À gauche : le président de l’EELRCA, Samuel Ndanga-Toue ; à droite, l’administrateur de l’EELRCA, Patrick Kelembha © Défap

Officiellement, la guerre civile a pris fin depuis plus de trois ans en République centrafricaine : un accord de cessation des hostilités a été signé en juillet 2014 à Brazzaville, un nouveau président a été élu à la fin de l’année suivante… Pourquoi les violences continuent-elles ?

Samuel Ndanga-Toue, président de l’EELRCA : Elles ne peuvent pas prendre fin tant que les groupes armés qui agissent à travers le pays n’auront pas tous été désarmés. À cause de ces groupes, nous vivons dans une grande insécurité. Ils sont susceptibles de commettre des exactions n’importe où, n’importe quand. À un moment donné, la situation peut sembler calme ; mais du jour au lendemain, la population peut subir des attaques. Il n’y aura pas de paix tant que tout le monde n’aura pas été désarmé.

De quelle manière les affrontements qui ont culminé au cours des années 2013-2014, et l’insécurité qui persiste, ont-ils pesé sur les actions et le témoignage de l’Église Évangélique Luthérienne de République centrafricaine ?

Pour aller plus loin :

Samuel Ndanga-Toue : En dépit de l’insécurité, nous organisons des campagnes publiques, des séances de formation, des colloques, des conférences : notre Église poursuit son témoignage au sein de la société. Elle s’est aussi beaucoup occupée des déplacés qui fuyaient les violences : toute une organisation a été mise sur pied pour les accueillir, les nourrir, prendre soin de leurs besoins. Il y a eu des collectes en leur faveur. Certains ont été accueillis dans des églises, d’autres logés dans des familles…
Mais la crise a eu aussi des aspects positifs : sans elle, il n’y aurait pas aujourd’hui de plateforme commune rassemblant catholiques, protestants et musulmans. C’est précisément les tensions communautaires qui ont montré le besoin de créer un lieu de dialogue de manière à désamorcer les risques de violences confessionnelles. La crise a contribué à renforcer le dialogue interreligieux.

Pour quels projets êtes-vous en relation avec les protestants de France ?

Patrick Kelembha, administrateur de l’EELRCA : Trois projets de notre Église ont bénéficié de financements de la Colureum [la Commission luthérienne des relations avec les Églises d’outre-mer, aujourd’hui intégrée au Défap]. L’un concernait le soutien à l’administration centrale de l’Église ; l’autre un programme d’évangélisation parmi les Citoyens [terme qui désigne officiellement les Pygmées] ; un troisième concernait le soutien à notre école de théologie de Baboua. Le premier et le dernier bénéficient encore aujourd’hui de financements.

Comment percevez-vous la situation des Églises de France ?

Un des projets de l’EELRCA : une école à Bohong © Anne-Lise Deiss pour Défap

Samuel Ndanga-Toue : Les contextes sont très différents ; et pourtant en France, dans un pays en paix, nous avons constaté que les Églises peuvent avoir des difficultés pour porter leur témoignage dans la société. Les contraintes liées à une conception de la laïcité les tiennent enfermées dans leurs locaux et les gênent pour jouer leur rôle. Elles ne peuvent pas aller évangéliser dans des lieux publics. C’est là un lourd défi pour une Église.

Patrick Kelembha : De même pour l’accueil des réfugiés : les Églises doivent s’en occuper un peu en cachette, parce qu’aux yeux de l’État, certains peuvent légitimement être accueillis, et d’autres pas. Or pour l’Église, un être humain, c’est un être humain. On doit accorder la même dignité à tous.

Quel aspect de la vie des Églises de France vous a le plus intéressé ?

Samuel Ndanga-Toue : Nous avons été très impressionnés de voir à l’œuvre l’union des Églises luthériennes et réformées. Aujourd’hui en France, elles fonctionnent véritablement en commun. C’est là un constat encourageant pour nous, et qui nous pousse à espérer qu’en Afrique aussi, des Église différentes pourraient se rapprocher. On ne peut pas être une Église en restant chacun isolé ; nous défendons tous la même cause, et s’il existe des différences entre nous, nous devons les transcender pour faire progresser cette cause commune.

Propos recueillis par Franck Lefebvre-Billiez


Retrouvez dans la vidéo ci-dessous quelques illustrations de projets de l’Église Évangélique Luthérienne de République centrafricaine : une école pour filles musulmanes à Bohong (village de l’Ouest de la RCA, à 75 km de Bouar) ; un centre de soin, une école biblique ; l’école théologique de Baboua ; quelques vues d’une rencontre avec les partenaires de l’EELRCA ; ainsi que des illustrations de la vie en Centrafrique, avec notamment des déplacés ayant fui les violences pour se réfugier dans la brousse. Sur le million de Centrafricains qui ont fui les violences à partir de mars 2013, on dénombre encore aujourd’hui 384.000 personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et plus de 467.000 réfugiés dans les pays voisins.

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