Le pasteur Philippe Verseils, qui fait partie de la commission animation théologique et spirituelle de la Mission populaire évangélique de France, après en avoir été le secrétaire général, connaît bien Haïti… et le Défap. Il a travaillé une dizaine d’années au sein du Service Protestant de mission entre les années 90 et 2000, avant d’être envoyé du Défap en Haïti deux ans à partir de 2010. Une expérience et des rencontres qui l’ont durablement marqué, et un engagement pour ce pays qui, depuis lors, ne se dément pas.

Une rue de Port-au-Prince, septembre 2015 © Défap

Quelle est votre réaction après l’annonce de la mort du président Jovenel Moïse ?

Philippe Verseils : J’y vois en premier lieu le signe de l’enlisement complet d’Haïti dans une guerre des gangs soutenue et orchestrée au plus haut niveau, dont aujourd’hui le président haïtien est victime, mais dont auparavant il a été acteur. Il avait plus ou moins dit la semaine dernière qu’il ne laisserait pas les gangs prendre le dessus : sa mort me semble le signe que justement, les gangs disposent aujourd’hui du pouvoir effectif. Ils n’hésitent pas à attaquer des commissariats, le Parlement a été empêché de se réunir dans ses propres locaux… Et c’est dans la police, dans l’armée, dans la classe politique qu’ils ont leurs appuis. On assiste à mon sens à la mise en place d’une véritable guerre civile.

Mais il y a une deuxième chose que je voudrais dire : la France n’a pas assez réagi. On peut toujours déplorer officiellement la mort d’un président ; mais il y a bien longtemps que les autorités françaises auraient dû avoir des prises de parole et des prises de position beaucoup plus claires vis-à-vis de la dégradation de la situation politique en Haïti. Bien sûr, avec l’état de siège, il est très difficile de savoir ce qui va se mettre en place ; mais cela faisait déjà plus d’une année que les institutions politiques ne fonctionnaient plus.

Quelles réactions peut-on attendre en Haïti même pour sortir de cette crise ?

Philippe Verseils : Il faudrait que les chrétiens [qui sont largement majoritaires en Haïti, protestants et catholiques confondus] réussissent à trouver un consensus, en l’absence de toute perspective d’un consensus politique. C’est ce qui avait été tenté en avril dernier, lorsqu’un groupe de religieux, dont des Français, avaient été enlevés. Il faudrait que toutes les Églises, côté protestant et côté catholique, parviennent à parler d’une seule voix. Et côté français, il faut continuer à faire vivre les liens et manifester notre solidarité vis-à-vis d’Haïti.

Que faire, concrètement ?

Philippe Verseils : Les partenaires haïtiens du protestantisme français ont besoin d’un soutien financier sortant du cadre trop strict des dispositifs d’aide habituels, qui impliquent la fixation d’objectifs, des règles précises de contrôle… Il faut les aider à survivre. Il y a besoin d’argent rapidement pour faire vivre des institutions comme la FPH (la Fédération Protestante d’Haïti), la FEPH (la Fédération des Écoles Protestantes d’Haïti), les orphelinats qui sont soutenus par La Cause… Les enfants de ces orphelinats, par exemple, sont dans des situations terribles. On ne peut pas parler d’objectifs et de budget quand se pose la question de la survie immédiate.

Je me souviens qu’en septembre-octobre 2010, quand j’étais arrivé en Haïti, c’est justement la question qui avait été posée par un journaliste au directeur d’un orphelinat avec lequel un partenariat débutait – cette question du budget… Le directeur avait très finement répondu : je ne comprends pas cette question. Et il avait aussitôt détaillé : si vous me demandez de quoi j’ai besoin demain pour faire vivre les 45 enfants qui sont sous ce toit, il me faut 600 dollars. Aujourd’hui, j’ai sur mon compte 350 dollars ; et je viens de donner 120 dollars à l’un des jeunes pour qu’il puisse s’inscrire au collège. J’espère que demain, j’arriverai à réunir les dollars manquants pour nourrir ces enfants.

Dans les situations d’ultra-précarité, comme c’était le cas en 2010, et comme ça l’est de nouveau aujourd’hui, on ne peut pas établir un budget, on peut pas monter un projet : il faut vivre au jour le jour. Tout peut changer d’un jour sur l’autre parce qu’un enfant est malade, parce qu’il faut acheter plus de riz : tout est imprévisible. Il faut mettre en place des formes d’aide qui en tiennent compte.

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