La pasteure Tünde Lamboley, du Défap, a été invitée à participer courant janvier à la «Journée des missions» organisée à Épinal sur le thème de la Nouvelle-Calédonie. Après le rendez-vous de novembre dernier et le référendum d’autodétermination, l’archipel se prépare à de nouvelles échéances électorales, notamment les prochaines élections provinciales. Mais au-delà des rapports de force politiques, se profilent des questions cruciales liées à une société en mutation, qui reste fortement inégalitaire, et dans laquelle les jeunes, notamment Kanak, peinent à trouver leur place. Des enjeux face auxquels les Églises sont appelées à se positionner, et qui interpellent aussi les protestants de métropole.

Tünde Lamboley présentant la coutume Kanak lors du culte à Épinal © Défap

 

Pas facile de cerner les enjeux de la Nouvelle-Calédonie depuis les Vosges, même quand on est protestant, bien au fait du rôle qu’a pu jouer Maurice Leenhardt en faveur des Kanak, et conscient des liens forgés par l’Histoire entre des communautés si éloignées géographiquement et culturellement. Comment interpréter les résultats du référendum d’autodétermination ? Quelles seront les prochaines étapes ? Avec quel impact sur la société calédonienne ? Et cette société, comment évolue-t-elle, quels sont ses défis ? Autant de questions qui se sont retrouvées au menu de la «Journée des missions» organisée à la mi-janvier à Épinal. Avec comme invitée la pasteure Tünde Lamboley, du Défap ; et comme thématique : «La Nouvelle-Calédonie après le référendum d’autodétermination».

Tünde Lamboley connaît bien la Nouvelle-Calédonie, où elle a vécu plusieurs années ; chargée de la Formation théologique et de la Jeunesse au sein du service Animation du Défap, elle a en outre la «responsabilité pays» de la Nouvelle-Calédonie. Le culte organisé le dimanche matin lui a donné une première occasion de présenter «la coutume», cet ensemble de règles et de comportements codifiés qui régit les relations au sein de la société traditionnelle Kanak. «La coutume, décrit Tünde Lamboley, c’est le lien : on se présente devant l’autre pour établir les relations, créer ce lien, et il faut ensuite l’entretenir ; au sein de la société calédonienne, la coutume est aussi un chemin qui nous lie les uns aux autres». Un passeport indispensable pour toute relation avec les Kanak, s’appuyant sur l’échange d’objets symboliques – ici, une pièce de tissu décoré…

Société traditionnelle et multiculturalisme

Pour aller plus loin :

Cette première introduction à la vie des Kanak devait servir à libérer la parole, les questions et les témoignages. Car parmi les membres de la paroisse d’Épinal, certains avaient déjà été en contact avec l’archipel. «Quelqu’un avait apporté la sculpture en bois d’un «cagou», oiseau emblématique de Nouvelle-Calédonie», souligne Tünde Lamboley. «Et le mari d’une paroissienne, militaire, avait eu sous ses ordres une section de Kanak ; tant que le droit coutumier n’était pas respecté, il n’y avait pas moyen de leur donner des ordres. Il avait vite compris qu’il devait intégrer les divers aspects de la coutume pour que la communication puisse passer ; il a suffi que soit désigné parmi eux un responsable, porteur du droit coutumier, pour que les choses se débloquent.»

Mais ce lien fort de la coutume, symbole et matérialisation de relations sociales très intégrées au sein de la société Kanak, peut facilement se retourner contre les jeunes obligés de venir jusqu’en métropole pour faire des études supérieures. «En Nouvelle-Calédonie, souligne Tünde Lamboley, on est en permanence englobé dans un tout : la famille, la famille élargie, l’Église… et on vit au sein de ce tout. En arrivant en France, on est seul, on doit prendre des décisions en tant qu’individu, cette enveloppe protectrice n’existe plus. Et le contexte socio-culturel est si différent, que le défi à relever est immense pour ces jeunes». Avec comme corollaire un fort risque d’échec dans les études. Voilà pourquoi le Défap avait été chargé de l’accompagnement extra-scolaire d’étudiants venant suivre un cursus en métropole dans le cadre du programme ABS («Après-Bac Service»), financé par le ministère des Outre-mer. Un programme qui s’est achevé peu avant le référendum, et auquel il faut désormais trouver une suite.

«J’ai eu affaire à une assemblée très attentive, réactive, témoigne Tünde Lamboley. Il y a eu énormément de questions autour de la jeunesse : que fait l’Église, l’EPKNC ? À quels défis les jeunes sont-ils confrontés en Nouvelle-Calédonie ? Comment se passent les études ? Quelle place ont-ils dans la société ?» L’occasion de parler aussi des tensions les plus douloureuses au sein de la société calédonienne : une société qui reste très inégalitaire, avec une grande différence entre les îles et la grande ville, Nouméa : d’un côté, un mode de vie qui reste traditionnel, avec une forte intégration sociale et familiale, et de l’autre, une société devenue multiculturelle, ouverte sur des influences très diverses, avec des modes de vie très différents, une croissance forte d’Églises évangéliques d’implantation récente… Entre les deux, les jeunes – et en particulier les jeunes Kanak – peinent à trouver une place. Certains rejettent le modèle traditionnel et le poids de la coutume pour rejoindre Nouméa. Mais la ville est aussi le lieu où les inégalités s’affichent de la manière la plus flagrante : «il y a là-bas environ 10.000 personnes qui vivent dans des squats», souligne Tünde Lamboley. Des inégalités créant une situation potentiellement explosive, qui aurait pu dégénérer à l’occasion du référendum. Au final, les incidents ont été limités. Et le vote a montré la capacité de mobilisation des Kanak, rebattant les cartes du rapport de force politique dans l’archipel alors que les sondages annonçaient une victoire écrasante des partisans du maintien dans la France. Du coup, l’explosion redoutée en cas de défaite massive des indépendantistes n’a pas eu lieu, et le prochain affrontement politique aura lieu à l’occasion des élections provinciales, qui renouvelleront les élus des trois provinces (Sud, Nord, Iles) ainsi que ceux du Congrès, qui élit le gouvernement collégial. C’est-à-dire en mai 2019…

Accompagner, former, préserver

Beaucoup des défis de la Nouvelle-Calédonie, qu’il s’agisse du rapport à une société en profonde transformation, des inégalités socio-économiques persistantes, de l’accès à l’éducation ou des enjeux politiques, se cristallisent de fait autour de la jeunesse. C’est à elle qu’il reviendra, au-delà des prochaines échéances électorales, d’inventer un vivre-ensemble. Tünde Lamboley voit des marques d’espoir dans ces jeunes, soulignant notamment l’émergence d’une «jeune génération de Kanak qui réfléchissent aux enjeux de leur société, essaient d’inventer la Calédonie de demain : on voit apparaître des éléments prometteurs dans la vie politique, associative, éducative, qui sont de plus en plus présents et se font entendre au sein de la société calédonienne». Elle y discerne les lignes qui devront, selon elle, guider les priorités du Défap pour les prochaines années en Nouvelle-Calédonie : «d’abord, retravailler l’accompagnement des étudiants calédoniens en métropole, en collaboration avec Cadres Avenir». Depuis janvier 2006, ce Groupement d’intérêt public pilote le programme de formation en métropole de cadres Kanak, afin de favoriser un rééquilibrage économique et social de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que l’avaient prévu les accords de Matignon en 1988. Signe de l’aspect stratégique de ce programme pour la société calédonienne, il est évalué chaque année par un comité de suivi, composé des signataires des accords de Matignon et Nouméa, qui se réunit en présence du haut-commissaire de la République. Or, l’accompagnement extra-scolaire des étudiants Kanak est un point crucial de ce programme…

Mais selon Tünde Lamboley, le Défap se doit aussi d’aider à préserver l’héritage commun des protestants de France et de Nouvelle-Calédonie. À ce titre, le lycée protestant Do Neva est un symbole. Un symbole fortement endommagé lors d’inondations exceptionnelles en novembre 2016, ce qui avait entraîné un mouvement de solidarité du protestantisme de la France métropolitaine afin d’aider aux réparations. «Au-delà de la rénovation des locaux, nous devons continuer l’accompagnement de Do Neva, estime Tünde Lamboley, car cet héritage de Maurice Leenhardt est une marque des liens qui unissent les protestants de Nouvelle-Calédonie et de métropole.»

Franck Lefebvre-Billiez

Retrouvez ci-dessous quelques images de la «Journée des missions» à Épinal :

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