Après les lettres de Marilyn, qui a participé récemment au programme EAPPI en Palestine, voici un autre aperçu : celui d’une militante israélienne, Hanna Barag. Ce programme du COE (Conseil œcuménique des Églises), dont le nom complet est Ecumenical accompaniement program in Palestine and Israel, a pour but d’apporter une présence pour apaiser les tensions et de témoigner de la situation sur place. Il fait appel non seulement à des volontaires internationaux (en France, leur recrutement et leur suivi administratif sont assurés par le Défap), mais aussi à des organisations plaidant pour le respect des droits humains, tant côté palestinien que côté israélien. Machsom Watch fait partie de ces organisations qui témoignent côté israélien. Nous reproduisons ici un article diffusé par le COE.
23 novembre 2022, Bethléem, Palestine. Des personnes entrent au checkpoint 300 de Bethléem. Ce poste de contrôle qui sépare Bethléem et la Cisjordanie de la ville de Jérusalem voit passer chaque jour des milliers de Palestinien-ne-s, dont beaucoup vont travailler à Jérusalem et en Israël. © Albin Hillert/WCC
Machsom Watch a été fondé en janvier 2001 par trois femmes juives de Jérusalem qui, voyant les postes de contrôle militaires autour de Jérusalem et en Cisjordanie, ont décidé de prendre les choses en main. Aujourd’hui âgée de 88 ans, Hanna Barag défend toujours les droits de la personne avec autant d’énergie.
Depuis cinq à dix ans, elle a constaté de grands changements aux points de contrôle: il n’y a plus de longues files d’attente. En fait, des milliers de personnes viennent et passent rapidement. Tout le processus est informatisé.
«Les Palestiniens et Palestiniennes se servent d’une carte magnétique pour passer le point de contrôle, et la porte s’ouvre, décrit-elle. Si la file d’attente est trop longue, beaucoup décident de rebrousser chemin.»
Les points de contrôle numérisés sont devenus un outil tristement efficace pour invisibiliser les violations des droits de la personne.
Injustice numérique
«Le système est informatisé, déshumanisant et rigide, et il complique considérablement la vie, explique Mme Barag. Il faut autre chose, une nouvelle réalité qui libère les Palestiniennes et les Palestiniens.»
À une époque où on utilise l’intelligence artificielle pour s’immiscer dans la vie des gens, les systèmes informatiques employés aux points de contrôle semblent tout savoir de chaque Palestinien-ne qui tente de passer, ce qui constitue en soi une forme d’injustice et d’oppression numériques.
«L’armée israélienne vous dira: regardez ce que nous avons fait pour faciliter la vie des populations palestiniennes. En réalité, le système est beaucoup plus complexe, plus compliqué, mais ça ne se voit pas. Il existe plus de 100 types de permis différents.»
Les personnes qui souhaitent obtenir un permis de travail doivent avoir un certain âge et être mariées. Le permis peut être refusé s’il y a dans la famille des antécédents liés à des incidents de sécurité. Et la liste des conditions est encore longue.
«Les règles sont différentes pour les demandes de permis médical, poursuit Mme Barag. On ne peut pas utiliser un permis de travail pour accompagner un membre de sa famille à l’hôpital, et si on demande un permis médical, il faut renoncer au permis de travail.»
En outre, comme les permis ne sont plus imprimés, les Palestinien-ne-s doivent les montrer sur leur smartphone ou à partir d’une carte magnétique. Beaucoup de gens sont perdus, car ils ne savent pas se servir du système. De plus, les points de contrôle sont fermés à la population palestinienne de Cisjordanie entre 23 heures et 4 heures du matin.
«Les militaires n’ont pas le droit d’effectuer des changements, et si on essaie d’appeler des responsables, il est rare qu’on obtienne une réponse.»
Hanna Barag se souvient d’un petit garçon, au checkpoint 300 entre Jérusalem et Bethléem: «Il avait perdu un œil et voulait aller à Jérusalem pour des raisons médicales. La personne qui l’accompagnait et lui se sont vu refuser le passage en raison d’un problème de papiers.»
Voyant leur confusion, elle les a aidés sur-le-champ, et ils ont pu entrer à Jérusalem. Mais si elle n’avait pas été là ce jour-là?
Ne pas faciliter l’occupation
«Si nous voulons défendre les droits de la personne, nous devons faire quelque chose contre ce système de contrôle inhumain, affirme Mme Barag. Nous ne voulons pas rendre la situation plus facile.»
Elle sait que cela peut sembler contradictoire. Ce qu’elle veut dire, c’est que l’occupation ne devrait pas devenir plus facile à gérer, parce que la dimension humaine est de moins en moins visible dans le processus. «Ne donnons pas aux militaires la latitude de faire fonctionner une machine – une machine bureaucratique – qui permet d’ouvrir et de fermer les portes à distance. Nous ne voulons pas rendre l’occupation plus acceptable. Nous voulons qu’elle cesse!»
Hanna Barag et ses collègues de Machsom Watch ne veulent pas d’une sorte de «compromis». Elles veulent un changement complet de réalité. «Bien sûr, nous aidons beaucoup de Palestiniennes et de Palestiniens, reconnaît-elle. Nous travaillons à la demande, et nous envoyons les papiers aux autorités israéliennes.»
Environ 70% des cas auxquels Machsom Watch apporte son aide aboutissent à un retrait du «rejet pour des motifs de sécurité», ouvrant la voie à l’obtention d’un permis. «Nos femmes savent quels papiers sont nécessaires, mais je constate aujourd’hui que le processus se durcit avec l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement israélien, déplore-t-elle. Nous essayons de mettre fin à la dépendance palestinienne à Israël.»
Par exemple, les Palestinien-ne-s n’ont pas besoin de se rendre dans des hôpitaux israéliens. «Mais Israël s’en sert comme d’une forme de contrôle. Il y a d’excellents médecins en Palestine, mais il leur est refusé de gérer un système qui serait indépendant d’Israël.»
Le système de permis actuel est conçu comme un puissant outil d’oppression permettant de garder le contrôle sur la population. «Nous ne voulons pas améliorer le système de permis», insiste Mme Barag.
Une question de valeurs
Lorsqu’elle regarde l’histoire de Machsom Watch et son activité actuelle, Hanna Barag voit un groupe de femmes qui refusent de faire partie d’une culture militariste: «La plupart d’entre nous ont servi dans l’armée, certaines ont été officières, explique-t-elle. Nous voulons aborder le conflit d’un point de vue féministe, c’est-à-dire faire bouger les choses parce que nous sommes des femmes.»
Ces femmes sont attachées à leurs valeurs. Quelqu’un qui voudrait contribuer financièrement à la construction de colonies ne peut pas adhérer à l’association. «Il n’y a pas d’argent en jeu, c’est une question de valeurs. Nous intervenons parce que nous sommes des Israéliennes qui veulent rendre plus vivable l’existence du peuple palestinien, mais aussi celle du peuple israélien.»
Mme Barag a contribué à la formation des accompagnateurs et accompagnatrices œcuméniques (AO) qui viennent participer au Programme œcuménique d’accompagnement en Palestine et en Israël du COE. «Quand je parle aux AO, je leur explique le système et ce qui les attend. À mon sens, notre mission consiste à exercer une pression diplomatique.»
Elle voit les AO accompagner des enfants qui veulent aller à l’école en toute sécurité. «La pression extérieure exercée par leur intermédiaire est primordiale, ajoute-t-elle. Même si nous nous trouvons dans un système illogique.»
Selon elle, tout le monde devrait sensibiliser les esprits aux outils employés par Israël pour contrôler la vie de la population: «Quand l’armée sait tout de vous, on est face à une triste réalité. Même avec un permis, le poste de contrôle peut vous refouler pour une raison indéterminée.»
Les règlements sont en hébreu et c’est compliqué, ajoute-t-elle: «C’est un système de contrôle complet. Même moi, après toutes ces années, il m’arrive d’avoir des surprises. Les AO viennent pour trois mois et avec de bonnes intentions. Leur but est de faire avancer la situation ici.»
Elle est reconnaissante aux AO de quitter leur belle vie, leurs familles et leur entourage pour se faire les témoins d’une situation difficile. «Je les admire. Quand les AO accompagnent des bergers qui ne parlent pas hébreu, en cas de rencontre avec un colon, leur présence permet de protéger les bergers.»
Par-dessus tout, Hanna Barag veut dire au monde qu’il faut mettre fin à l’occupation et fixer des limites aux mesures d’Israël contre la population palestinienne.
«Je veux que le monde découvre les conditions de vie des Palestiniens et des Palestiniennes, ainsi que le système de contrôle qui les asservit, dit-elle. Côté israélien, il y a beaucoup de jeunes à Tel-Aviv et ailleurs qui ont entre 30 et 50 ans et qui sont contre l’occupation, mais ils et elles ont des enfants à élever et des hypothèques à payer. À Machsom Watch, la moyenne d’âge est de 70 ans. Nous avons le temps d’intervenir.»
Pour aller plus loin :
- Présentation du programme EAPPI sur le site du Conseil œcuménique des Églises
- EAPPI : «Nous sommes une goutte d'eau parmi ceux qui œuvrent à la paix»
- En mission de paix en Israël-Palestine avec EAPPI
- Israël-Palestine : «À l'heure où j'écris, des tirs...»
- Courrier de mission : Être témoin de paix en Israël et Palestine