il m’est tombé sur la tête et il m’a brisé le cœur. J’ai réalisé à quel point il était difficile de dire au revoir, qui plus est à des enfants. Ces quelques mois au Caire ont été riches, beaux, durs parfois. Et parmi toutes les richesses de ce pays, j’ai eu la chance et la joie de fréquenter la plus belle de toutes les richesses, ou plutôt « les plus belles de toutes » : les filles de la maison Fowler. Oh qu’il a été dur de prendre l’avion et de les laisser ! Nous avions commencé tant de choses, appris beaucoup aussi, j’avais plein de projets dans la tête. Le matin même, nous discutions avec les collègues d’un nouveau programme à essayer avec les filles pour compenser la fermeture des écoles. Mais le soir, nous étions dans le bureau de notre patronne, à discuter de notre départ précipité.

Ce retour m’a aussi offert un torrent de lumière. Avant de partir, les filles m’ont fait le plus beau des cadeaux, elles ont placé en moi un espoir si grand et si fort qu’il peut aller plus loin que les crises et les difficultés. Aujourd’hui, je suis triste, mais sereine, car je sais que cet espoir est en chacun de nous, il transcende nos êtres, il est universel. Que ce temps de crise nous aide à le repenser et à le saisir, à le partager aussi à ceux qui n’y croient plus.

Et puis, pour finir, j’aimerais citer une amie égyptienne qui me disait la chose suivante : للخیر كلھ « tout ira pour le mieux », comme le rappellent les chrétiens égyptiens pour se souvenir que le monde est fait d’amour et d’espérance, et qu’il y a toujours quelqu’un qui ne les laissera jamais tomber.
Prenez grand soin de vous et de vos proches.

Le grand marché

 




Éloigné, en confinement : parole à Tanguy

Partir à l’étranger avec le Défap, ce n’est pas seulement découvrir un autre pays, une autre culture, et y vivre de nombreux mois en immersion : c’est aussi se découvrir soi-même. Avec le Covid-19 d’autres problématiques se posent. Au travers de leurs lettres de nouvelles, les envoyés partagent leur ressenti mais aussi leurs questionnements.

 

Tanguy Roman est en mission de service civique à l’école Kallaline à Tunis depuis sept mois. Il s’occupe d’activités d’échanges interculturels et linguistiques.

Mon séjour se passe très bien, sans soucis majeurs que ce soit du côté de l’école ou du travail. Amès, mon colocataire pour les quatre premiers mois, est parti début janvier en France pour finir son master si bien que je me retrouve avec une charge de travail un peu plus importante, surtout pour les remplacements que je fais seul maintenant. Courant janvier, un autre Français, Lucas, est venu trois semaines à l’école pendant ses vacances. Je me suis donc réellement trouvé seul début février. On me demande souvent si j’appréhende ce moment, mais pour l’instant je le vis bien. Nous nous entendions très bien, Amès et moi, mais la solitude va me forcer à me responsabiliser, et notamment à faire la cuisine !

Le travail m’intéresse toujours. J’apprends beaucoup même si parfois je me demande si je suis à la hauteur de la situation, mais j’essaie toujours de faire de mon mieux. J’ai très rarement des problèmes de langage bien qu’il soit parfois difficile de comprendre certaines attentes, car si les Tunisiens s’expriment très bien en français, leurs codes sont cependant différents. En ont découlé quelques incompréhensions, résolues rapidement et sans conséquence.

D’un point de vue pratique, j’ai l’impression de mieux m’en sortir : d’un côté les enfants commencent à comprendre la manière dont je fonctionne et je comprends de mieux en mieux comment les choses se passent. Le fait que les CP commencent un petit peu à pratiquer le français et à le comprendre aide aussi.

Le système éducatif tunisien particulier, plus proche de ce que j’ai vécu au lycée qu’à l’école primaire. Les enfants subissent beaucoup de pression, avec des évaluations notées régulières, ainsi que des examens en fin de trimestre, qui déterminent en partie leur passage pour l’année suivante et même leur futur dans le secondaire. En période d’examens, on perçoit que les enfants sont stressés par les épreuves.

Avec le départ d’Amès, mon quotidien s’est donc trouvé bousculé. Eh oui : davantage d’heures à l’école, plus de temps passé en cuisine, les jours filent plus vite.

D’un point de vue social, pas de soucis : entre l’école et l’ERT, (Eglise réformée de Tunis), je vois du monde, même si la plupart des gens que je côtoie sont eux aussi des expatriés, venus des quatre coins de l’Afrique, ou des gens de l’école. Mais avec le sport, et la facilité qu’ont les Tunisiens pour venir parler, je commence à connaître pas mal de monde. C’est assez intéressant de voir comment tous voient l’actualité.

J’ai aussi eu la chance de recevoir mes parents et mon petit frère courant février. Ils sont venus avec un bon guide touristique acheté en librairie et ont bien préparé ce qu’ils voulaient visiter. Je me suis rendu compte, à cette occasion, que mis à part les lieux les plus connus, je n’avais pas fait énormément de tourisme : on dirait bien que je suis en Tunisie pour travailler et non pour des vacances.

Au moment où j’écris ces lignes, il y a presque quarante cas de Covid-19 en Tunisie. Pour le moment, ce sont les vacances scolaires, qui ont commencé trois jours plus tôt pour des raisons sanitaires. Un couvre-feu a aussi été déclaré de 18 heures à 6 heures du matin. Beaucoup de « fake news » tournent en Tunisie sur les réseaux sociaux, parfois repris par les médias, notamment à propos des mesures prises en France. C’est assez difficile de savoir comment réagir quand quelqu’un affirme que la France paye le loyer et les dépenses d’eau de gaz et d’électricité pour tous les Français, en citant un article d’un journal tunisien. Fort heureusement, les gens commencent a prendre conscience de la réalité du problème et des gestes élémentaires à faire pour se protéger.

 




Éloigné, en confinement (6)

Les boursiers du Défap vivent le confinement, éloignés de leurs proches. Ils nous font partager leur ressenti à travers un « billet d’humeur ».

 

Fidèle Fifamè HOUSSOU GANDONOU

Théologienne, Pasteure de l’Église protestante méthodiste du Bénin (EPMB), professeure d’éthique à l’Université protestante d’Afrique de l’Ouest (UPAO, Porto-Novo), Fidèle Fifamè HOUSSOU GANDONOU est l’auteure de plusieurs articles scientifiques et d’ouvrages, notamment : Les fondements éthiques du féminisme : une réflexion à partir du contexte africain, Globethics.net. 2016 ; La violence sexuelle parmi les adolescents : une réflexion théologique et éthique, PBA, 2018.

Pandémie du coronavirus : vers une renaissance des cultes personnel et familial

«L’être humain est plein de bonne volonté mais il est faible » (Marc 14, 38 b)

La pandémie aiguë de Covid 19 qui bouscule tout, et qui a empêché mon voyage d’étude en France pour le mois de mai, est aussi une réalité au Bénin. Ici, ce n’est pas encore le confinement total comme c’est le cas dans les pays occidentaux. En revanche, des mesures sont prises par le gouvernement pour interdire tout déplacement au long d’un cordon sanitaire comportant douze villes et communes. Les écoles, églises, mosquées sont fermées, tous les grands rassemblements sont interdits et les transports en commun sont en service réduit. Après la déclaration du premier décès suite à une contamination par le virus, le gouvernement a rendu le port du masque obligatoire.

L’inquiétude née de la propagation du coronavirus est là et l’on est dans l’obligation de respecter des mesures gouvernementales. Nous aussi, Béninois, subissons l’annulation des festivités, la fermeture des frontières, la hausse des prix des transports. Le lavage des mains à chaque moment et partout est systématique; se masquer la bouche et le nez, saluer à distance, organiser les inhumations dans la stricte intimité familiale, sans culte ni veillée sont des attitudes rigoureusement observées. Avouons-le, cette crise sanitaire est en train de changer nos mœurs et habitudes.

Nous vivons une crise sanitaire mondiale qui n’épargne personne et montre que les valeurs d’égalité et de solidarité doivent être revisitées. On dirait une troisième guerre mondiale qui, au lieu d’utiliser des armes à feu, utilise la maladie pour détruire l’humanité. C’est aussi l’impuissance des uns et des autres qui se remarque. Les rêves et projets que nous avions construits pour cette année 2020 sont chamboulés, ils s’estompent au contact de la pandémie. Tout ceci est la marque des limites humaines et nous impose la confession de notre faiblesse.

Même si le télétravail est une réalité ailleurs, ici au Bénin cela ne peut pas être pratiqué à cause des conditions précaires et de l’instabilité de la connexion internet.

Nous avons aussi que si nous sommes touchés, et nous espérons vivement que ce ne sera pas le cas, les femmes seront les premières victimes car elles sont sur les marchés et dans les rues pour la vente et le commerce informels.

Nous devons être attentifs et faire preuve d’une grande solidarité, et surtout respecter les mesures gouvernementales. En plus, le fait d’être privés de nos lieux de culte nous interpelle sur notre relation profonde avec Dieu, avec notre prochain et avec la nature. Les églises et les mosquées sont des lieux de prédilection pour les Africains et si la pandémie les empêche de s’y rassembler alors il est question de revisiter notre gouvernance religieuse et notre éthique d’adoration. Le culte dans les églises étant le dernier recours des Africains, ici au Bénin on constate la réinstauration du culte personnel, familial, et l’intensification du culte radiophonique. Pour nous, le Dieu que nous adorons est le Dieu des impossibles et il peut faire le possible dans nos impossibilités. Les maisons et les familles sont devenues des lieux privilégiés pour le recueillement et le partage de la parole de Dieu mais surtout de l’intercession pour demander le secours divin. Car notre espérance est que le plan de Dieu pour l’humanité est la vie, et non la mort. C’est à genoux et dans les prières que nous pouvons implorer son secours, car tout est possible à celui qui croit.

Dans la nuit de cette pandémie, nous sommes confortés dans notre foi et notre espérance que seul le Dieu de Jésus-Christ peut le possible. Chacun et chaque famille le prient et jeûnent afin que le virus soit anéanti partout dans le monde.

En tout cas, notre Dieu règne encore et même s’il semble loin en ce moment de tragédie sanitaire où les limites de l’être humain sont visibles, il agira à coup sûr. Et tout cela aussi passera

« …et il m’a dit: Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans ta faiblesse. Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ repose sur moi. » (2 Corinthiens 12,9)


Vous pouvez relire le témoignage de Jean Serge Kinouani Mizingou en cliquant ici >>>

Vous pouvez relire le témoignage de Laurent Loubassou en cliquant ici >>>

Vous pouvez relire le témoignage d’Étienne Bonou en cliquant ici >>>

Vous pouvez relire le témoignage de Jean Patrick Nkolo Fanga en cliquant ici >>>

Vous pouvez relire le témoignage d’Adrien Bahizire Mutabesha en cliquant ici >>>




Emmanuel Macron sur RFI : « nous devons la solidarité à l’Afrique… »

Le Président Emmanuel Macron était l’invité de RFI mardi matin pour expliquer sa stratégie suite à son appel pour l’annulation de la dette africaine. Dans cet entretien, il évoque aussi la situation militaire au Sahel et l’appel du secrétaire général de l’ONU à une trêve dans tous les pays en guerre.

Pour écouter le podcast : interview 14 avril 2020 Emmanuel Macron sur RFI