Nous poursuivons notre série de témoignages d’anciens envoyés du Défap, dont l’engagement à l’étranger a marqué un moment clé de leur vie : aujourd’hui, Samy. Il était parti en 2017 comme service civique pour une mission d’animateur/répétiteur à Madagascar : enseignant le français le matin dans l’école Akanisoa, répétiteur et animateur le soir avec les enfants de l’orphelinat. Cinq ans plus tard, il est toujours à Madagascar… où il travaille à l’amélioration de l’enseignement du français.

Enfants au tableau dans une classe © Défap

Quel bilan ferais-tu aujourd’hui de tes quatre ans à Antsirabe et du travail dans l’orphelinat ?

Samy Chenuelle : Partir, c’est se redécouvrir et se dépasser. C’est comme cela que je pourrais résumer mes années à Antsirabe. Ma vie là-bas m’a permis de mûrir beaucoup plus que ce que je n’aurais pu imaginer. En étant loin de tout ce que l’on connaît, on est obligé de tout redécouvrir, en partie soi-même. J’ai découvert, et réussi certaines choses dont je ne pensais pas être capable, et dépassé certaines de mes peurs et blocages. Bien sûr, tout n’est pas toujours au beau fixe, j’ai eu aussi des inquiétudes et des moments d’indignation. Mais je pense que ce n’est qu’en sortant de son confort que l’on peut se dépasser. C’est tout ce qu’une expatriation peut nous offrir lorsque nous arrivons à rester ouverts.

Être à Madagascar m’a aussi obligé d’une certaine façon à être toujours à l’affût pour comprendre sociologiquement ce qui se passe. J’ai pu apprendre de manière très concrète à savoir déconstruire les discours, aller au-delà des mots, des différences culturelles, de mes a priori, de ma culture franco-française pour dépasser les incompréhensions.

À Antsirabe, j’ai pu être dans deux situations éducationnelles différentes : en tant qu’instituteur de français dans l’école primaire et dans une sorte de rôle d’animateur voire d’éducateur dans l’orphelinat avec les enfants et adolescents. Rester sur du long terme m’a permis de créer une vraie relation avec les enfants. Très rapidement, j’ai passé du temps avec les enfants, même en-dehors de mes heures de travail. Cela m’a aussi donné la chance de me questionner sur ma façon d’être et de m’améliorer. Les relations avec les enfants ont cette exigence de dire ou de montrer quand ils n’ont pas apprécié un comportement. Il s’agit alors toujours d’expliquer, de réussir à dépasser nos différences pour trouver une solution qui convient à tout le monde. J’ai essayé au maximum d’être un exemple de probité d’âme et de respect pour les enfants.

Comment se passe ton activité actuelle à Tana ? Pourrais-tu nous décrire ta mission ?

Ma mission a deux volets. D’un côté, je suis en train de finir d’écrire des guides pédagogiques pour chacune des classes primaires ainsi que d’autres outils (affiches, images, chansons, récitations) pour faire apprendre le français. De ce que j’ai pu voir, il n’existe pas encore de guide pédagogique pour faire apprendre le français à Madagascar, mais seulement des manuels de français. Cependant, vu le niveau de français trop faible des institutrices dès que l’on sort des centres-villes des grandes villes, il existe un réel manque à ce niveau-là.

Le deuxième volet de mon travail est de faire des formations dans des écoles FJKM. Je vais dans les écoles faire des formations aux institutrices et quelques instituteurs. Cela me permet de former sur mes guides et sur les méthodes pédagogiques (actives et ludiques) qui en sont issues, ainsi que diffuser les valeurs qui sont les miennes : empathie, non-violence, coopération, etc. Je fais aussi des modules de renforcement de français ainsi que sur l’éducation.

Une ruelle dans la banlieue de Tananarive © Franck Lefebvre-Billiez, Défap

Quels sont les besoins en termes de pédagogie pour l’enseignement du français et en quoi ta mission peut-elle contribuer à améliorer la situation ?

Le système scolaire malagasy copie de manière générale le système scolaire français. À ceci près que les écoles malagasy accusent des retards de près de 100 ans à quelques dizaines d’années selon les domaines (infrastructures, pédagogie, formation des enseignants, manuels et outils pédagogiques disponibles et utilisés). Les nouvelles avancées des sciences de l’éducation ne sont pas connues ou alors utilisées seulement par quelques écoles élitistes. Ces gros manques sont dus, d’un côté à un manque d’accès et de l’autre à un manque d’argent.

Ce que j’essaye d’apporter est tout simplement de rattraper ces retards dans certains domaines : pédagogie, outils pédagogiques. Dans tout ce que j’entreprends, j’essaye de mêler deux choses : les façons de faire des institutrices malagasy tout en apportant des nouvelles idées.

J’apporte des nouvelles méthodes pédagogiques qui prennent mieux en compte l’enfant-élève et ses besoins pour améliorer l’enseignement et l’éducation de manière générale. Mais j’ai peur que les enseignants préfèrent se cantonner à leur ancienne méthode, qu’ils connaissent bien, plutôt que d’essayer des nouvelles méthodes qu’ils ne maîtrisent pas encore tout à fait. Alors, je me base sur les habitudes et façons de faire déjà en place à Madagascar pour que les institutrices ne soient pas perdues et veuillent s’imprégner des nouvelles façons. Mon but est donc d’améliorer leur manière d’enseigner grâce aux nouvelles pédagogies et à de nouveaux outils pédagogiques.

Quelques souvenirs parmi les plus difficiles – et comment tu as pu les surmonter ?

Mes moments les plus difficiles ont été lorsque j’ai dû assister à certaines scènes, croyances et violences qui m’ont profondément choqué. Savoir que les enfants de l’orphelinat sont grondés violemment voire tapés me bouleverse et me révulse. Il m’a été difficile d’entendre que des enfants seraient possédés par des démons lors de leurs crises (d’épilepsie ou psychologiques dues à un traumatisme) alors que mon interprétation, typiquement française des crises est totalement différente. J’ai surtout été affecté par la culpabilisation et l’absence de chaleur humaine qu’ils ont subie, et qui, à mon avis, ne permet pas à l’enfant de se développer. Je me sentais impuissant face à la force de leurs traditions et idées ainsi qu’à ma place dans Akanisoa qui n’avait pas de poids.

D’autant plus que j’ai toujours essayé de mettre à distance, de me défaire du rôle du « vazaha » qui-saurait-tout opposé aux malagasy ignorants, que pourtant certains malagasy veulent nous étiqueter, et que beaucoup de vazaha utilisent, volontairement ou par facilité, sans s’en rendre compte. Cette mentalité est une séquelle qui reste après le colonialisme et empêche, selon moi, de construire des relations saines et constructives, et est un frein au développement de Madagascar.

J’essaye donc de me dépatouiller entre tout cela : ne pas juger les malagasy et leur culture, tout en proposant des vrais leviers de changements bénéfiques, sans entrer dans une relation hiérarchique avec mon interlocuteur.

Pour surmonter ces difficultés, j’ai quelquefois pu partager mes émotions avec quelques amies françaises. J’ai aussi parfois pu me sentir assez à l’aise avec certains adultes malagasy pour donner mon avis. J’ai surtout écrit, ressassé dans ma tête, réfléchi à ce que j’aurais fait à la place de l’adulte, imaginé mes propres réponses pour ne pas être seulement dans le jugement de l’autre mais pouvoir leur proposer d’autres solutions. J’y mettais tout mon cœur, ou au contraire, je me mettais à distance pour analyser froidement la situation. J’essayais à chaque fois de me rapprocher des personnes, de comprendre leurs besoins et leurs sentiments, ce qui les animait.

Vue de Tananarive © Franck Lefebvre-Billiez, Défap

Quelques souvenirs parmi les plus lumineux ?

Quand je repense à ma vie à Antsirabe, ce qui est le plus lumineux pour moi, ce n’est pas un moment précis mais se sont mes relations. De voir les attaches que j’ai avec les enfants d’Akanisoa, mes collègues de travail ou avec mes amis malagasy, de sentir ces liens et ces nœuds, que l’on a tissés peu à peu, jusqu’à en faire des tresses ténues et solides, basées sur la confiance et le respect. C’est cela avant tout qui me rend le plus heureux et fier de ma vie à Antsirabe. Savoir que l’on a réussi à dépasser toutes nos différences, tous nos désaccords, nos quelques disputes, pour se concentrer sur ce qui est essentiel à mes yeux : l’écoute, la compréhension, le partage. Et en voyant à quel point j’ai pu m’intégrer dans la société malagasy, que j’ai pu réussir à dépasser cette première croûte et apparat de relation que la plupart des vazaha ont avec les malagasy, je pense vraiment avoir réussi à accéder et comprendre la société malagasy. C’est aussi tout ça qui me fait revenir régulièrement à Antsirabe quand j’ai un peu de temps libre pour passer du temps avec eux.

Mes souvenirs lumineux qui me reviennent directement lorsque je pense à ma vie à Antsirabe sont presque toujours avec les enfants. Les vacances à Diego, Itasy ou Tuléar avec le centre Akanisoa, les secrets qu’ils m’ont partagés ou tous les merveilleux moments que l’on a partagés à travailler, s’amuser ou jouer ensemble.

image_pdfimage_print