Marilyn a effectué une mission de trois mois en tant qu’accompagnatrice œcuménique en Palestine/Israël, au sein du groupe 85 des équipes du programme EAPPI. Les rôles de ces équipes sont multiples : témoigner en rédigeant des rapports pour des organismes internationaux, soutenir les actes de résistance non violente aux côtés des Palestiniens chrétiens et musulmans locaux et des militants pacifistes israéliens, offrir une protection par leur présence non violente… De retour en France, elle témoigne désormais de son expérience. Rencontre.
Membres d’une équipe d’accompagnateurs œcuméniques dans une Église © Marilyn pour EAPPI
Observer sans intervenir, n’est-ce pas décourageant ?
Marilyn: Les trois premières semaines, cette mission était source pour moi de frustrations, parce qu’elle me semblait se limiter à de l’observation passive. Même s’il y avait des rapports qu’il fallait s’astreindre à rédiger tous les soirs, et destinés à des institutions internationales comme l’Onu, comme la Cour européenne des Droits de l’Homme… Sauf que, rapidement, cet engagement est devenu très concret. Quand nous nous rendions dans des camps de bédouins, de réfugiés, nous retrouvions les mêmes personnes ; un lien humain se construisait entre nous. Nous n’étions plus seulement observateurs, nous partagions quelque chose. Les gens que nous croisions nous racontaient leur histoire, nous parlaient de leurs soucis, de leurs angoisses du lendemain, de leurs difficultés à se déplacer, à aller travailler, à vivre une vie normale. Et tous nous témoignaient de la reconnaissance pour notre présence. Ils nous disaient : « Vous êtes nos yeux, notre bouche, vous pouvez témoigner ; quand vous rentrerez dans vos pays, parlez de ce que nous vivons. » Ils savaient que nous ne pouvions pas changer leur situation sur le moment même – même si parfois, notre seule présence pouvait contribuer à améliorer un peu leur sécurité. Mais l’essentiel, pour eux, c’était qu’il y ait des témoins de ce qu’ils vivent.
Quelles étaient vos relations avec les Églises en Palestine ?
Rencontrer les Églises en assistant aux messes ou aux cultes le dimanche, ça faisait partie de notre mission. Nous nous y rendions avec nos vestes marquées du sigle « EAPPI », pour être reconnus à la fois des chrétiens palestiniens et des responsables d’Église. Les équipes d’accompagnateurs œcuméniques ont des relations bien établies avec certaines de ces Églises ; mais elles sont si nombreuses qu’il est difficile d’être en lien avec toutes. Trois mois sur place, ça ne fait jamais qu’une douzaine de dimanches ! C’était pour nous l’occasion de rencontrer une population différente de celle que nous pouvions voir aux checkpoints. Quand ils nous voyaient au culte, les gens se montraient très intéressés, venaient nous poser des questions : nous avons toujours été accueillis à bras ouverts.
L’une des ONG israéliennes avec lesquelles les accompagnateurs œcuméniques sont en lien : les Femmes en noir de Jérusalem © Marilyn pour EAPPI
Et vos relations avec les autres ONG, notamment israéliennes ?
Il y a des relations suivies entre les équipes du programme EAPPI et diverses ONG israéliennes. C’est le cas de Machsom Watch [qui surveille les points de contrôle établis par les forces de sécurité israéliennes, NDLR], de Military Court Watch (qui nous a permis d’assister à une audience du tribunal militaire). C’est le cas des Femmes en noir de Jérusalem [un groupe de sept femmes israéliennes fondé en janvier 1988 lors de la 1ʳᵉ intifada, NDLR]. C’est le cas des Rabbins pour la paix… C’est encore le cas de l’ONG Ir-Amim, une association d’Israéliens dont les avocats mènent un combat de longue haleine devant les tribunaux pour soutenir des familles palestiniennes de Jérusalem-Est régulièrement menacées d’expulsion ou dont les maisons sont occupées par des colons. Ou de l’association Emek Shaveh, qui regroupe des archéologues dénonçant l’instrumentalisation des sites anciens dont la protection a en fait pour but de chasser des familles palestiniennes de chez elles… Nous avons aussi rencontré l’ONG israélienne Breaking The silence [qui permet à d’anciens militaires des Forces de défense israéliennes de témoigner sur ce qu’ils ont vécu en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à Jérusalem Est, NDLR]. Enfin, à l’arrivée et au départ de chaque groupe d’accompagnateurs œcuméniques, des groupes israéliens sont présents pour les saluer.
Que vous disaient le plus souvent les Palestiniens que vous rencontriez ?
Ils ont beaucoup souffert de l’absence d’observateurs venus de l’étranger pour témoigner pendant toute la pandémie de Covid-19. Et même en étant sur place en tant qu’étranger, nous nous rendions compte que notre présence n’empêchait pas grand-chose… Nous avons assisté à des arrestations violentes. Il y a une volonté de déshumaniser totalement les Palestiniens. Et les membres des forces de sécurité israéliennes nous disaient ouvertement : « On a tous les droits ». Face à cela, j’étais frappée par l’humilité et la patience des Palestiniens. Tous les matins, tous les soirs, aux checkpoints, ils doivent enlever leur ceinture, montrer leurs papiers, avec le risque de se heurter à un refus arbitraire de passer. À tout moment, ils ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête : vont-ils pouvoir passer le checkpoint, même s’ils ont les bons papiers ? Pourront-ils aller travailler ? Leur maison ne sera-t-elle pas démolie ? Et toute leur vie est comme ça.
Une image de la « barrière de sécurité » entre Israël et les territoires palestiniens © Marilyn pour EAPPI