Pourquoi se former à l’interculturel ? Quel en est l’intérêt, quels en sont les défis ? Mercredi 15 septembre 2021, dans le cadre des Journées Portes Ouvertes du Défap, la sociologue Évelyne Engel a analysé les enjeux de l’interculturalité, en partant notamment de son expérience de formation des envoyés du Défap, lors d’une conférence organisée à la fois en présentiel au 102 boulevard Arago, et en distanciel sur Zoom. Retrouvez-la ici en intégralité.

La conférence avec Évelyne Engel, organisée simultanément en présentiel dans la chapelle du Défap, et en visioconférence – © Défap

En 1953, un jeune Suisse un peu rêveur de 24 ans, fils de bibliothécaire, passionné de lecture et fasciné par les atlas de géographie, partait à bord d’une modeste Fiat Topolino en compagnie d’un ami pour un voyage qui devait le mener de Belgrade à Kaboul, à travers la Yougoslavie, la Turquie, l’Iran et le Pakistan. Il s’appelait Nicolas Bouvier, et son journal de bord, rédigé au fil des rencontres, devait devenir un livre, L’Usage du monde. Un ouvrage pétri de remarques, de notes à la finesse remarquable sur les us et coutumes des lieux traversés, à la fois incisif dans ses analyses et pétri d’émerveillement pour toute la diversité de l’humanité ; publié d’abord à compte d’auteur, il devait devenir au fil du temps une référence de la littérature de voyage. Plus tard, Nicolas Bouvier devait pousser jusqu’au Japon, où son séjour d’un an servit de matière à sa Chronique japonaise, publiée en 1970. À travers tous ces voyages et ces pays traversés, une même attitude le guidait : une curiosité permanente sur les manières de vivre et les manières d’habiter le même monde de ces êtres infiniment curieux, attachants mais aussi divisés, méfiants et retors que sont les humains.

C’est une citation de cette Chronique japonaise qu’Évelyne Engel a choisie pour introduire la conférence qu’elle donnait au 102 boulevard Arago, le 15 septembre 2021, dans le cadre des Journées Portes Ouvertes du Défap : «Si l’on ne peut plus guère progresser aujourd’hui dans l’art de se détruire, il y a encore du chemin à faire dans l’art de se comprendre.» Et c’est bien là ce qui explique les besoins de formation en interculturalité. Des besoins que la sociologue a commencé par analyser pour détailler tous les enjeux d’une telle formation :

  • mieux se comprendre ;
  • éviter les malentendus ;
  • travailler ensemble ;
  • réfléchir à la marche du monde.

Évelyne Engel est aujourd’hui consultante sur les questions d’aménagement et d’interculturalité, après avoir été responsable d’un centre d’hébergement pour réfugiés politiques. Depuis 2014, elle forme les envoyés du Défap avant leur départ en mission. C’est principalement à travers le prisme de cette intervention régulière auprès des futurs volontaires qu’elle a abordé cette question de la formation à l’interculturel.

L’intégralité de la conférence avec Évelyne Engel

Le visible et l’invisible

Mais pour parler d’interculturel, il faut d’abord définir la notion de culture : or celle-ci a de multiples définitions selon qu’on l’aborde sous l’angle philosophique, sociologique, etc. Au final, les cultures se constituent en autant de manières distinctes d’être, de penser, d’agir, de communiquer que d’êtres humains. Et chaque individu est un produit socio-historique , «un Homme vivant parmi d’autres Hommes». Dans chaque culture, il y a ainsi une partie bien visible : c’est une langue, une histoire, des formules de politesse, etc. Mais il y a aussi en-deçà tout l’inconscient, l’invisible, le caché ; les conditionnements, le rapport au temps, à l’espace ; les valeurs, les croyances, et tout ce qui constitue la vision du monde.

Comment envisager des manières de communiquer entre des manières d’être au monde aussi différentes et aussi spécifiques ? Les rapports entre différentes cultures, lorsqu’elles se rencontrent, peuvent s’envisager de plusieurs manières. Il y a l’approche multiculturelle, marquée par le pluralisme, la juxtaposition ; une approche en forme de «mosaïque culturelle», de «creuset» où cohabitent différents groupes culturels ; ce qui ne fait pas toujours bon ménage avec la cohabitation et l’intégration sociale. Il y a aussi l’approche interculturelle, plus proche de la dimension que le Défap essaye de développer :

  • elle définit les rapports et interactions entre des groupes humains de cultures distinctes ;
  • elle est marquée par une réciprocité des échanges, un dialogue ;
  • elle suppose un respect mutuel ;
  • elle implique un renoncement à l’ethnocentrisme.

Se rencontrer par-delà les différences culturelles : un effort quotidien

Ces différentes approches se traduisent par des postures différentes :

  • l’universalisme culturel : la reconnaissance commune de principes indiscutables, l’univers vu comme un tout englobant tous les êtres humains, au-delà des particularismes biologiques et culturels, une unité façonnée par la raison humaine qui régit les relations entre les êtres dans un consentement universel (proche de l’humanisme) ;
  • le relativisme culturel : l’idée que toutes les cultures se valent, sont légitimes ; pas de jugement ni de hiérarchisation (avec un risque : celui du refus de valeurs universelles partagées) ;
  • le culturalisme : le fait culturel serait responsable de tout, impliquant entre les êtres des différences irréductibles.

Lorsqu’il s’agit de former de futurs envoyés avant leur départ en mission, il est donc important de trouver un équilibre ; et pour cela, de respecter quelques points fondamentaux : l’appartenance à une même communauté qui transcende toutes les autres, la communauté humaine ; tenir à distance les a priori et se garder de toute hiérarchie entre les cultures… Pour autant, ne pas renoncer à soi, identifier des passerelles, trouver des dénominateurs communs, penser la complémentarité. Pour les envoyés du Défap qui partent, pour quelques mois ou des années, dans un pays, une culture et un milieu d’Église très différent, tout ceci impliquera un effort quotidien… La rencontre est à ce prix.

(1) Une intervention qui aurait dû se faire à deux voix, en compagnie de la socio-ethnographe Pamela Millet ; mais cette dernière ayant été empêchée au dernier moment, le format de cette conférence a dû être revu.

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