Méditation du jeudi 30 juin 2022. L’important dans la loi, dans toute loi, ce n’est pas à quoi elle nous oblige : c’est à qui elle renvoie. Celui sur qui se fonde toute confiance, celui à qui nous sommes liés par une relation de confiance. C’est cela qui nous permet d’aller chercher, dans des mots de papier, dans une loi devenue morte, le souffle d’une parole vivante.

Artiste Clet Abraham – photo PRG

Nous avons été libérés pour vivre la liberté. Alors il ne faut pas flancher, il ne faut pas se remettre sous le joug de l’esclavage. Moi, Paul, voilà ce que je vous dis : si vous vous soumettez à la loi qui vous dit de vous faire circoncire, alors le Christ ne vous sert plus à rien. Et je dirais même plus : si vous décidez de suivre la loi et de vous faire circoncire, alors il faut suivre TOUTE la loi, dans ses moindres détails. Si vous cherchez votre sécurité dans la loi, alors vous n’avez déjà plus rien à voir avec le Christ. Vous êtes séparés de la grâce, cette sécurité qui vient de Dieu.

Mais nous – nous, nous attendons notre justice et notre sécurité directement de Dieu, dans le lien de foi qui nous unit à lui et qu’on appelle aussi l’Esprit. Voyez-vous, Dieu nous a fait un cadeau, il nous a donné Jésus-Christ, et ce cadeau crée entre Dieu et nous un lien de confiance, un lien d’amour. Ce n’est pas d’être circoncis ou pas qui crée ce lien d’amour. C’est le Christ.

Vous étiez en pleine course, tout allait bien, et voilà que quelqu’un vous a arrêtés et maintenant vous voilà incapables de reconnaître la vérité et de lui obéir ! Mais celui qui vous a arrêtés, ce n’est pas Dieu, ce n’est pas comme ça que Dieu vous appelle. Comme on dit, « un peu de levain fait lever toute la pâte ». Moi, j’ai confiance en vous, et dans le lien de confiance qui vous relie au Seigneur : je suis sûr que rien ne pourra vous détourner de lui. Mais celui qui s’amuse à mettre la zizanie, celui-là ne l’emportera pas au paradis.

Moi, frères, si on me persécute, c’est pour autre chose que parce que je prêche la circoncision : ça, ça ne choquerait personne. Non, ce que je prêche est vraiment scandaleux : la croix, c’est vraiment choquant. Ceux qui parlent de la circoncision ne prennent pas grand risque, mais s’ils sont sérieux, alors qu’ils aillent jusqu’au bout : qu’ils ne se contentent pas de couper un petit bout, qu’ils aillent jusqu’à s’émasculer complètement !

Mes frères, vous avez été appelés à la liberté. Mais si vous utilisez le prétexte de la liberté pour faire ce qui vous chante, vous n’avez rien compris. Ce dont il s’agit, c’est d’être libres de choisir l’amour ; et si vous vous aimez les uns les autres, alors vous vous ferez dépendants les uns des autres, volontairement.

Toute la loi est contenue dans cette simple parole : Tu aimeras ton prochain, comme tu t’aimes toi-même. Par contre, si entre vous, vous vous donnez des coups de dents, si vous vous entredévorez, alors vous risquez fort de vous détruire les uns et les autres, et qu’il ne reste plus rien.
(Ga 5,1-15, trad. PRG)

Un jour, dans un rassemblement œcuménique, une jeune femme est venue me voir. Elle m’a tendu sa bible sans dire un mot et m’a désigné un passage. Première épître aux Corinthiens, chapitre 14 (v. 33b-35) : « Dieu n’est pas un Dieu de désordre, mais de paix. Comme dans toutes les Églises des saints, que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis d’y parler ; mais qu’elles soient soumises, selon que le dit aussi la loi. Si elles veulent s’instruire sur quelque chose, qu’elles interrogent leurs maris à la maison ; car il est malséant à une femme de parler dans l’Église. » Et la jeune femme m’a dit : « Alors, comment vous pouvez oser dire que vous êtes pasteure ? »

Pour nous femmes pasteures, il n’est pas rare d’entendre cela ; mais même sans être une femme pasteure, on s’entend souvent dire : « Tu vois bien, c’est dans la Bible ». Oui, je vois… et en même temps, je ne vois rien du tout. Je crois bien que Paul était un peu dans cette situation face aux Galates qui lui disaient : « Tu vois bien, c’est dans la loi, cette histoire de circoncision, il faut bien s’y plier vu que c’est dans les textes ! ». Quelqu’un était arrivé chez les Galates et avait commencé à leur dire : oui, Jésus-Christ, c’est bien joli, le lien avec Dieu, c’est bien joli, l’Esprit, la grâce, tout ça, c’est bien joli, mais quand même, et la loi dans tout ça ? Et Paul, ça le rend dingue… il n’arrête pas de parler de grâce, d’amour, d’Esprit, d’être sauvé par Dieu par pur cadeau, et il y a toujours quelqu’un pour lui dire : oui, oui, c’est bien mignon tout ça, mais quand même… la loi ! Et il a l’impression qu’on a oublié l’essentiel pour se concentrer sur un détail. C’est ce qu’il dit aux Galates : la circoncision, c’est un détail. N’oubliez pas l’essentiel.

Alors aujourd’hui, je vous voudrais à mon tour vous raconter une histoire. Après tout, Jésus et Paul, eux aussi, aimaient bien raconter des histoires.

Donc, c’est l’histoire d’un jeune homme qui voulait passer son permis. Tous les soirs, après le lycée, il allait à l’auto-école, pour apprendre le code de la route. Il trouvait ça difficile, mais il continuait, parce qu’avoir une voiture était son plus grand rêve. Il se disait qu’avec une voiture, il pourrait tout faire, tout devenir, tout être… et qu’il aurait enfin la liberté dont il avait toujours rêvé. La voiture, c’était la liberté. Sauf qu’il avait le plus grand mal à apprendre le code de la route. Un soir plus difficile que les autres, il est allé trouver son grand-père.

– (Le grand-père) Prends le code, et ouvre-le n’importe où. Maintenant, dis-moi quel panneau tu vois.
– (Le jeune homme) Un stop.
– Alors, qu’est-ce que ça veut dire ?
– Qu’il faut s’arrêter.
– Et ça veut dire quoi, qu’il faut s’arrêter ?
– Et bien, qu’il faut ralentir, rétrograder, freiner, et s’arrêter.
– Sinon, il se passe quoi ?
– Sinon, on risque d’avoir un accident, ou de se faire arrêter.
– Donc si tu ne respectes pas ce que dit le panneau, tu risques gros ?
– Pas forcément, si ça se trouve il n’y a personne au carrefour, alors ça ne gênera personne si on ne respecte pas le stop.
– Alors pourquoi tu le respectes ?
– Parce que ça dit qu’il faut le faire. Au cas où il y ait quelqu’un.
– Alors s’il y a un stop, c’est parce qu’il y a d’autres gens que toi sur la route ?
– Oui.
– Bon. Maintenant, ferme le livre, et ouvre-le à nouveau. Qu’est-ce que tu vois ?
– Un panneau « 50 ».
– Ça veut dire quoi ?
– Qu’on n’a pas le droit d’aller plus vite que 50 km à l’heure.
– Pourquoi ?
– Je ne sais pas. C’est le panneau qui le dit.
– Ça veut dire que tu ne vas pas vérifier si le panneau a raison ou non, tu vas juste faire ce qu’il dit ?
– Oui… enfin si c’est le milieu de la nuit, que je vois très loin et qu’il n’y a personne, je peux peut-être aller un peu plus vite… ceci dit, il risque d’y avoir un radar…
– Alors tu fais confiance au panneau de toute façon, que tu saches ou non s’il a raison ?
– Oui, parce qu’il me dit que quelqu’un pourrait être en danger si je ne le respecte pas.
– Donc tu vas le respecter ?
– Probablement.
– Bon, maintenant ferme le livre, et dis-moi ce que tu dois faire.
– Comment ça ?
– Et bien, quel panneau tu dois respecter ?
– Comment ça, quel panneau ? Il n’y a plus de panneau si je ferme le livre.
– Mais tu as bien vu qu’il y en avait au moins deux. Un stop, et une limitation de vitesse à 50. Alors, lequel tu choisis de respecter ?
– C’est idiot, ta question, grand-père…
– Peut-être, mais réponds quand même.
– OK. Alors si je veux respecter les deux, du coup je ne vais pas prendre de risque, et je vais m’arrêter. Comme ça je respecte forcément aussi le 50.
– Donc, tu t’arrêtes.
– Oui.
– Tu coupes le moteur et tu restes là ?
– Oui.
– Alors, à quoi ça sert de passer ton permis ?

Et le jeune homme en est resté comme deux ronds de flan. Comme vous, j’espère. Comme nous tous. Quand on referme la Bible, on respecte quelle loi ? Si on ne veut pas prendre de risque, on s’arrête et on coupe le moteur. On s’arrête de vivre. On devient mort. C’est ça que veut dire Paul, quand il dit « Vous étiez en pleine course, et vous vous êtes arrêtés ». Ailleurs, dans l’épître aux Romains, il le dit un peu autrement : il dit « Le péché a capturé la loi ». C’est que le péché nous a fait fermer le livre qui contient la loi de Dieu, avec pour seule consigne : maintenant, on fait le mort.

Est-ce que c’est cela que Dieu a voulu en nous donnant sa loi ? Non.

Est-ce que c’est cela qu’ont prévu les législateurs en mettant en place toute une série de panneaux indicateurs ? Non.

Ce qu’ils avaient prévu, c’est que ces lois nous aident à circuler, à aller voir ailleurs, à visiter, à rencontrer, à découvrir, sans être des dangers publics et sans que les autres soient des dangers publics pour nous. De même, ce que Dieu avait prévu, c’est que sa loi aide les humains à vivre, en se respectant soi et en respectant les autres, sans se mettre en danger et sans mettre en danger les autres.

Sauf que nous, on s’amuse à fermer le livre et à se poser des questions sur quelle loi il faut suivre, pour finir par n’en suivre aucune en pensant les respecter toutes, pour ne pas prendre de risque.

Si vous vous décidez à lire tout ce que contient la Bible puis à fermer le livre et à décider de suivre toutes les lois à la fois, vous passez à côté de ce que la Bible est réellement : un don de Dieu pour la vie. Vous en ferez, à la place, un don de mort. Par contre, vous pouvez la lire comme un code destiné à ouvrir de nouvelles routes, de nouveaux espaces, des paysages insoupçonnés. Et là, vous vivrez. Parce que vous entendrez qu’il ne s’agit pas de lire des lois mortes, mais d’entendre une voix vivante. Alors, vous accueillerez la vie que Dieu vous donne.

Je reviens à ce passage de l’épître aux Corinthiens, que me montrait cette jeune femme. Si vous lisez le texte attentivement, vous vous rendrez compte que Paul ne donne pas un ordre bête et méchant, qui consiste à éteindre le moteur et à s’arrêter de vivre. Dans un monde où les femmes n’avaient pas leur place à la synagogue, il dit que les femmes sont au milieu de l’assemblée. Dans un monde où les femmes n’étaient pas censées avoir de l’intelligence, parce qu’elles n’étaient que la possession de leur père puis de leur mari, Paul dit que les femmes réfléchissent, et qu’elles veulent comprendre et poser des questions.

Il est malséant à une femme de parler dans l’église… C’est vrai, c’est dans la Bible. Inutile de faire semblant de ne pas le voir. Mais une fois refermé le livre, réfléchissons.

Dans tout ce chapitre, Paul donne des instructions à l’Église de Corinthe, une Église particulièrement agitée et infiniment fière des dons de prophétie qu’elle manifeste. C’est à des gens imbus d’eux-mêmes qu’il s’adresse, en leur disant : ce qui compte, ce n’est pas la prouesse spirituelle, ce n’est pas de parler en langues, ce n’est pas d’avoir le don d’une louange extraordinaire. Ce qui compte, c’est que tous, vous puissiez comprendre le sens que ça a. Et il faut à tout prix protéger le sens. Quitte à brider les manifestations glorieuses dont vous êtes si fiers. L’important, c’est que quand quelqu’un prophétise, tous se taisent pour comprendre le sens de la prophétie. C’est que chacun puisse se retirer ensuite, en gardant comme un trésor le sens profond de ce qui s’est passé. Ou pour le dire autrement : qu’une fois le livre refermé, ce que vous avez entendu vous fasse vivre. Vivez du sens offert ! Tout le reste est secondaire. Voilà ce qu’il faut lire, si on ne veut pas trahir la pensée de Paul. Ce qui fait vivre doit être protégé à tout prix, tout le reste est secondaire.

Alors, on ne sait jamais, si vous croyez que le fait d’entendre l’Évangile de la part d’une femme vous empêche de comprendre cet Évangile, soyez gentils, poussez-nous dehors gentiment. De même, si vous croyez que d’entendre l’Évangile aux côtés de quelqu’un de mauvaise vie vous empêche de vivre de cet Évangile, alors poussez-les dehors. Et puis, si vous êtes persuadés que l’Église serait plus pure et plus fidèle si elle exigeait de chacun de ses membres une moralité impeccable, alors… alors je crains fort que vous ne soyez, cette fois, contraints à partir, parce qu’il ne resterait plus personne.

Refermons le livre. Et réfléchissons. Qu’est-ce qui est important ? À quoi sert la Bible ? À être une collection de lois impossibles à comprendre, qui nous obligeraient, pour les respecter, pour ne pas prendre de risque, à nous arrêter de vivre ? Ou à nous donner la trace, infime et pourtant profondément vivante, de la voix de Dieu, comme en écho dans des mots bien humains ? Une voix qui nous appelle à vivre, parce que rien n’importe plus à Dieu que de nous voir vivants…

Je vous invite aussi à repenser à cet épisode de l’évangile selon Luc, où Jésus, avec une infinie douceur, fait comprendre à Marthe, toute accaparée par ses devoirs de femme de maison, que ce qui importe surtout, c’est d’entendre ses paroles. Ce qui importe n’est pas d’être assis quelque part plutôt qu’autre part, ce qui importe est de se mettre à l’écoute. Et au fond, Paul ne dit pas autre chose. Chacun, chacune, se met à l’écoute comme il peut, comme elle peut. En se pliant aux conventions peut-être, mais surtout, en ne perdant jamais de vue que ce qui importe plus que tout, c’est d’avoir accès au sens profond de ce qui est dit, au sens qui fait vivre, au sens qui met en route et bouscule nos idées toutes faites. Je ne défendrai pas Paul en disant qu’il était un grand révolutionnaire qui avait compris bien des siècles avant nous l’idéal de l’égalité entre hommes et femmes, ce ne serait évidemment pas vrai.

Et oui, il est important de se battre pour que personne, dans notre société, ne soit cantonné à un rôle subalterne, pour que personne ne soit traité comme un parasite sous prétexte qu’il ou elle n’atteint pas l’idéal de l’efficacité maximum en permanence. C’est un geste politique fort, c’est une posture citoyenne nécessaire et utile.

Mais la lutte pour l’égalité effective des droits n’est que la partie visible de l’iceberg. Quand quelqu’un est écarté de l’idéal d’égalité entre citoyens, c’est ce qui se voit. La partie immergée, invisible, c’est d’être mis à l’écart du sens véritable des choses. L’essentiel, la véritable revendication pour notre temps, c’est que le sens des choses, que la vérité, soit accessible à tous. Hommes, femmes, enfants, ceux d’ici et ceux d’ailleurs, ceux du dedans et ceux du dehors : il importe que chacun ait accès au sens, à la vérité.

Pour nous chrétiens, le sens, la vérité, ce n’est pas une chose. C’est quelqu’un.

L’important dans la loi, dans toute loi, ce n’est pas à quoi elle nous oblige : c’est à qui elle renvoie. Celui sur qui se fonde toute confiance, celui à qui nous sommes liés par une relation de confiance. C’est cela qui nous permet d’aller chercher, dans des mots de papier, dans une loi devenue morte, le souffle d’une parole vivante. Une mission qui l’aurait oublié serait une mission morte et mortifère.

L’Évangile vient nous rejoindre, précisément, à la pliure des choses : là où le sens nous convoque, qui que nous soyons, pour nous rejoindre malgré tout. Que vous soyez homme ou femme, une fois le livre refermé, qu’il vous soit donné de ne pas chercher à obéir aveuglément, mais de vous mettre simplement à l’écoute du sens profond que Dieu souffle vers nous, pour que nous vivions.

Prière

Seigneur, tu nous as donné un code de la route et nous en avons fait un catalogue de bonne moralité. Pardonne-nous, et éveille en nous la joie du souffle qui fait vivre.
Tu nous as dit « Tu aimeras ton prochain, comme tu t’aimes toi-même » et nous avons tergiversé pour savoir qui, au juste, était notre prochain. Pardonne-nous, et éveille en nous la joie de la fraternité.
Tu nous as donné le salut et nous avons réfléchi à qui y avait droit. Pardonne-nous, et éveille en nous la paix de nous savoir sauvés.
Tu nous as donné le goût de ton Royaume et nous avons essayé d’en faire une identité. Pardonne-nous et ouvre nos yeux aux visages multiples de ton Église.
Tu nous donnes ta Parole. Qu’elle soit pour nous l’élan vital de chaque jour et qu’elle ne cesse jamais d’éveiller notre confiance en toi.
Nous te prions pour tous tes enfants, pour les responsables de nos Églises, pour ceux qui n’en ont pas encore franchi le seuil, pour les envoyés du Défap, pour ceux qui, ici et ailleurs, les accueillent et œuvrent avec eux. Que ta paix soit leur quotidien, pour cheminer à l’ombre de ta main.
Amen

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