Élèves en décrochage scolaire du fait des crises à répétition des écoles libanaises, enfants de familles syriennes ayant fui la guerre et qui n’ont jamais été scolarisés : ce sont quelques-uns des profils d’élèves accueillis dans l’école où travaille Noémie, envoyée au Liban par le Défap. Des enfants qui ont déjà vécu trop de choses, mais attachants malgré leurs difficultés à s’adapter aux attentes du milieu scolaire… Témoignage.

Noémie avec ses élèves © Safe Haven, Beyrouth

Quel est le cadre de votre mission ?

Noémie : Je suis actuellement VSI (Volontaire de Solidarité Internationale) au Liban, pour une mission de deux ans. Je suis co-envoyée par le Défap et un autre organisme protestant : Mena. Je suis enseignante de français dans un centre d’éducation pour enfants dits « à risque », qui n’ont pas accès à l’éducation dans de bonnes conditions.

Quels sont leurs profils ?

Il y a tout d’abord beaucoup d’élèves syriens. Un grand nombre de réfugiés sont arrivés de Syrie au cours des dix dernières années, et les familles n’ont pas toujours pu scolariser leurs enfants parce qu’il n’y avait pas de place dans les écoles ; ou alors, uniquement dans des écoles privées, qui sont payantes, et les frais de scolarité sont hors de portée de parents ayant fui la Syrie. Deux des classes sont pour des enfants plus âgés, dix ans ou plus, et qui n’ont jamais été scolarisés. C’est donc leur première année ; et le projet de ce centre, c’est de leur permettre d’entrer dans les apprentissages, en espérant qu’ils puissent rejoindre un circuit d’enseignement classique.

Un deuxième profil d’élèves que l’on trouve dans cette école : des enfants majoritairement libanais, qui sont scolarisés le matin dans des écoles publiques, et pour lesquels il faut faire du soutien scolaire. Comme le reste du pays, les écoles publiques sont en crise au Liban : elles ont été très souvent fermées ces dernières années suite aux troubles sociaux, à l’épidémie de Covid-19, à l’explosion du port de Beyrouth, aux nombreuses grèves… Du coup, les inégalités se sont creusées entre les enfants de familles qui avaient la possibilité d’aider leurs enfants dans leur scolarité, et les autres, qui ont très peu progressé dans leurs apprentissages. Or les cours se poursuivent comme si l’école n’avait jamais arrêté, les programmes n’ont pas évolué en fonction de toutes ces interruptions, et les attentes vis-à-vis des élèves ne prennent pas en compte le retard pris dans les cours : on pourra demander par exemple à des classes de primaire de lire des textes en sciences… alors que les bases de la lecture ne sont pas maîtrisées.

Il y a aussi un programme pour les plus petits, destiné surtout à des enfants de réfugiés syriens qui risquent d’avoir du mal à entrer dans les apprentissages et à s’habituer à l’école. On leur apprend à tenir un crayon, on leur montre des livres, des albums… Il s’agit aussi de leur apprendre à suivre des consignes, écouter l’enseignante, travailler en groupe…

Quelles ont été vos premières impressions du Liban ?

Contradictoires. D’un côté, j’apprécie beaucoup l’accueil ; l’hospitalité est une valeur très importante… Spontanément, les gens m’invitent, ils ont envie de me faire découvrir leur culture. Ils se montrent honorés et touchés que je fasse l’effort d’apprendre l’arabe. Ils me font découvrir la gastronomie du pays. Mais d’un autre côté, on voit bien que tout le pays est en crise ; et ceux que j’interroge ont un regard assez pessimiste sur la situation de leur propre pays. Il est difficile pour eux de se projeter dans l’avenir. La pauvreté est visible dans les rues : des enfants mendient, trient des déchets…J’ai aussi rencontré des personnes âgées qui ont plus de 70 ans et qui doivent travailler, faute de système de retraite. Ça fait mal au cœur.

Élèves de l’école où travaille Noémie © Safe Haven, Beyrouth

Et vos premières impressions du lieu où se déroule votre mission ?

À mon arrivée, j’ai été d’emblée immergée dans la culture locale. Au quotidien, mes collègues parlent arabe : j’ai dû m’adapter, même si je manque encore de maîtrise de la langue. Mais j’ai été aidée jour après jour, on m’a tout expliqué du fonctionnement de l’école.

Pendant tout le mois de décembre, j’étais en phase de découverte : j’ai pu voir comment travaillaient les autres enseignants, donner des coups de main, faire connaissance avec les enfants… C’était une période assez festive : au début du mois, on fête la Sainte-Barbe – une tradition importante dans la culture libanaise. Ensuite, il y a eu Noël. C’était un bon contexte pour apprendre à connaître les élèves.

Puis, au mois de janvier, j’ai vraiment commencé à enseigner après avoir vu, en concertation avec la directrice, sur quels projets je pouvais m’impliquer. J’anime donc, le matin, un atelier d’initiation au français pour les élèves des deux classes de maternelle ; et l’après-midi, je fais de l’aide aux devoirs. J’ai aussi commencé à enseigner les maths dans une des classes destinées aux élèves plus âgés qui n’ont jamais été scolarisés. Ce qui présente quelques difficultés : d’abord, bien sûr, il faut que je maîtrise les nombres en arabe ; ensuite, et c’est le principal défi, ces enfants qui ne sont jamais allés à l’école ont des niveaux très hétérogènes, et aucune habitude de ce qui est attendu des élèves. Ils ont du mal à rester assis, à tenir un crayon, à se repérer dans le temps (ils peuvent confondre les jours de la semaine ou les mois du calendrier)… C’est donc par là que j’ai commencé : leur apprendre à se repérer dans un calendrier. Puis je me suis mis à reprendre les bases en mathématiques. Ce qui me touche, même s’ils sont chahuteurs, c’est qu’ils sont très désireux d’apprendre et très respectueux, on sent chez eux une envie de s’impliquer et d’apprendre. Ils sont très attachants.

Quelles images, quels souvenirs vous ont le plus marquée depuis votre arrivée au Liban ?

Ma colocataire et moi avons été invitées dans une famille de réfugiés syriens : nous avons vécu là des moments forts, parmi des gens très accueillants. Il nous était difficile de communiquer du fait de l’obstacle de la langue… et pourtant, nos hôtes avaient tellement envie de nous accueillir ! Je me souviens d’une petite fille de douze ans qui a joué le rôle de la maîtresse de maison à notre arrivée, qui nous a servi le thé : elle était très touchante…

Une autre image qui me revient : celle d’une petite fille de maternelle, à l’école où je travaille. Une élève très agitée, qu’il faut tout le temps rappeler à l’ordre : nous savons qu’elle vient d’une famille nombreuse où elle n’a peut-être pas toute l’attention dont elle aurait besoin. À la fin d’un cours, elle m’avait demandé de lui lire une histoire, dans un livre qu’elle avait avec elle : c’était « La petite marchande d’allumettes ». C’est une histoire triste ; on y parle de pauvreté, de froid, d’hiver, de mendicité… Je ne voulais pas lui lire la fin car elle est vraiment désolante. Et elle m’écoutait, très attentive… Je me suis demandée pourquoi cette petite fille voulait que je lui lise précisément ce livre. Je ne suis pas du tout sûre qu’un élève de son âge, dans une classe en France, aurait eu le même intérêt pour une telle histoire… Et elle a rapporté le même livre semaine après semaine. Elle voulait toujours que je le lui lise. Je me demandais quel écho cette histoire éveillait chez elle. J’étais très touchée de vivre ces moments-là avec elle.

J’ai aussi été frappée de la réaction des gens lors du séisme qui a frappé la Turquie et la Syrie. On l’a ressenti aussi au Liban, mais pas très violemment ; pourtant, il y a eu une forte émotion toute la semaine. Certains disaient que les secousses leur avaient rappelé l’explosion du port de Beyrouth. On sentait que c’était un moment qui ravivait pas mal de traumatismes. Et parmi les familles syriennes, beaucoup ont encore perdu des proches…

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