Après avoir consacré la semaine dernière aux envoyés du Défap, qui partent pour des missions de plusieurs mois à un an, principalement avec le statut de VSI (Volontaire de solidarité internationale), de service civique ou de pasteur, voici une autre forme d’engagement : les envois courts. Jacques Beurier s’est rendu récemment pour le Défap au Cameroun, où il a pu visiter divers hôpitaux. Chirurgien en orthopédie-traumatologie, il a déjà participé avec différentes Organisations Non Gouvernementales à des missions chirurgicales en Afrique et en Haïti. Protestant engagé, il a aussi suivi des études de théologie à l’IPT (Institut Protestant de Théologie – faculté de Paris), et il est prédicateur laïc. Témoignage de retour du Cameroun.

Une vue de l’hôpital de Bafia (tout à gauche, le Dr Célin Nzambe) © Jacques Beurier

Docteur Beurier, quelle est la relation entre votre foi et votre engagement humanitaire ?

Jacques Beurier : Il n’y a pas vraiment de relation directe. Ma foi est ce qu’elle est, mais je ne considère pas que c’est elle qui m’a poussé à partir en mission dans divers pays. C’est plutôt le sens moral, ou le sens du devoir – et de ce point de vue, on pourrait dire qu’il y a un aspect un peu protestant dans mon engagement… Mais je ne me suis pas senti poussé particulièrement par Dieu. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de travailler avec diverses ONG tout à fait laïques.

Néanmoins, quand je suis sur place, je m’intéresse beaucoup aux phénomènes religieux, et je suis toujours très touché quand j’assiste, comme ça a pu être le cas au Congo ou en Haïti, à des manifestations de foi de gens qui sont en grande difficulté. Et quand il y a des services religieux, j’y participe.

Médecin et prédicateur laïc, est-ce facile à concilier ?

Ce n’est pas toujours évident, surtout pour des questions d’emploi du temps : entre des études de théologie, le métier de prédicateur, et celui de médecin, il faut trouver comment s’organiser. Et il faut trouver comment ajouter à tout ça les missions courtes – qui représentent à chaque fois deux à trois semaines passées à l’étranger. Mais, de manière générale, je m’arrange pour répondre aux demandes des personnes qui me sollicitent en tant que prédicateur ou en tant que médecin. Je dois dire aussi que le fait d’être engagé dans l’Église me soutient dans mes voyages – et me permet d’avoir des contacts avec des personnes qui partagent ma foi. 

Une vue de l’équipe chargée des hôpitaux de l’Église Presbytérienne Camerounaise (au 1er plan, le Dr Jacques Beurier) © Jacques Beurier

Dans quels pays vous êtes-vous engagé jusqu’à présent ?

J’ai pas mal vadrouillé au cours de ma vie. Ça a commencé tôt, au tout début de ma carrière médicale, alors que je venais de finir mes études. J’ai été envoyé un an en coopération en République centrafricaine, dans un endroit éloigné de tout. Et cette période a été pour moi une expérience fondatrice. Il n’y avait pas de guerre civile, à l’époque ; j’ai pu avoir des contacts passionnants avec la population locale, ainsi qu’avec des missions implantées par des Églises dans le pays. Et j’ai eu alors l’impression, qui m’a poursuivi toute ma vie, de pouvoir servir à quelque chose, d’être utile. J’y ai pris goût. Par la suite, j’ai eu l’occasion, au cours de ma carrière de chirurgien, d’aller au Mali. J’ai vécu aussi une mission très dure, dans l’Est du Congo, du côté de Bukavu : elle avait été organisée par la paroisse protestante du Havre, et là, elle se déroulait dans un contexte de guerre civile. C’était une période très violente, et une mission menée dans des conditions très difficiles, qui m’a beaucoup marqué. En 2010, j’ai eu l’occasion d’intervenir en Haïti : c’était juste après le séisme, il y avait énormément à faire. Par la suite, j’y suis retourné lors de trois missions successives. Et enfin, plus récemment, j’ai découvert le Cameroun.

Qu’est-ce qui vous a décidé à accepter cette mission pour le Défap au Cameroun ?

Je dirais que c’est une attitude qui correspond à mon engagement dans l’Église : quand on me sollicite, si j’en ai la possibilité, j’accepte. J’ai eu l’occasion de rencontrer Esther Wieland-Maret, membre de la Commission Échange de Personnes au Défap et pasteure du Chambon-sur-Lignon, où je réside la moitié du temps. J’ai pu aussi m’entretenir avec la pasteur Tünde Lamboley, de l’équipe du Défap. Il y avait un besoin d’évaluation des hôpitaux avec lesquels le Défap est en lien au Cameroun. L’organisation de la mission a été rendue difficile du fait du contexte de pandémie de Covid-19, mais elle a finalement pu avoir lieu. Et sur place, j’ai eu confirmation d’une chose dont je suis persuadé depuis longtemps : il est nécessaire de provoquer ces rencontres, d’inciter les gens à aller sur place – notamment des étudiants. On ne peut pas comprendre le monde tant qu’on reste à Paris. J’ai pu rencontrer, par exemple, Charline, envoyée du Défap, et voir à quel point elle s’épanouit dans sa mission.

Charline, envoyée du Défap au Cameroun, à l’hôpital de Yaoundé © Jacques Beurier

Qu’avez-vous découvert sur place en ce qui concerne le fonctionnement des hôpitaux ?

Sur le plan matériel, il y a beaucoup à faire. Les infrastructures sont très dégradées, et on manque de matériel. Les locaux en eux-mêmes sont tout à fait utilisables, moyennant une rénovation ; quant aux équipes médicales, elles auraient surtout besoin d’un matériel facile d’utilisation et d’entretien : plus d’ambulances en état de marche, des salles de radio qui fonctionnent… Une des grandes satisfactions que j’ai pu avoir sur place, c’est de constater à quel point les équipes sont désireuses d’apprendre et d’utiliser du nouveau matériel. Il est facile de trouver des personnes ayant les compétences requises, facile de les former, et les formations sont très suivies.

Plus largement, les structures médicales actuelles datent beaucoup, et l’implantation des hôpitaux mériterait d’être repensée. Certains sont surdimensionnés : ils sont héritiers d’une longue histoire, mais se retrouvent aujourd’hui dans des lieux dont la population a beaucoup diminué. D’autres au contraire sont implantés dans des régions qui ont pris de l’importance, et ils mériteraient d’être développés pour répondre aux besoins de cette population qui s’est accrue. Le problème est donc d’adapter les structures aux évolutions de la population.

Que vous a apporté cette mission ?

Des contacts passionnants ! Et l’impression de pouvoir faire avancer les choses… Un peu de frustration, aussi, de ne pas avoir pu faire plus : si j’avais eu les conditions matérielles nécessaires, j’aurais pu donner directement un coup de main aux équipes. Car finalement, mon métier, c’est de réparer les gens : je suis une sorte de garagiste, qui intervient avec son tournevis, sa chignole… Même s’il y a, dans mon métier, une dimension humaine et psychologique évidente, la base de mon travail, le côté matériel, c’est de la réparation. Je ne suis pas là pour sauver les âmes, mais pour réparer les corps. C’est une approche qui vaut ce qu’elle vaut ; elle permet surtout de démystifier le travail du chirurgien, et d’éviter de se poser trop de questions qui ne seraient pas de mon ressort sur le contexte, sur le pourquoi, sur l’opportunité de soigner.

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