Au-delà des débats sur la vie et sur les activités du Défap, l’Assemblée Générale est aussi un temps propice pour entendre des témoins. L’AG 2023 a ainsi permis de mettre en avant le travail de formation auprès des enseignants et directeurs d’écoles du réseau des Églises protestantes à Madagascar, dans lequel s’implique Jean-Claude Boudeaux, envoyé régulièrement pour des missions courtes dans ce pays par le Défap. Les participants ont également pu entendre la présentation par Flore Badila Loupe, actuellement en congé-recherche en France en bénéficiant d’une bourse du Défap, de ses travaux au sujet de l’engagement politique de son Église : l’EEC (Église évangélique du Congo).

Flore Badila présentant ses travaux lors de l’AG 2023 du Défap © Défap

Pasteure de l’Église évangélique du Congo (EEC), Flore Badila Loupe est aussi docteure en théologie, après avoir soutenu une thèse à l’UPAC (Université protestante d’Afrique centrale) sur l’engagement politique de l’EEC. Elle est également vice-doyenne de la faculté de théologie protestante de Brazzaville, et vice-présidente de la conférence des ecclésiastiques de l’EEC. Elle avait déjà bénéficié d’une bourse du Défap pour un congé-recherche en 2014-2015. Elle avait alors effectué ses travaux à l’IPT-Montpellier. Elle est aujourd’hui en congé-recherche en France pour adapter sa thèse en vue de sa publication, sur le thème : Le rôle de l’Église dans la politique : quel prisme pour le devenir de la cité ?. Elle présente ici les grands axes de ses travaux sur l’engagement politique de l’EEC, dont les statuts incitent les membres de l’Église à avoir un rôle actif en faveur de la justice dans la société, tout en interdisant tout engagement politique au corps pastoral.

L’Église Évangélique du Congo, dans ses Textes fondamentaux, dispose de trois articles qui montrent son engagement dans la politique.

  • L’article 64 stipule que tout chrétien est libre de ses opinions politiques.
  • L’article 65 vient comme pour renchérir cette position de l’Église Évangélique du Congo qui pense que ses fidèles sont tenus de combattre les injustices sociales et doivent s’engager dans la politique massivement.
  • L’article 66 en revanche, prohibe aux ecclésiastiques tout engagement politique. « Cette prise de position, souligne Flore Badila Loupe, paraît paradoxale ou énigmatique du fait que les ecclésiastiques sont aussi des citoyens qui vivent dans une cité et qui ont des capacités potentiellement utiles en milieu politique ».

Église et politique, des relations difficiles

Dans sa présentation devant l’AG du Défap, Flore Badila Loupe souligne que « des temps immémoriaux jusqu’à la postmodernité, le rôle de l’Église dans la politique s’est avéré prépondérant. Les deux entités qui ont été instituées par le « Tout-Autre » pour emprunter l’expression de Karl Barth, ont pour mission de réguler la vie des êtres humains dans le déjà et le pas encore : l’Église et la gouvernance des hommes et des biens ». Des relations qui ont toutefois longtemps été difficiles : Flore Badila revient sur le cas français, avec la loi de la séparation du 9 décembre 1905 ayant mis fin au Concordat de 1801 ; Concordat qui associait, en France, l’Église catholique à l’État. Cette séparation ne sera officiellement acceptée par le Saint-Siège qu’en 1921. Cette séparation n’est pas autre chose que la laïcité appliquée intégralement à l’État tout entier : il n’appartient ni à l’Église de faire de la politique ni à l’État de faire de la théologie.

Mais Flore Badila Loupe souligne la difficulté de vouloir enlever toute signification politique aux actions de l’Église. Elle se réfère aux activités politiques de Jésus mentionnées par le théologien André Trocmé qui affirme qu’enlever toute prétention politique en la personne de Jésus, c’est réécrire les quatre Évangiles. Elle fait également mention d’autres théologiens à l’instar de Karl Barth s’insurgeant contre le nazisme allemand qui prône un « Führer ». Selon lui, il n’y a qu’un seul Seigneur et un seul chef, c’est Jésus-Christ. Par ailleurs, il sous-tend la position de l’Église confessante ou l’Église militante tel que mentionnée dans la Déclaration de Barmen, celle qui sort de sa torpeur, de sa neutralité, de son engrenage nouménal, de ses ornières afin de proclamer l’Évangile à toute l’humanité.

« On ne peut pas dissocier l’annonce de l’Évangile et la vie dans la société »

Selon Flore Badila Loupe, évoquer l’engagement politique de l’Église implique de reconnaître « la coopération ou la complémentarité qui est censée exister entre l’Église et la politique (…) Cette question porte sur l’enseignement de l’Église et sa pertinence ». Elle distingue deux registres du discours de l’Église sur le politique :

  • Un discours sur le politique comme tel : sa légitimité, sa nécessité, sa valeur, les conditions et exigences de l’engagement politique. Ce discours, qui s’adresse essentiellement aux fidèles s’inscrit dans l’enseignement social de l’Église.
  • Des prises de position sur divers problèmes ou sujets qui concernent la vie en société et la poursuite du bien commun : défense de la dignité et de la vie humaine, protection de l’étranger, souci des plus pauvres, solidarité, justice, paix. Bien que fondées d’abord sur des exigences éthiques, ces prises de position ont un retentissement sur un terrain politique.

Comme le souligne Flore Badila Loupe, « on ne peut pas dissocier l’annonce de l’Évangile et la vie dans la société. Le message est prêché dans la cité pour la transformation de l’individu du fait que l’Église visible se trouve dans la société ». En outre, dans le cas spécifique de la République du Congo, « il apparaît clairement que la gestion de la chose publique faite par des hommes de Dieu serait la bienvenue dans une société corrompue par des hommes politiques qui ne connaissent pas Dieu. » Flore Badila Loupe met ainsi en avant le rôle symbolique du pasteur, qui pour beaucoup de Congolais est « un repère, un indicateur de sens », en dépit de sa perte de prestige au sein de la société. Ce qui l’amène à proposer une nouvelle rédaction pour l’Article 66 des Textes fondamentaux de l’EEC, qui stipulerait : « Les ecclésiastiques en vertu de leur ministère ecclésial, doivent s’impliquer dans la gestion de la cité sans être mis en disponibilité par l’Église. Ils doivent participer à la bonne gouvernance des humains, des biens ; enseigner, pratiquer l’éthique chrétienne dans le milieu politique et assurer l’accompagnement pastoral à l’homme politique ».

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