La question de la mission, et de la manière d’en renouveler les formes, se pose depuis bien des années à tous les organismes missionnaires, et au-delà, aux Églises mêmes. La crise sanitaire n’a fait que rendre plus perceptibles ces questionnements. Le Défap avait déjà entamé une réflexion au long cours avec son processus de refondation ; réflexion qui se poursuit à travers ses «Ateliers de la mission», qui pour cause de contraintes sanitaires ont été convertis en une série de webinaires… Mais quelle parole spécifique peut porter le Service protestant de mission dans cette période si particulière ?

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C’est une voix à la radio, une lettre de nouvelles posée à l’entrée d’un temple ; c’est un site internet, une newsletter que vous recevez parmi vos mails. Une page Facebook. Des visages, des témoignages ; des récits de choses partagées, vécues ensemble. Derrière tout ceci, un acronyme de cinq lettres devenu à la longue un substantif : le Défap. Il fait un peu partie des murs de la maison. Il évoque, de manière peut-être un peu vague, des images de relations entretenues avec des Églises lointaines, par-delà les frontières. Mais qu’a-t-il à communiquer par temps de crise sanitaire, quand les Églises d’ici sont touchées par des restrictions qui sont, elles, très concrètes – quand les temples doivent fermer leurs portes ou adapter leurs cultes, et que les prêches se font via Youtube ?

Quand on parle de communication de crise, d’emblée viennent des images de réunions fébriles de communicants, d’éléments de langage à distiller au gré des petites phrases, de conférences de presse houleuses ; on a tout de suite présente à l’esprit une structure soumise à l’inquisition et à la curiosité de tous, en posture défensive.

Dans le cas du Défap, communiquer par ces temps de crise, c’est presque tout le contraire : c’est dire, simplement, qu’on poursuit le chemin – en dépit du brouhaha, des cahots et des nids-de-poule.

Soyons honnêtes : les contraintes sanitaires ont plutôt joué le rôle d’accélérateur, ou de révélateur, d’une crise générale qui était déjà bien présente. Certes, l’impact du coronavirus se mesure, non seulement en vies perdues, mais aussi en vies gâchées, en tensions accumulées, en inégalités accrues. Mais au sein de notre société, la fragmentation était déjà à l’œuvre. Au sein de nos Églises aussi.

Curieusement, il n’est pas difficile de parler de transcendance en ces temps incertains ; mais chacun aura tendance à voir Dieu à sa porte. Or il ne s’agit pas seulement de rejoindre chacun dans ses questionnements personnels et dans ses angoisses intimes ; il faut aussi parler de ce qui était, de ce qui est et sera. Avant, après, et au-delà de la crise, quel que soit le prisme à travers lequel on l’envisage : qu’elle soit sanitaire, sociale, systémique, écologique… Parler de ce projet vaste, global auquel nous sommes tous conviés. Cela s’appelle la mission.

Le terme a suscité tous les enthousiasmes et toutes les méfiances, au point de presque disparaître. Il connaît aujourd’hui, dans certaines Églises (pas dans toutes !) un spectaculaire retour en grâce. Mais que recouvre-t-il ? En quoi peut-il se rapporter à ces clichés en noir et blanc de jeunes gens partant, parfois pour une vie entière, vers des contrées alors inconnues ? Doit-on parler d’une actualisation de cette ancienne figure du missionnaire – ou est-ce tout autre chose ?

Les recettes sont nombreuses et il y a beaucoup d’appelés.

Là encore, soyons honnêtes : en ce XXIème siècle, à l’époque de l’Internet omniprésent et de la mondialisation triomphante, les terres non atteintes par la Bonne Nouvelle ne sont plus légion. La question est plutôt de savoir ce que l’on en fait.

Il ne sert à rien d’aller annoncer la Bonne Nouvelle jusqu’aux extrémités de la Terre, si c’est pour y évangéliser les fidèles d’une autre Église. D’ailleurs, aujourd’hui, le monde est chez nous : il suffit de regarder nombre de nos paroisses.

Or cette idée d’une mission conquérante, si proche de celle qui prévalait au XIXème siècle, a aujourd’hui de nombreux adeptes. Elle nous revient même à travers certaines de ces Églises implantées en France par des Églises autrefois «filles », devenues «Églises sœurs » ; ces Églises fondées par des missionnaires, qui envoient elles-mêmes des missionnaires jusque dans les contrées déchristianisées d’Europe – de nouveaux missionnaires qui eux-mêmes acquièrent bien vite leur autonomie. Floraison d’Églises. Pour quelle moisson ?

Présentation des activités du Défap, telle qu’elle aurait dû être faite lors des synodes régionaux de 2020, reportés pour cause de crise sanitaire

Qui faut-il évangéliser ? Au nom de quelle Église ?

Le nomadisme ecclésial n’est pas un gros mot : c’est une réalité sociologique. Mais n’est-ce pas aussi un aveu d’échec pour toutes ces Églises qui auront su attirer tel fidèle un dimanche, sans le faire revenir le dimanche d’après ?

Qui faut-il évangéliser ? Au nom de quelle Église ? L’important est-il de faire vivre telle structure au détriment de telle autre ? Faudra-t-il une Église différente pour chaque nationalité, pour chaque culture, pour chaque âge de la vie, pour chaque conception de l’être humain dans laquelle les uns ou les autres pourront se reconnaître, au gré des frontières invisibles qui partagent notre société ?

On entend souvent dire que notre époque est en manque de certitudes. Permettez-moi de penser le contraire : le problème n’est pas le manque, mais le trop-plein. Chaque groupe social défendant des acquis ou revendiquant des droits, chaque minorité réclamant à grands cris une reconnaissance, chaque conception du monde, de la société et de l’humanité en lutte contre toutes les autres pour faire reconnaître sa légitimité, sont autant de certitudes qui exigent notre foi exclusive et combattante. La vérité même devient malléable. Elle ne peut plus prétendre être un arbitre : elle-même devient un enjeu.

Et bien sûr, toutes ces certitudes arc-boutées dans leurs guerres intestines forment autant de lignes de fractures, non seulement dans la société où nous vivons, mais aussi dans nos propres Églises. Ce qui guette nos sociétés, ce n’est pas l’anomie – l’éparpillement dans le vide et le silence – c’est plutôt le vacarme de millions de voix, chacune se haussant pour surmonter les autres, quand plus personne n’écoute.

Nos Églises seront-elles une voix de plus dans ce vacarme ?

Prendre soin du vivre-ensemble

Tout au long de ses voyages autour de la Méditerranée, Paul a implanté des Églises. Il n’est jamais reparti en laissant derrière lui des recrues, chargées de poursuivre une mission d’enrôlement : il a créé des communautés. Des familles. Et chacune de ses lettres nous montre le soin qu’il prenait de cette vie communautaire. Du vivre-ensemble. Du besoin très humain de chacun d’être entendu dans ses besoins, guidé dans ses erreurs, départagé dans ses conflits, rassuré dans ses doutes, encouragé dans l’adversité, porté à son meilleur non seulement par sa foi, mais aussi par la communauté.

Voilà l’aspect très actuel de la «missio dei» : la mission ne se confond pas avec l’expansion d’une Église, d’une dénomination ; elle est avant tout mission de Dieu. Dieu nous invite à entrer dans sa famille et dans son projet – un projet vaste, global de réconciliation.

Dans ce projet, il ne s’agira pas de savoir qui supplantera l’autre : «j’ai planté, Apollos a arrosé, mais c’est Dieu qui a fait grandir». Alors, et alors seulement, chaque crise ne deviendra pas pour toute l’Église une occasion de chute – à l’image de la crise sanitaire que nous connaissons depuis plus d’un an – mais au contraire une occasion de resserrer les liens.

Dans notre vie humaine, d’où partent, et jusqu’où vont ces liens ? Ils se tissent, nous dit Jésus en Matthieu, « là où deux ou trois sont assemblés en mon nom» ; et ils vont, nous dit-il encore en Actes, «jusqu’aux extrémités de la terre». Voilà comment se réconcilient l’image de l’envoi en mission et celle de la vie communautaire : il ne s’agit pas d’aller faire des conquêtes, mais d’agrandir une famille.

Parler de partage

Témoignage d’Aurélie Chomel, envoyée au Cameroun, à l’hôpital de Bafia, recueilli à distance dans la perspective du Cinquantenaire du Défap

C’est l’idéal vers lequel tend le Défap depuis cinquante ans ; depuis que la Société des Missions Évangéliques de Paris, la vénérable SMEP, a choisi de se partager entre une Communauté d’Églises en Mission (la Cevaa) et un Service Protestant de Mission chargé d’entretenir le lien au près et au loin. Par quoi passe ce lien ? Par la communion spirituelle, tout d’abord ; mais aussi par des choses humaines et modestes. Des projets d’écoles, de dispensaires. Des envoyés de nos Églises qui vont enseigner ou soigner. Des relations entre instituts de théologie. Des échanges de professeurs. Des boursiers qui viennent de loin pour étudier en France ; qui, peut-être, deviendront des pasteurs de ces Églises-sœurs – voire même prêcheront dans nos propres Églises. Tous avec leur propre bagage culturel, leur propre approche historique, leur propre vision de la société, leurs propres idéaux politiques – autant de certitudes ancrées en chacun et qui pourraient être autant de prétextes de conflits, sans la lumière décapante de l’Évangile seule capable d’en montrer à chaque fois les limites.

Mais que peut être alors la communication en ces temps de crise ? Elle est un rappel que lorsqu’on parle de vivre-ensemble, il s’agit avant tout de vivre, plus que d’argumenter. Dans la cacophonie des certitudes et des revendications, il s’agit de parler de partage. C’est le témoignage des envoyés d’hier et d’aujourd’hui que vous pouvez retrouver dans le dossier «Cinquantenaire du Défap» sur notre site. Il s’agit encore de parler de mission : une mission, non pas conquérante ou défensive, mais où chacun soit accueilli. Ce sont les méditations que vous retrouvez régulièrement sur notre site, celles aussi qui scandent le calendrier des «Verbes de la mission» ; c’est encore cette série de webinaires qui débute au mois d’avril, «les jeudis de la mission».

Témoignage de Patrice Fondja, pasteur missionnaire, recueilli à distance dans la perspective du Cinquantenaire du Défap

Et ce sont aussi des outils, modestes. Une voix à la radio. Une lettre de nouvelles. Une newsletter parmi vos mails, que vous pouvez choisir d’ouvrir.

Ou pas.

Franck Lefebvre-Billiez

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