Partir à l’étranger avec le Défap, ce n’est pas seulement découvrir un autre pays, une autre culture, et y vivre de nombreux mois en immersion : c’est aussi se découvrir soi-même. Avec le Covid-19, d’autres problématiques se posent. Au travers de leurs lettres de nouvelles, les envoyés partagent leur ressenti mais aussi leurs questionnements.

 

Elie OLIVIER était en service civique comme animateur linguistique – échanges interculturels à Antsirabe (Madagascar).

Que la joie demeure !

Le cœur dit de rester, la raison dit de partir. Qui écouter ? Je n’en sais rien. Puis je me décide : je pars. La tristesse me submerge et m’empêche d’exprimer ma colère. De toutes façons, contre qui être en colère ? Ce pauvre pangolin braconné ? Ce marché insalubre ? A quoi bon…

Parmi les sentiments qui me traversent, le plus intense est la déception. Déception d’interrompre des projets en cours, de ne pas avoir pu faire tout ce que j’avais envie de faire. Les larmes qui coulent sur mes joues ont un goût d’inachevé.

Aujourd’hui, il pleut. Ce n’est pas cette pluie tropicale, chaude, brève, puissante, que j’aimais tant affronter à vélo sur les routes boueuses. Non, c’est une pluie tiède, molle, qui ne cesse de tomber. Les vers de Verlaine que mon grand-père aimait beaucoup reviennent à ma mémoire :

Il pleure dans mon cœur Comme il pleut sur la ville ; Quelle est cette langueur Qui pénètre mon cœur ?

Il faut maintenant annoncer la nouvelle aux enfants… Ils comprennent, même s’ils ne se rendent sans doute pas compte de l’ampleur d’une pandémie. Leur maturité m’étonne de plus en plus ! Ils pourraient m’en vouloir, mais ils sentent que mon choix est fait à contre-cœur. Nous organisons un goûter d’au revoir, car manger fait toujours du bien dans ces moments-là. Le vol n’est que demain soir, alors les enfants me convainquent de revenir le matin. C’est d’accord, j’essaierai de leur laisser une meilleure impression ! Des sourires plutôt que des larmes…

La dernière matinée, on joue, on prie, on rigole… Que du bonheur ! J’essaie d’apprendre un dernier morceau de piano à Fy et Bruno : « Que ma joie demeure » de l’intemporel et universel Bach. Ils adorent, alors j’écris la partition sur un bout de papier, vite, vite… puis il faut partir. Comme on dit à Madagascar, « Tsy veloma fa mandra-pihaoana » Ce n’est pas un adieu, mais à bientôt.

J’enfourche mon vélo, remercie de tout cœur la directrice et tout le monde pour ces merveilleux mois. Je donne un premier coup de pédale… un deuxième… un troisième… je me retourne une dernière fois. Il n’y a plus personne devant le portail, mais j’aperçois entre les grilles Mamy, ce petit bout de chou, qui me regarde m’éloigner, la tête entre les grilles. Quelle belle dernière image de Akanisoa je vais garder en mémoire !

Taxi-brousse, attente, avion, voiture… et me voilà en France. On nous avait parlé de la difficulté du retour de mission, mais ce retour-ci est si étrange… En 24 heures je suis passé de l’insouciance des enfants à la méfiance de tous ces gens masqués ; d’une proximité amicale à une distanciation forcée. Il faut faire avec et avancer… ou plutôt rester chez soi.

Paradoxalement, cette situation inédite rend le retour peut-être moins difficile. Comprenons-nous bien : ce départ précipité a été un déchirement. Mais ce que je redoutais du retour, c’était de ne pas me sentir en accord avec le mode de vie mes proches, de ne pas être sur la même longueur d’onde. Là, nous sommes tous bouleversés, nous allons sans doute tous changer, en un certain sens. Alors je me sens moins seul, bizarrement, dans ce triste épisode.

Cette année de mission devait être une parenthèse enchantée. Elle l’a été, et elle n’est pas encore refermée. Après avoir discuté avec le Défap, a émergé l’idée de poursuivre la mission à distance : préparer des fiches de cours de solfège, des partitions de piano, des problèmes d’échecs, un tuto pour construire un jeu de dames avec du carton et des bouchons de bouteille… L’idée est non seulement d’occuper les enfants pendant le confinement, mais aussi de préparer la venue du prochain volontaire, en commençant une « boîte à outils » que chaque envoyé pourra remplir de ses passions. Car l’idée centrale ici, qui m’a questionné le long de l’année, est la transmission. Comment assurer une continuité entre tous ceux qui viennent et ne restent qu’une année sur place ? Mon départ précipité pourrait ouvrir la voie à une nouvelle façon de passer le flambeau au suivant. Alors… au travail !

Avant tout, je commence par télécharger un logiciel sur mon ordinateur pour écrire des partitions. Car j’ai un morceau en tête qu’il faut que je leur envoie… Lequel ? « Que ma joie demeure », évidemment !

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