Méditation du jeudi 27 janvier 2022. Que nous apprend l’histoire du prophète Ézéchiel – et surtout cette parole si étrange qui lui est adressée : manger le livre que Dieu lui présente, avant d’aller parler aux Israélites ?

Le prophète Ézéchiel, par Michel-Ange, dans la chapelle Sixtine – Wikimedia Commons – domaine public

Il y a une façon tout à fait étrange de traiter la Bible : c’est de la manger ! Tenez, par exemple, le prophète Ezéchiel… N’allons pas trop vite cependant pour en tirer la conclusion que Dieu nous appelle à manger nos bibles, il faut faire le détour par l’histoire du bonhomme pour comprendre de quoi tout cela retourne.

Ézéchiel, donc, est fils de prêtre et prêtre lui-même. Comme la plupart des notables du peuple juif, il a été emmené de force à Babylone quand le roi Nabuchodonosor a envahi son pays. Pendant des années, il a été de ces exilés qui se demandent de quoi demain sera fait, et qui pleurent leur pays, leur histoire, la culture à laquelle ils ont été arrachés. C’est au bout de plusieurs années que Dieu lui a adressé la parole, au bord du fleuve Kebar, loin de Jérusalem. Il apparaît au milieu d’un arc-en-ciel – symbole de l’alliance passée avec Noé, on s’en souvient.

Ézéchiel, donc, raconte l’histoire de ce qui lui est arrivé :

Il me dit : « Toi, l’homme, mets-toi debout ; j’ai à te parler. » Pendant qu’il disait cela, l’Esprit de Dieu entra en moi et me fit tenir debout. J’écoutai donc celui qui me parlait. « Toi qui n’es qu’un homme, dit-il, je t’envoie auprès des Israélites, cette bande de rebelles qui se sont révoltés contre moi. Tout comme leurs ancêtres, ils n’ont jamais cessé de rejeter mon autorité. C’est vers ces gens à la tête dure et au caractère obstiné que je t’envoie. Tu t’adresseras à eux en disant : “Voici ce que déclare le Seigneur Dieu.” Alors, qu’ils t’écoutent ou qu’ils refusent de le faire parce qu’ils sont un peuple récalcitrant, ils sauront qu’il y a un prophète parmi eux.

« Quant à toi, l’homme, n’aie pas peur d’eux ni de leurs paroles. Ils te contrediront : ce sera comme si tu étais entouré de ronces et assis sur des scorpions. Cependant ne sois pas effrayé par les paroles ou par l’attitude de ce peuple récalcitrant. Tu leur répéteras ce que je te dirai, qu’ils t’écoutent ou refusent de le faire à cause de leur entêtement.

« Quant à toi, l’homme, ne te montre pas aussi récalcitrant qu’eux, écoute ce que j’ai à te dire. Ouvre la bouche et mange ce que je vais te donner. »

Je vis alors une main tendue vers moi ; elle tenait un livre en forme de rouleau. Il le déroula devant moi : il était écrit des deux côtés ; le texte était composé de plaintes, de gémissements et de cris de détresse.

Celui qui me parlait dit : « Toi, l’homme, mange ce rouleau qui t’est présenté, puis va parler aux Israélites. » J’ouvris la bouche et il me fit manger le rouleau. Il ajouta : « Toi, l’homme, remplis ton ventre et nourris ton corps avec ce rouleau que je te donne. » Je le mangeai donc et, dans ma bouche, il eut un goût aussi doux que le miel.

Alors il reprit : « En route, l’homme, va auprès des Israélites et transmets-leur mes paroles. Je ne t’envoie pas auprès d’un peuple qui parle une langue étrangère difficile à comprendre, mais auprès du peuple d’Israël. Si je t’envoyais auprès des nombreux peuples qui parlent une langue étrangère difficile et même incompréhensible pour toi, ils t’écouteraient. Mais les Israélites, eux, ne voudront pas t’écouter, car ils ne veulent pas m’écouter. En effet, ils ont tous une forte tête et un caractère endurci. Cependant, je vais te rendre aussi obstiné qu’eux, tu auras la tête aussi dure que la leur ! Je rendrai ton front résistant comme le diamant, plus solide que le roc. Alors n’aie pas peur d’eux et ne sois pas effrayé…
(Ézéchiel 2 et 3,1-9)

N’aie pas peur, ne soit pas effrayé… Ces paroles, c’est à Ezéchiel que Dieu les adresse. Mais c’est nous tous qu’elles viennent interpeler. N’ayez pas peur… Et si la Bible, et Dieu à travers la Bible, nous dit « N’ayez pas peur », c’est justement qu’en temps ordinaire, nous avons peur… Peur du lendemain, de l’imprévu, de la folie du monde.

Lorsque Dieu dit à Ézéchiel, n’aie pas peur, il ajoute : mange ce livre. Ça, c’est bien la dernière chose à laquelle nous, nous aurions pensé pour faire face à peur ! Manger un livre ! Mange un livre et parle, dit Dieu. Mange le livre des lamentations du peuple, toute l’amertume, toute la colère, tout le découragement… mange l’histoire désespérée, les espoirs inaboutis, les révoltes sans lendemain. Et curieusement, tout cela, dans la bouche d’Ézéchiel, a goût de miel. Et curieusement, cela lui donne la force, le courage de faire face à la peur, et de parler.

Au fond, c’est une parabole de ce que nous faisons lorsque nous lisons la Bible. Nous ne la lisons pas comme un conte de fées, mais comme le livre qui nous raconte le monde, avec sa violence et ses compromissions, ses détours et ses accidents, ses malheurs et ses terreurs. Et puis ses beautés et son espérance. Lorsque nous lisons ce livre, lorsque nous « mangeons », nous grignotons, nous savourons ce livre, nous n’en tirons pas un savoir, une sécurité, qui nous protégerait de tout. La Bible ne recèle pas un savoir. La Bible, dans notre bouche, a un goût de miel. Elle nous dit « n’ayez pas peur », comme elle l’a dit à tant d’autres êtres humains avant nous. Et comme à eux, elle nous donne la parole… Parle, et n’aie pas peur… N’aie pas peur, et parle…

À notre tour, nous pouvons parler, sans peur. Nous pouvons dire au monde l’espérance qui nous porte. Nous pouvons consoler les exilés. Nous pouvons risquer une parole difficile, exigeante. Qui tient en ces quelques mots : n’ayez pas peur ! ne cédez pas à la peur ! Dieu aime le monde, que vous le sachiez ou non, Dieu aime le monde, et il ne se résout pas à l’abandonner. Il est venu jusqu’au cœur du monde pour nous y rejoindre, jusque dans le pire de notre humanité. Et il n’est pas prêt de déserter… Maintenant vivez ! et…

❝ Ne vous résignez pas à croire que Dieu est absent

N’ayez pas peur ! ayez confiance en vous, parce que c’est par vous que Dieu agit dans le monde.

N’ayez pas peur ! ce n’est pas le malheur qui a le dernier mot sur nos vies.

N’ayez pas peur ! ne vous résignez pas à croire que Dieu est absent, ne vous résignez pas à croire que vous êtes seul et que tout est perdu.

N’ayez pas peur ! quand la foule se jette sur une idée, quand la foule s’émeut et en reste à l’émotion dans de beaux élans spontanés et bruyants, vous, vous êtes fondés sur autre chose.

N’ayez pas peur de montrer à tous les humains la même tendresse que Dieu vous porte.

N’ayez pas peur ! soyez certains que c’est Dieu qui agit pour le bien, en nous et par nous, et ne craignez pas de vous abandonner à cette grâce qui agit. Nous serons peut-être obscurs, discrets, humbles, mais nous aurons le courage inébranlable que nous donne la grâce. Courage de dire « non » à tout ce qui avilit l’humain. Pas pour nous-mêmes, mais pour la gloire de Dieu et le bonheur de notre prochain. Tout simplement.

N’ayez pas peur… Amen

Nous prions cette semaine avec notre envoyée au Cameroun, Charline.

Seigneur,
Tu nous offres ta Parole comme un souffle de vent qui vient bousculer nos habitudes et nos certitudes.
Tu nous offres ta présence comme un roc solide sur lequel nous pouvons compter.
Tu nous offres ton espérance comme le rayon de lumière qui danse sur nos vies.
Tu nous offres la fraternité comme douceur pour construire nos vies.
Tu nous offres le courage comme bouclier.
Tu nous offres la parole, celle qui rassure, celle qui témoigne, celle qui accompagne et change le monde, à la mesure de ton amour.
Tu nous offres ton amour sans condition, comme la force qui anime toute notre vie.
Seigneur, merci pour tous ces dons, merci pour ta confiance.
Que la joie accompagne nos pas à l’ombre de ta main, aujourd’hui, demain, toujours
Amen

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