Les images d’une catastrophe, comme celles des ravages du cyclone Batsirai, appellent une réponse immédiate. Les actions d’urgence sont nécessaires : elles sauvent des vies. Mais au-delà, il s’agit de construire. À Madagascar, en Haïti, ou ailleurs, ce sont les relations établies sur le long terme qui permettent de sortir des interventions d’urgence. C’est précisément dans ces relations entretenues sur le temps long que se placent les actions du Défap.
Madagascar : image des effets du cyclone Batsirai, envoyée par Michel Brosille © DR« Que faites-vous pour Madagascar ? »
La question a été posée à de multiples reprises au Défap depuis la diffusion des images montrant les destructions du cyclone Batsirai. Sur une bande côtière de 150 km de long, entre Mananjary et Mahanoro, tout a été ravagé : arbres abattus, rivières en crue, routes coupées, bâtiments à terre ou privés de toit, cultures inondées et perdues, alimentation électrique défaillante.
Pour Madagascar, les réponses à l’urgence sont en cours. La fondation La Cause, organisme protestant proche du Défap, a lancé un appel pour aider à reconstruire des orphelinats à Mananjary. Le Défap soutient pour sa part un projet de reconstruction lancé par ADRA-Madagascar, en lien avec ADRA-France ; le Défap et ADRA sont en partenariat via la plateforme Solidarité Protestante.
Mais la vraie question est plutôt : que faire après la phase d’urgence ? Ce n’est pas qu’un problème d’objectifs et de moyens, mais de relations.
Les interventions d’urgence : l’exemple d’Haïti
La même question aurait pu être posée à propos d’Haïti après le séisme de 2010. Une catastrophe sans précédent : 280.000 morts, 300.000 blessés et 1,3 million de sans-abris, une grande partie de Port-au-Prince détruite. Des images de destruction relayées dans le monde entier et qui ont suscité un élan de solidarité inédit. Une mobilisation internationale sans équivalent. Des promesses de reconstruction, 12 milliards de dollars collectés pour cet énorme chantier. Douze ans plus tard, les promesses de reconstruction n’ont pas été tenues. L’espoir s’est peu à peu transformé en gâchis. Un symbole l’illustre : le palais présidentiel, qui s’est écroulé lors du séisme, n’a toujours pas été reconstruit. Seul « effort » visible : les gravats ont été déblayés. Le nouvel hôpital est encore en construction. Le bâtiment qui doit accueillir l’ensemble des ministères aurait dû être inauguré en mars 2018. Les bâtiments reconstruits avec les moyens du bord ne sont toujours pas en mesure de résister aux séismes, fréquents dans la région : en témoignent les effets des secousses d’août 2021 et de janvier 2022.
Madagascar : élèves de Mahanoro, devant une salle de classe construite avec l’aide du Défap © Florence Taubmann, DéfapAu-delà de cette solidarité née de l’émotion, des images, et dont les résultats à moyen terme sont décevants, le protestantisme français entretient avec Haïti des relations de longue date. Dès 2008, le passage de quatre tempêtes dévastatrices sur le territoire haïtien (Fay, Gustav, Hanna et Ike) s’était traduit par la création de la Plateforme Haïti, regroupant divers acteurs du monde protestant sous l’égide de la Fédération Protestante de France. En 2010, au moment du tremblement de terre, les réseaux protestants étaient donc bien en place, et la solidarité avait trouvé rapidement des canaux pour s’exprimer. Le président actuel de la Plateforme Haïti est le pasteur Rodrigue Valentin, de l’Église du Nazaréen, et sa coordination administrative est assurée par le Défap. La Plateforme rassemble les acteurs suivants : la Mission Biblique, le Défap, la fondation La Cause, le SEL (Service d’Entraide et de Liaison), ADRA-France, l’Église du Nazaréen, le journal Réforme. Tous ces acteurs entretiennent depuis des années des liens privilégiés en soutenant des institutions (la Fédération Protestante d’Haïti), des écoles (via la FEPH, la Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti, qui grâce à son réseau de 3000 écoles, revendique la scolarisation de 300.000 enfants), des orphelinats (à travers La Cause)… ADRA-Haïti, pour sa part, est impliquée dans un projet de reboisement crucial dans un pays où 95% des forêts ont disparu en 200 ans, provoquant érosion des sols, glissements de terrain et aggravant la fragilité du pays face aux intempéries. Autant de relations et de projets qui se sont poursuivis, au-delà des catastrophes et des aléas politiques.
Haïti : membres d’ADRA dans la zone frappée par le séisme d’août 2021 © ADRA Haïti
Les nécessités de l’urgence ne doivent pas oblitérer celles du temps long.
L’urgence, ce sont des vies à sauver. Ce sont des actions de court terme qui nécessitent un financement, des infrastructures, une logistique. Le Défap y est impliqué notamment à travers sa participation à la plateforme Solidarité Protestante, à laquelle il contribue financièrement, et à travers les partenaires de cette plateforme. Le comité de cette plateforme est piloté par la Fondation du Protestantisme et la Fédération protestante de France qui s’entourent d’ONG et d’institutions chrétiennes expertes dans l’aide humanitaire d’urgence et de crise.
Ces institutions et cette plateforme ne peuvent fonctionner que par la générosité des donateurs. Cette générosité, et le savoir-faire des organisations concernées, sont nécessaires. Mais l’urgence n’a qu’un temps. Les images de catastrophes s’oublient vite. Or il faut reconstruire. Et plus que cela : construire. Construire là où il n’y avait rien. Construire, au-delà des bâtiments détruits, des toits emportés par un cyclone ou des murs fissurés par un tremblement de terre. Car les dégâts matériels ne sont que peu de choses, face aux destins qu’il s’agit d’édifier.
Ces destins, ce sont notamment ceux d’enfants, à Madagascar ou Haïti, ou ailleurs, qu’il s’agit de former et d’équiper pour qu’ils puissent travailler efficacement à l’avenir de leur pays. En leur donnant des connaissances et une espérance.
Notre rôle premier, au Défap, c’est de travailler aux relations entre Églises.
Des partenaires de confiance, des relations entretenues sur la durée
Ces relations impliquent que les projets sont co-construits avec des partenaires présents sur place et qui connaissent bien les besoins, non seulement à court, mais aussi à long terme. Ces relations ont été consolidées par des décennies de compagnonnage et de confiance. Les Églises ont un rôle fondamental de lien social : elles aident à construire un vivre-ensemble. Elles agissent sur les représentations et sur les mentalités. Elles ne sont liées ni par le temps court des politiques ou des ONG, ni par les nécessités de l’urgence. En France, les obligations liées à la laïcité ont conduit nombre de structures liées aux Églises à se dédoubler, entre organisations ecclésiales et organisations à rôle social. Ailleurs, ce sont les mêmes structures qui prennent à charge les cultes, mais aussi des hôpitaux, des écoles, des organismes d’entraide. Elles sont intimement liées à la société. Elles prennent en charge les exclus, sont une voix qui plaide pour le respect de l’humain ; elles dépassent le présent et l’émotion, les intérêts privés. Quand l’importance du vivre-ensemble est prise en compte par les politiques publiques, les Églises peuvent et doivent être une aide. Car nul ne peut prétendre s’impliquer dans des actions ayant un impact sur la société en faisant abstraction de ses convictions les plus profondes, celles qui fondent son identité, sa conception du monde et de l’humanité. Quand les États sont défaillants – et les exemples sont nombreux, de Port-au-Prince à Bangui – elles peuvent devenir les seules structures qui tiennent debout.
Haïti : une envoyée du Défap auprès de la FEPH lors d’une intervention dans une école sur la gestion des risques et des désastres © Défap
Le Défap travaille dans les domaines de la santé, du développement local, de l’enseignement. Avec des partenaires connus de longue date. Ce ne sont pas des inconnus auxquels on tend la main en cas d’accident, mais des amis qu’il s’agit d’aider si le besoin s’en fait sentir. Des visages et des noms. Des destins que nous aidons à construire, depuis des années. Nos envoyés les ont rencontrés et les connaissent. Ces destins se forgent sur le temps long d’une vie humaine. Il peut s’agir d’un médecin issu d’un orphelinat d’Haïti. Il peut s’agir d’enfants apprenant le français à Madagascar, et qui pourront ainsi poursuivre leur cursus dans un pays où la connaissance du français conditionne l’accès à des études supérieures. Il peut s’agir d’un boursier venu faire des recherches en France, et appelé à jouer un rôle éminent dans son Église une fois de retour dans son pays. Tous ces destins sont autant de graines de changement. Pour éviter de sortir de l’urgence. Pour que ceux que nous aidons aujourd’hui après une catastrophe soient demain en mesure d’éviter de nouvelles catastrophes. Pour sortir de ce cycle dans lequel l’intérêt de l’autre n’est suscité que par des images de bâtiments détruits.
Notre rôle est d’aider à créer la possibilité d’un avenir.