Gynécologue devenu un symbole de la lutte contre les violences faites aux femmes, Denis Mukwege est avant tout un protestant convaincu, qui puise la force de son engagement dans ses convictions ; et c’est précisément pour parler du rôle et de l’engagement des Églises protestantes au sein de la société congolaise, qu’il avait reçu en mars dernier Jean-Luc Blanc, du Défap, dans son hôpital à Bukavu.
Denis Mukwege en compagnie de Jean-Luc Blanc à Bukavu © Défap
Voilà plusieurs années que Denis Mukwege était pressenti pour le prix Nobel de la paix. Il avait déjà reçu entre autres le prix des droits de l’homme des Nations unies en 2008, le prix Sakharov en 2014 : autant de marques de reconnaissance internationale pour le combat de «l’homme qui répare les femmes». Ce vendredi 5 octobre à Oslo, le prix Nobel de la paix 2018 a été attribué conjointement au docteur Denis Mukwege et à Nadia Murad : le gynécologue qui dénonce inlassablement les viols et les mutilations sexuelles au Congo, et l’ancienne esclave sexuelle de Daesh. Deux symboles des violences faites aux femmes lors des conflits. «Denis Mukwege et Nadia Murad ont tous les deux risqué personnellement leur vie en luttant courageusement contre les crimes de guerre et en demandant justice pour les victimes», a souligné Berit Reiss-Andersen, présidente du comité Nobel.
Dans son hôpital Panzi, à Bukavu, qu’il a fondé et qu’il dirige, Denis Mukwege prend en charge les femmes ayant subi des viols collectifs, sur les plans médical, psychologique et spirituel ; et en-dehors, dans son pays et tout particulièrement sur la scène internationale, il dénonce les violences dont elles sont victimes, le viol et les mutilations faisant partie des armes de guerre dans l’Est de la République démocratique du Congo. Cette dénonciation inlassable a donné lieu à plusieurs livres et à deux films, dont le plus connu date de 2015 : «L’Homme qui répare les femmes : La Colère d’Hippocrate», de Thierry Michel et Colette Braeckman.
«Dépasser l’inégalité entre hommes et femmes dans les Églises»
Avant d’être médecin et gynécologue, Denis Mukwege est fils de pasteur et pasteur lui-même, et c’est au nom de ses convictions protestantes qu’il s’est lancé dans un combat contre les violences faites aux femmes qui a failli plusieurs fois lui coûter la vie. Il témoigne d’une Église qui s’engage et ne connaît pas la langue de bois. «Vous, pasteurs», déclarait-il ainsi en 2017 en Namibie devant les invités de l’assemblée générale de la Fédération luthérienne mondiale, «avez la possibilité de parler à beaucoup de personnes. C’est un pouvoir dont vous devez faire bon usage. Il faut dépasser l’inégalité entre hommes et femmes dans les Églises, sinon cela invalide tout le reste.»
Son action, son témoignage et sa reconnaissance internationale croissante lui valent d’être régulièrement en délicatesse avec le pouvoir congolais, dans un pays que Joseph Kabila, à la tête de l’État depuis la mort de son père, Laurent-Désiré Kabila, en 2001, dirige depuis décembre 2016 sans mandat. Une situation qui place les Églises en situation de fragilité, et fait d’elles des cibles du pouvoir : d’abord l’Église catholique, qui s’est impliquée dans une médiation face à la violence de la répression des manifestations anti-Kabila – médiation dont elle a fini par se retirer devant le peu d’empressement du président à respecter les accords qu’elle s’efforçait d’obtenir ; ensuite, l’Église du Christ au Congo, principale Fédération protestante de RDC, dont le nouveau président élu le 19 août dernier, le pasteur André Bokundoa-Bo-Likabe, a décidé de rompre avec l’attitude jusqu’alors en vigueur de neutralité bienveillante vis-à-vis du pouvoir.
C’était, notamment, pour parler de ce rôle des Églises au sein de la société congolaise que Denis Mukwege avait reçu, en mars 2018, Jean-Luc Blanc, du Défap, alors en visite en RDC pour établir des liens avec l’Église du Christ au Congo. Si le prix Nobel de la paix qu’il vient de recevoir lui a valu des félicitations du bout des lèvres de la part du gouvernement congolais, dont le porte-parole a rappelé qu’il «n’a pas toujours été d’accord et continuera à ne pas l’être (avec le docteur Mukwege), parce que l’humanitaire est sacré et ne doit pas être mêlé à des choses politiques», cette distinction a été accueillie avec enthousiasme par les communautés congolaises à l’étranger, et notamment en France.
Franck Lefebvre-Billiez