Poursuite de notre série d’articles sur l’Institut Al Mowafaqa, organisme œcuménique soutenu par le Défap et installé à Rabat, au Maroc : après nos rencontres avec Marysol et Ewa, toutes deux bénéficiaires d’une bourse du Défap pour y suivre un cursus de plusieurs mois, voici Jean-Claude Girondin, un des professeurs intervenants. L’Institut Al Mowafaqa fait appel à des enseignants venus de divers pays, et de divers horizons culturels et religieux, en fonction des thématiques. À la fois sociologue, écrivain, conférencier et pasteur mennonite, Jean-Claude Girondin est professeur associé en sociologie à la FLTE (Faculté libre de théologie évangélique), à Vaux-sur-Seine.

Vue d’un cours à l’Institut Al Mowafaqa © Jean-Claude Girondin pour Défap


Dans quel contexte avez-vous été amené à intervenir à l’Institut Al Mowafaqa ?

Jean-Claude Girondin : J’avais entendu parler de l’Institut il y a plusieurs années par Bernard Coyault [qui en a été le premier directeur de 2012 à 2018, NDLR]. Mais, c’est en juillet 2023, à Lomé, lors de la Consultation des Institutions Théologiques d’Afrique francophone, que son actuel directeur Jean Koulagna m’a invité à y intervenir. Je le remercie grandement de m’avoir permis de découvrir ce lieu et cette ambiance magnifiques.

Quelle était la teneur de votre intervention ?

Il s’agissait d’un cours sur l’anthropologie du christianisme. Il était construit sur une double approche, à la fois catholique et protestante, et j’ai travaillé en binôme avec Brigitte Cholvy [maître de conférences au Theologicum, Faculté de Théologie et de Sciences Religieuses de l’Institut Catholique de Paris, NDLR]. Cette double approche et ce cours à deux voix permettaient de construire un dialogue, en faisant ressortir aussi bien les convergences que les divergences catholiques/protestants. Étant à la fois théologien et socio-anthropologue, j’ai également nourri mes interventions de textes provenant de la littérature antillaise et africaine, et de réflexions menées par des philosophes antillais et africains. Pour aborder la question de l’image de Dieu et de la culture, je me suis par exemple beaucoup appuyé sur Édouard Glissant [poète, écrivain et philosophe antillais, penseur de la « créolisation » et créateur de concepts comme celui « d’antillanité » ou de « Tout-monde », ce monde qui est le nôtre et dans lequel toutes les cultures et les langues sont mises en relation et s’influencent, NDLR]. Ma contribution a aussi été liée à mon cheminement personnel, à mes origines culturelles, ainsi qu’à mon parcours de protestant évangélique et de professeur associé à la FLTE.

Jean-Claude Girondin à l’Institut Al Mowafaqa © Jean-Claude Girondin pour Défap

Que pourriez-vous dire des étudiants que vous avez rencontrés ?

Ce qui est frappant, c’est de se retrouver au Maroc, dans un Institut installé à Rabat, au milieu d’étudiants qui sont à la fois catholiques, protestants, et largement originaires d’Afrique subsaharienne. J’ai rencontré aussi des personnes originaires d’Haïti, qui sont dans le pays depuis des années : ils avaient été accueillis par le Maroc après le séisme de 2010, et sont toujours là. Et deux étudiantes françaises [Ewa et Marysol, boursières du Défap, NDLR].

En quoi un lieu comme l’Institut Al Mowafaqa vous semble-t-il favoriser la compréhension mutuelle entre cultures et religions ?

Tout d’abord, la communauté humaine qui se retrouve à l’Institut (les administrateurs, les professeurs, les étudiants) est issue de différents pays et contextes culturels : il y a d’emblée une dimension multiculturelle et interreligieuse évidente. On est à Rabat, en terre musulmane ; on trouve à la fois des étudiants qui incarnent toute la diversité du catholicisme et du protestantisme, des membres du personnel ou des intervenants musulmans… On croise des prêtres catholiques, mais aussi des pasteurs ou responsables protestants. Au-delà de ces rencontres, les interventions en binômes lors des cours favorisent la compréhension interculturelle. Les professeurs s’écoutent, se respectent. Les étudiants dialoguent, échangent. Tout le monde partage le thé lors des pauses. On mange ensemble, on discute beaucoup. L’une de ces discussions, portant sur les ancêtres, avait pour origine deux des textes que j’avais utilisés pour illustrer certains aspects de mon intervention : « Prière du petit enfant nègre » de Guy Tirolien et « Souffles » (1), un poème d’un auteur sénégalais, Birago Diop. Il y a évidemment des désaccords, mais les échanges restent toujours iréniques. Même lorsqu’on aborde des points sur lesquels il est impossible de se rejoindre sur le plan théologique, chacun donne ses arguments, sa position, dans le respect mutuel. On voit que ces étudiants ont cheminé ensemble.

Discussion entre étudiants entre deux cours à l’Institut Al Mowafaqa © Jean-Claude Girondin pour Défap

Que pourriez-vous dire à des étudiants qui envisageraient de suivre un cursus à l’Institut Al Mowafaqa ?

Il y a quelque chose d’extraordinaire dans les rencontres qu’on fait. Plus qu’un cursus, c’est un apprentissage, une mise en situation. On s’immerge dans les senteurs, odeurs et saveurs de la culture marocaine. On mange ensemble, on discute, on se promène : on voit les autres sous différents angles, on perçoit différentes facettes de leur vie, on les comprend beaucoup mieux qu’en suivant simplement des cours ensemble. C’est un stage formidable. C’est très riche pour tous les étudiants qui s’y rencontrent, qu’ils viennent d’Afrique subsaharienne ou d’Europe. Pour quelqu’un qui se destinerait à devenir pasteur en Europe, c’est une manière de mieux comprendre ce qu’est une Église multiculturelle.

Quelle est pour vous, aujourd’hui, la principale raison pour laquelle il est nécessaire de soutenir l’Institut Al Mowafaqa ?

On se rend trop peu compte de toutes les manières dont les chrétiens contribuent à la mission mondiale. On réalise mal l’impact que peuvent avoir des gens qui se retrouvent « disséminés » dans le monde, qui ont parfois dû fuir la guerre ou la pauvreté, et dont Dieu change le parcours en engagement missionnaire. Et Dieu change à travers eux le mal en bien (Gn 50.20). On ne mesure pas à quel point, en ce qui concerne l’expansion de la foi chrétienne, l’Afrique nous bénit. À travers les migrations, les diasporas se font semences de l’évangile. Et un lieu comme l’Institut Al Mowafaqa permet de leur fournir une formation théologique solide. C’est un projet qu’il faut soutenir.


(1) »Écoute plus souvent
Les Choses que les Êtres
La Voix du Feu s’entend,
Entends la Voix de l’Eau.
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des Ancêtres.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire
Et dans l’Ombre qui s’épaissit (…) »
(« Souffles », recueil Leurres et lueurs, 1960)

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