Créé en 2002 par le Conseil œcuménique des Églises, le programme EAPPI (Programme œcuménique d’accompagnement en Palestine et en Israël) mobilise des volontaires internationaux pour soutenir les Palestiniens vivant sous occupation. À Jérusalem-Est, Monique agit en tant qu’accompagnatrice œcuménique, engagée sur le terrain pour la défense des droits humains.

Ce qui caractérise les Palestiniens c’est leur volonté farouche de rester enraciné à leur terre, de rebâtir sans cesse, de continuer à produire, à améliorer la vie de leur famille et de leur communauté. Dans tous les villages menacés par les colons, frappés par les ordres de démolitions, nous rencontrons des leaders des communautés, des chefs de village, des élus des Conseils municipaux, des paysans qui chacun de leur côté font en sorte d’aider leurs concitoyens, de les défendre contre le harcèlement. Si nombre d’entre eux voient l’horizon bouché à court terme, ils puisent dans la culture millénaire de cette terre soumise à la violence de l’occupation depuis si longtemps, la force de la patience.
Beaucoup nous disent qu’en 2030, Israël sera tellement isolé qu’il devra se retirer de laCisjordanie… Pour d’autres ce serait en 2033… Peu importe, ils sont certains d’être chez eux : ils ne partiront pas, même si pour l’instant, la division politique des Palestiniens affaiblit la possibilité de perspectives claires. Cela n’empêche pas la grande angoisse qu’ils subissent de ne pas savoir ce qu’Israël prépare. Tous redoutent le pire pour la Cisjordanie.

Mohamad Ayyash
Mohamad Ayyash est un agronome qui fait partie du Conseil d’Administration de Al-Nahda Rural Society. Le village de Biddu se trouve dans une enclave de 8 villages totalement encerclés par les colonies, coupés de la Cisjordanie parce que se trouvant de l’autre côté du mur et de Jérusalem par les checks-points. Pour y accéder, il faut prendre des tunnels et des routes clôturées. Une réalité kafkaïenne! 16 villages se trouvent dans cette zone qui sont divisés en deux enclaves : celle de Biddu (8 villages) et celle de Bir Nabala ( 6 villages) Plus le village de Beit-Iksa et celui de Nabi Samuel., totalement isolés Plus de 60 000 personnes se retrouvent, depuis la construction du mur de l’apartheid, séparées de ce qui était leur centre de vie : Jérusalem.
La route qui y menait en quelques minutes est fermée par le check-point de Al-Jeeb qui n’est emprunté que par les habitants de Nabi Samuel pour se rendre à Ramallah et par des diplomates. Des portes de différentes couleurs ont été installées à l’entrée de chaque village qui peuvent être fermées à tout moment. Le mur et les colonies séparent les fermiers de leurs champs, qui se trouvent en zone C, auxquels ils n’ont accès que deux ou trois fois par an. Des drones israéliens survolent les terres et prennent des photos ; si elles semblent non cultivées, elles tombent sous le couperet de la loi des absents et au bout de 3 ans deviennent terres de l’Etat d’Israël selon une vieille loi ottomane. Heureusement, la majorité d’entre-elles sont couvertes d’oliviers qui ne meurent jamais et résistent malgré l’absence d’entretien régulier. Ce n’est pas pour rien que l’olivier est le symbole de la Palestine !
Aider les fermiers à rester sur leurs terres en leur permettant d’améliorer leur revenu et leur production c’est le but de Al Nahda qui veut dire « renaissance » et qui intervient dans tout le nord-ouest de Jérusalem. Elle aide à replanter des oliviers, à fournir des plants pour le maraichage, à produire du compost organique. 20 000 oliviers ont ainsi pu être replantés. 50 à 60 fermiers reçoivent de l’aide dans chaque village. Les femmes sont incitées à s’organiser pour produire des conserves de tomates, des confitures, du zaatar et fabriquer des savons. Al Nahda les aide à les vendre leur procurant ainsi un revenu. Malgré les violences de l’armée et des colons, les destructions de maisons, l’absence de travail, ces paysans cultivent ainsi l’espoir.

BEIT IJZA
BEIT IJZA fait partie de cette enclave : Sadaat habite avec ses parents, sa femme et ses quatre enfants, dans sa maison cernée par les colonies à deux mètres de chez lui. Enfermé entre des barbelés, des grilles, le mur qui passe sous sa propriété, il vit en permanence sous l’oeil des caméras. Les colons lui ont pris 4 ha de ses terres sur les 10 qu’il possédait. Il ne peut aller travailler ses oliviers que l’on voit pourtant de l’autre côté des grilles, qu’en empruntant une longue route jalonnée de check-points et de tunnels ; et encore, il n’a l’autorisation de s’y rendre que deux ou trois fois par an!
Après le 7 octobre, la grille qui transforme sa maison en prison était fermée en permanence et il devait demander l’autorisation des forces de sécurité israélienne pour pouvoir sortir. Il devait attendre parfois 2 ou 3 heures avant qu’ils ouvrent. En février dernier, sa mère était malade et devait se rendre en urgence à l’hôpital. Ils ont refusé d’ouvrir. Sadaat a alors détruit la grille pour sortir. Depuis, il peut l’ouvrir mais doit toujours la refermer. Cet homme à qui on retire la liberté de circuler, dont les enfants sont harcelés par les colons, cet homme affiche une telle sérénité souriante que je lui demande où il puise sa force. Sa réponse est aussi simple : « On est là ! Ce sont eux qui partiront, pas nous ! » Et malgré toutes les pressions, les offres d’argent et d’un passeport pour se rendre dans un autre pays, il restera.
HIZMA
Nous y rencontrons Faysal, un combattant de la paix et du dialogue avec les Israéliens. Il a fait 11 années de prison au moment de la 1ère Intifada. « J’y ai vu des choses terribles ». Il raconte comment les soldats viennent dans le village la nuit. Ils défoncent les portes, entrent dans les maisons, pénètrent dans les chambres avant que les femmes aient eu le temps de s’habiller, ils volent l’argent et les bijoux (corroboré par plusieurs témoignages fiables et dans plusieurs endroits différents). La journée, ils ferment parfois les portes (barrières) et personne ne peut sortir. Le pire ce sont les colons qui mettent le feu aux bâtiments agricoles, et qui ont tué trois personnes il y a deux mois « C’est contre le droit international. Nous voulons seulement être comme tout le monde. Pouvoir circuler librement, pouvoir travailler…Quand vous n’avez pas de quoi nourrir vos enfants, qu’est-ce qu’on peut faire ? La violence est la réponse de l’impuissance ! Avant je croyais en deux Etats avec des frontières ouvertes, sans murs, sans check-points. Je voudrais un seul État laïc et égalitaire, ne pas y mêler la religion. Un État normal où on puisse vivre normalement! »

KHAN AL AHMAR
Khan Al Ahmar est un village bédouin sous le couperet d’un ordre de démolition dans le cadre du plan E1 (cf. Lettre n°1). Rencontre avec Iman, une jeune fille de 20 ans. Elle se sent menacée par les colons dont L’avant poste surplombe la communauté. Ils viennent encore de placer trois caravanes supplémentaires. « Avant je pouvais aller à l ’école à Jéricho seule avec le bus. Mais il n’y a plus d’arrêt de bus. Il faut attendre des heures et la route est très dangereuse. Les colons font des rondes, écrivent dans le village des slogans sur les voitures : « Mort aux Arabes ! » Elle a dû arrêter ses études. Elle aurait voulu être puéricultrice. « C’est comme un verrou. Quelques filles de la communauté sont diplômées pour enseigner mais elles ne trouvent pas de travail. « Nous n’avons rien à faire de nos journées. C’est comme une prison. Je ne peux faire aucun projet de vie. »
FARKHA
Farkha se situe dans le Nord de Ramallah, c’est le premier village écologique de Palestine. Un village solidaire qui accueille trois familles de Gaza qui ne peuvent pas rentrer chez elles. Dans ce village pilote, de 1800 habitants, depuis 2019, les colons veulent confisquer 100 ha en zone C, en application d’un décret de confiscation des terres datant de 2002. Un fermier du village qui voulait réhabiliter sa terre a été agressé par les colons et ses arbres arrachés. Plusieurs familles ont été battues et harcelées et 5 familles de Bédouins qui vivaient ici depuis 25 ans ont été chassées.
Depuis longtemps le village organise l’été, un Festival International où des volontaires de tous les pays viennent travailler à réhabiliter les terrains. Les colons sont venus détruire les terrasses qu’ils avaient construites. Ils ont volé pour 20 000 shekels de matériel. Le lendemain, les jeunes sont revenus réaménager les terrasses. Les soldats leur ont signifié qu’il était interdit de travailler la terre et ils les ont frappés. Depuis le 7 octobre, la répression s’est encore aggravée. Un bulldozer est venu creuser une route qui va de la colonie à la source du village qui se trouve pourtant en zone B et qui alimente 40% de l’eau utilisée par le village..Ils ont installé des tuyaux pour capter l’eau de la source dans une citerne. Ils ont interdit à l’employé de la mairie de mettre en route la pompe et d’utiliser les panneaux solaires. Ils ont détruit le toit de la source pour pouvoir se baigner dans le bassin. Ils ont installé une vingtaine de bungalows en zone C et installé l’eau et l’électricité pour créer un avant-poste. Ils ont installé des bergers, armés, avec des brebis pour les faire pâturer y compris en zone A. Se rendant compte qu’isolés, les fermiers ne pouvaient pas se défendre, avec le soutien de la municipalité, ils ont décidé de s’organiser pour intervenir collectivement pour défendre leurs terres. Ainsi les colons n’osent pas intervenir. Ils ont mis en place un système d’entraide pour clôturer les champs, les entretenir et restaurer les terrasses. Ils se sont réapproprié la source. 200 volontaires ont bétonné le toit et protégé l’espace… Pendant la cueillette des olives, ils ont organisé la présence par roulement d’internationaux, d’Israéliens dont les rabbins pour la défense des droits humains, du PC israélien et d’autres mouvements anti-coloniaux.
Depuis 2015, sous l’impulsion de Baker, ancien maire du village, ils ont développé avec l’aide d’une ONG suisse, du Luxembourg, de collectivités françaises, et des Agronomes Arabes un projet pilote de ferme pédagogique. L’idée étant de démontrer et d’enseigner à des étudiants, qu’avec peu de terre, on pouvait produire ce qu’il fallait de manière biologique. Ils ont réhabilité deux citernes très anciennes, planté du zaatar, de la sauge, des oliviers, des vignes, des amandiers, des piments, des haricots, des légumes, des pommes de terre, et même du blé. Tout cela sur 125m2. Le travail repose sur le bénévolat, les bénéfices sont réinvestis dans la ferme et permettent de dégager un salaire. La coopérative des femmes produit des conserves. Les trois familles réfugiées de Gaza ont le droit de travailler dix jours par mois sur la ferme et peuvent ainsi se procurer un petit revenu. Par un échange de savoir-faire, ils sont en train de concevoir un écosystème novateur pour l’agriculture palestinienne, menacée par la colonisation et la domination des produits israéliens.

AL WALAJA
Maison d’Omar… Les cerisiers qui avaient été plantés, grâce à la solidarité de l‘Association France Palestine Solidarité et au travail volontaire, pour permettre à Omar de rester sur sa terre complètement bouclée par le mur, sont mystérieusement atteints d’une sorte de cancer qu’aucun agronome ne connait… Omar suspecte une action des Israéliens pour tuer les plantations de l’espoir. « Comment parler de non violence face à de telles violences ? » nous demande t’il, avec ce calme sidérant qui caractérise les Palestiniens.. Aujourd’hui, les gens n’osent plus se rendre sur leurs terres, les jeunes ne veulent plus aller à l’affrontement, ils ont peur de la prison ou de témoigner par crainte des représailles des colons et des soldats qui les protègent. « Ce matin, encore, ils ont arraché 20 arbres. Et pourtant, la non-violence est la solution pour notre lutte, ajoute Munther. Il faut rester sur notre terre, sinon ils la prennent ! Le sumud c’est contribuer à créer de l’espoir. » C’est ce que fait Munther au Centre de Jeunes du Camp d’Aïda à Bethléem. « En leur donnant une formation en informatique ou par la musique, ou par le foot on propose un espace de sécurité, on crée de la vie et des possibles pour leur avenir. »
Par ces quelques témoignages, je voudrais vous montrer à la fois la violence destructrice de la colonisation mais aussi, la résilience des Palestiniens, leur capacité à construire des chemins de vie et d’espoir. La société palestinienne est vivante. C’est leur force et leur avenir.
Monique


