Crise économique, financière, sanitaire : dans Beyrouth où l’on tarde à relever les ruines des explosions du 4 août, la petite communauté protestante francophone poursuit son témoignage et son action diaconale. Le pasteur Gérard Riess vient d’y passer plus d’un an. Il témoigne de «la force de l’accueil» de cette Église.

Le port de Beyrouth, détruit par l’explosion du 4 août 2020 © Gérard Riess

 

Deux réalités parallèles. D’un côté, celle des institutions : Saad Harari, de retour après avoir été chassé par la rue en octobre 2019, a promis pour sauver le Liban un gouvernement d’experts. Son crédit dans l’opinion publique reste très faible ; il y a un peu plus d’un an, des dizaines de milliers de manifestants, sunnites, chiites, chrétiens, druzes, s’étaient rassemblés dans tout le pays, de Tripoli à Saïda, d’Akkar jusqu’à Tyr, unis pour réclamer la chute du régime. Leur chant de ralliement, «Tous veut dire tous !», était une dénonciation d’un système politique confessionnel qui avait permis le blocage de la démocratie libanaise. Un fait sans précédent qui avait alors provoqué la démission de Saad Harari. Et le voilà de nouveau engagé dans des négociations pour former son quatrième gouvernement, profitant de ce même système confessionnel qui assure le poste de Premier ministre à un sunnite. L’économie est en plein naufrage, les caisses des banques sont vides, et l’un des principaux bras-de-fer qui agitent la classe politique, c’est l’audit de la banque centrale. Un audit jugé «indispensable» par Emmanuel Macron, un audit sans lequel les aides internationales resteront bloquées ; mais face à lui se dresse un mur : celui de la loi sur le secret bancaire de 1956, qui a permis de faire du Liban la «Suisse du Moyen-Orient». Le gouverneur de la banque centrale s’y accroche avec d’autant plus de vigueur que toute la corruption de la classe dirigeante libanaise, dont nul ne doute au Liban, risquerait d’éclater encore plus au grand jour.

Et il y a, de l’autre côté, la réalité du quotidien. Celle d’un pays meurtri, d’une capitale, Beyrouth, où les ruines des explosions du 4 août sont encore partout présentes. La silhouette éventrée du silo à grains du port, émergeant de ce qui ressemble à un champ de bataille, en reste le symbole repris par des photos publiées dans toute la presse internationale. «Les explosions dans le port de Beyrouth du 4 août, qui ont tué plus de 300 personnes, blessé 6500 autres, et généré 300 000 sans abris, ont dévasté des quartiers entiers de la ville et beaucoup de bâtiments se retrouvent, à l’arrivée de l’hiver, sans toit ni fenêtres tandis que d’autres sont menacés d’écroulement, témoigne le pasteur Gérard Riess. Les Libanais vivent actuellement en mode survie : fatigue, découragement, énorme colère, sentiment de désolation, situation traumatique qui est à son paroxysme. «C’est pire que les 15 ans de guerre», me dit-on quelquefois…». Car les maux s’accumulent : aujourd’hui, le peuple libanais, «sauf quelques privilégiés étouffe et est en danger de mort, souligne Gérard Riess. Il étouffe face à une situation économique désastreuse (400% d’inflation, parité de la livre libanaise avec le dollars multipliée par 6, petite épargne des gens inaccessible, rayons des magasins qui se vident…). Il étouffe face une pauvreté endémique qui se répand (55% de la population sous le seuil de pauvreté). Il étouffe face aux injustices criantes, du fait de la corruption, du clientélisme, d’une gestion désastreuse et criminelle des affaires publiques.»

«Notre aventure libanaise restera une expérience marquante»

Le pasteur Gérard Riess vient de passer, avec son épouse Barbara, plus d’un an auprès de l’EPFB, l’Église protestante française de Beyrouth, comme pasteur intérimaire bénévole. Il y avait pris la suite du pasteur Pierre Lacoste, envoyé par le Défap en vertu d’un accord entre cinq partenaires unis pour encourager et soutenir le témoignage protestant français au Levant : la Ceefe (Commission des Églises protestantes d’expression française à l’extérieur), la FPF, l’ACO (Action chrétienne en Orient), le Défap, en lien avec l’APFB (Association Protestante Française de Beyrouth). Alors que Gérard et Barbara Riess se préparent au retour, fin 2020, ils témoignent pourtant : «notre aventure libanaise (…) restera assurément pour nous une expérience marquante dans notre parcours de vie, de foi et d’engagement au service de la communauté chrétienne.»

Car la petite communauté protestante de Beyrouth est une communauté qui vit, engagée socialement, présente auprès de certains des plus fragiles de la société libanaise : les employées de maison. Une catégorie sociale particulièrement défavorisée dans le pays : il s’agit surtout de jeunes femmes, attirées au Liban du fait de sa relative accessibilité et de son mode de vie «occidentalisé» vanté par les agences de placement. Mais une fois sur place, elles sont soumises à un semi-esclavage, travaillant onze heures par jour, six jours voire sept par semaine, quasiment recluses chez leurs employeurs, le tout pour des salaires dérisoires… Beaucoup sont originaires d’Éthiopie, des Philippines ou du Bangladesh, mais il y a aussi des jeunes femmes francophones et protestantes venues principalement de Madagascar : elles sont 5000 environ parmi les 250.000 travailleuses domestiques présentes au Liban. Ce sont ces jeunes femmes que l’on retrouve désormais nombreuses aux cultes de l’EPFB, aux côtés de la communauté francophone protestante de Beyrouth ou de paroissiens d’autres origines – et l’Église se mobilise régulièrement pour elles.

La force inattendue d’une communauté sans cesse en train de renaître

Membres de la paroisse protestante francophone de Beyrouth © Gérard Riess

Dans un contexte de paupérisation galopante de la société libanaise, elles font vraiment partie des «pauvres parmi les pauvres», et la communauté protestante de Beyrouth est pour elles un lieu d’ancrage vital. «Malgré un protocole contraignant, nous faisons l’expérience de rencontres joyeuses, fraternelles, contagieuses de ferveur et de manifestations de reconnaissance, souligne le pasteur Riess. Plusieurs célébrations particulièrement belles nous restent en mémoire avec des démarches de foi touchantes (baptêmes, confirmations, Sainte Cène). «Elles ont soif d’être à table avec Jésus», me disait un membre du conseil en charge des candidates aux baptêmes et à la confirmation.» Parallèlement, «une action d’aide alimentaire initiée par la paroisse est en cours : 50 colis sont distribués chaque semaine à des familles sans ressources, proches de l’Église. Des aides ponctuelles pour des soins d’urgence, soutien à personnes vulnérables, aides au transport (taxi pour se rendre au culte) sont accordées régulièrement. Souvent une parole, prononcée par un membre du conseil paroissial, lors de notre entrée en fonction me revient en mémoire : «on n’a pas de temple mais on est debout !».

Car, oui, l’EPFB reste toujours privée de temple : un projet immobilier qui aurait dû voir le jour il y a déjà plusieurs années, et bloqué par d’interminables démarches administratives, a contraint l’Église de Beyrouth à chercher refuge au sein des murs du Collège Protestant. Elle s’est même retrouvée privée de lieu de réunion régulier, pour cause de durcissement des mesures sanitaires dues au Covid-19. Mais elle poursuit ses activités et son témoignage. Gérard Riess souligne «l’entraide et la fraternité entre confessions chrétiennes, qui nous ouvrent les portes en nous accueillant chaleureusement.»

«C’est une Église qui en fait n’a pas grand chose, résume le pasteur Riess, si ce n’est la force de l’accueil, le sourire de la fraternité, le souci de celles et ceux qui sont sans terre d’accueil (…) Paradoxalement c’est cette fragilité d’une situation précaire qui semble donner une force inattendue à cette communauté où l’on se dit quelquefois : «elle va disparaître» mais qui sans cesse est en train de renaître, grâce au courage d’être et au parti pris d’espérance de quelques-uns, que je qualifie volontiers d’«anawim» les pauvres de Dieu… ils n’ont rien, ils ne sont ni reconnus, ni pris en compte, rarement écoutés, mais ils jettent leur confiance en Dieu, le seul qui ne les abandonne pas, car il est Celui qui se penche en priorité vers les pauvres, les humbles, les délaissés.»

 

Gérard Riess, un an à l’EPFB

Originaire de la région de Strasbourg, Gérard Riess a été pasteur durant 35 ans dans l’UEPAL (Union des Églises Protestantes d’Alsace et de Lorraine). Avec Barbara, son épouse, ils ont 3 enfants et 3 petits-enfants. Il bénéficie du statut de pasteur retraité bénévole de l’EPUdF (Église protestante unie de France) pour avoir assuré plusieurs intérims en Charente, Poitou, Bretagne… Sa motivation en venant avec son épouse comme pasteur intérimaire bénévole durant une année à Beyrouth : faire Église ensemble, en apprenant à se déplacer vers l’autre dans nos différences vers l’appel de Dieu… et ainsi découvrir les multiples facettes et couleurs qui font la richesse et la diversité du peuple de Dieu.

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