Depuis le début des années 2000, cette Église fondée par un missionnaire de la SMEP, ancêtre du Défap, voit sa sociologie se transformer radicalement avec l’arrivée en Tunisie de jeunes étudiants ou migrants d’origine subsaharienne. Elle est devenue un lieu de rencontre entre des protestants qui vivent leur foi de manières très diverses. Avec des défis nouveaux et difficiles à relever, liés aux migrations.
La façade du bâtiment de l’Église Réformée de Tunisie, 36 rue du général de Gaulle à Tunis © Google
La façade pourrait être celle d’un temple des Cévennes. La mention « Au Christ rédempteur », qui entoure la rosace surplombant la porte d’entrée, n’attire pas la curiosité des voisins. Voilà près de 130 ans que le bâtiment de l’Église Réformée de Tunisie (ERT) est installé dans ce quartier de Tunis. Il avait été construit en 1889 à l’initiative de la femme du résident général de France, Paul Cambon. Quant à l’ERT elle-même, elle provenait du travail d’un missionnaire de la SMEP (Société des Missions Évangéliques de Paris), le pasteur Durmeyer, qui avait quitté l’aumônerie militaire pour s’investir dans la création d’une Église à Tunis. Mais en-dehors de l’apparence du bâtiment, rien ne rappelle cet aspect historique de l’Église Réformée de Tunisie. La foule qui se presse le dimanche est jeune, les fidèles principalement d’origine subsaharienne ; pour accueillir tout le monde, il a fallu multiplier les cultes dominicaux. Il y a désormais deux cultes en français, un culte en anglais au centre méthodiste le dimanche après midi, un culte en arabe… L’ERT est une Église en croissance, mais dont les fidèles ne s’implantent pas plus de quelques années. Et son principal défi est de les accompagner.
Liens historiques avec le protestantisme français et multiculturalisme : ces deux aspects résument aujourd’hui l’identité de l’Église Réformée de Tunisie. Si, au cours de son histoire, elle a pu passablement s’éloigner des Églises de France, elle a manifesté ces dernières années son vif désir de revenir dans l’univers ecclésial protestant francophone. Elle est membre de la Ceeefe (Commission des Églises évangéliques d’expression française à l’extérieur) et a renoué depuis 2012 des relations avec le Défap, successeur de la SMEP. C’est à la suite d’une demande de l’ERT que le Défap a repris l’envoi de personnes, qui a permis de développer une collaboration entre Églises de France, de Suisse et de Tunisie grâce à l’engagement du pasteur Freddy Nzambé.
Le besoin d’accompagnement spirituel est primordial
Pour aller plus loin :• Le point sur la Tunisie et sur les actions du Défap |
Jusqu’au début des années 2000, les protestants de Tunis étaient principalement des Français, des Suisses, des Belges, des Américains ou des Anglais. Ils fréquentaient les deux Églises protestantes de la ville : l’ERT et l’Église anglicane. Le développement de l’immigration subsaharienne a radicalement changé le visage du protestantisme tunisien. L’ERT est devenue un lieu de rencontre naturel entre des fidèles issus de communautés protestantes très diverses, pendant que de nouvelles Églises typiquement africaines se créaient en Tunisie. Ces nouveaux paroissiens sont arrivés avec leurs propres chants, leurs propres expressions de la foi, mais aussi leurs propres défis : l’Église, déjà engagée dans le développement rural (via l’association Abel Granier) et le soutien à l’École Protestante de Tunis (l’école Kallaline), a dû s’impliquer dans l’accompagnement des étudiants subsahariens et l’accompagnement des migrants.
Un culte dominical à l’Église Réformée de Tunisie © Défap |
Des défis lourds à porter pour une communauté de quelques centaines de membres, même si l’arrivée de la Banque Africaine de Développement (BAD) a, un temps, fait écran : à la suite du déclenchement de la guerre civile ivoirienne, provoquée par un coup d’État manqué en septembre 2002, le personnel de la banque, soit près de 2000 personnes, a été transféré d’Abidjan à Tunis. Ces Ivoiriens, pour la plupart chrétiens, et comptant de nombreux cadres, ont largement renouvelé le visage des cultes de l’ERT. Mais la BAD est revenue à Abidjan en 2014. Aujourd’hui, les questions de migration sont, de fait, au cœur des préoccupations de l’Église. Pour les jeunes venus d’Afrique subsaharienne, les possibilités de s’installer en Tunisie sont quasi-nulles : ce sont soit des étudiants qui devront revenir dans leur pays une fois leurs études terminées, soit des migrants au statut très précaire qui cherchent à poursuivre vers le nord. Certains disparaissent parfois sans donner de nouvelles, laissant les autres membres de l’Église désemparés.
Pour beaucoup de ces paroissiens dont le futur est incertain, l’église est un vrai lieu de vie et de partage. Ils sont nombreux à participer aux cultes, aux rencontres thématiques sur des sujets liés à l’actualité ou à l’éthique, et se retrouvent aussi dans des groupes de maison qui sont des lieux importants de connaissance et de partage. L’ERT est une Église où l’on prie beaucoup, intensément, avec émotion ; où le besoin d’accompagnement spirituel est primordial. Et au-delà du spirituel, l’Église s’efforce de mettre en place un programme d’orientation avec d’autres partenaires, afin de pouvoir être plus présente aux côtés de ces étudiants ou migrants pour lesquels la Tunisie ne sera qu’une étape. Le protestantisme français, pour sa part, reste présent aux côtés de l’Église Réformée de Tunisie à travers les envoyés du Défap, les échanges de pasteurs entre la France et la Tunisie, ou encore les échanges de jeunes : l’un d’entre eux est en préparation.