La vallée du Jourdain

Les dernières pages du livre de Deutéronome nous racontent un des récits les plus touchants du Pentateuque. Le peuple d’Israël avec Moïse à sa tête, après la longue traversée du désert du Sinaï, parvient à la frontière de la terre promise. Moïse prononce son cantique à toute l’assemblée, cantique qui comporte à la fois, des éléments de louange de Dieu et des critiques sévères du comportement passé du peuple. Moïse ajoute :  » Prenez à cœur toutes les paroles que je vous supplie aujourd’hui de recommander à vos enfants… C’est votre vie, et c’est par [ces paroles] que vous pourrez vivre longtemps dans le pays dont vous aurez la possession une fois le Jourdain passé. » (Deut. 32, 1 à 47)

 

 

Dieu commande à Moïse de gravir le mont Nebo, « dans le pays de Moab, vis-à-vis de Jéricho et de [regarder] le pays de Canaan que je donne en priorité aux Israélites…Tu verras le pays devant toi mais tu ne rentreras pas dans le pays que je donne aux Israélites ». (Deut. 32, 48 et 52)

Moïse gravit le mont Nebo et Dieu lui fait voir tout le pays qui correspond aujourd’hui à Israël et aux territoires palestiniens occupés, la Cisjordanie. Puis « Moïse, le serviteur de l’Eternel, mourut là, dans le pays de Moab… Personne n’a su où était son tombeau jusqu’à aujourd’hui. » (Deut. 34, 5 et 6)


Le programme EAPPI du Conseil œcuménique des Eglises auquel le DEFAP participe pour la France, prévoit la constitution d’équipes d’hommes et de femmes d’une vingtaine de nationalités différentes à sept endroits stratégiques des territoires occupés palestiniens. Ces équipes restent en place trois mois puis sont remplacées par de nouvelles équipes.

 

 

J’ai été affecté à l’équipe de la vallée du Jourdain, donc à Jéricho, la ville que Moïse voit devant lui de son poste sur le mont Nebo. Jéricho, selon sa propre publicité, est la plus vieille ville du monde habitée de façon continue (10 000 ans ou plus). Il reste encore quelques pierres de la vieille ville, celle livrée par Dieu, selon le livre de Josué, au peuple d’Israël suite à l’effondrement de sa muraille. A l’exception de Rahab, la prostituée, et de sa famille, toute la population canaanite de la ville aurait péri (Jos. 6).
Quel rapport, me direz-vous, entre un programme initié par des Eglises au 21ème siècle et des événements ayant eu lieu longtemps avant la naissance de Jésus Christ ? Curieusement, il reste encore aujourd’hui des traces, au niveau du comportement et des croyances de personnes vivantes, de ces origines bibliques, légendaires ou non.

Notre petite équipe, composée de trois personnes, a commencé il y a peu de temps, grâce à son chauffeur palestinien, à rendre visite à notre « clientèle » dont une bonne partie avait déjà fait l’objet de visites d’équipes précédentes. C’est en écoutant les récits des uns et des autres que nous avons pu détecter des attitudes qui remontent, sans doute, à des centaines voire à des milliers d’années.
La communauté juive dans son ensemble, fonde l’existence de l’État d’Israël en 1947 sur les promesses de Dieu consenties à l’origine à Abraham, puis à Moïse, selon l’Ancien Testament. Nous le savons. Les terres de Canaan, ainsi que les autres terres citées par Deutéronome (34, 2 et 3), sont celles réclamées par la plupart des Israéliens aujourd’hui.

 

Dans la vallée du Jourdain, nous avons rarement l’occasion d’aborder ce sujet avec des Israéliens. A part quelques intervenants lors de nos cours de formation, nous ne rencontrons que des militaires et parfois, des colons. Avec ces dernières catégories, les possibilités de discussion sont limitées par la force des choses.
En revanche, nous faisons très souvent la connaissance de Palestiniens à qui nous posons, entre autres, des questions sur les origines de leurs communautés et de leurs familles. Ce ne sont pas les réponses qui manquent.


Un nombre impressionnant de Palestiniens de Cisjordanie, donc de la vallée du Jourdain, sont des réfugiés. Le mot « réfugié » prend un sens particulier aujourd’hui dans la plupart des pays du Moyen-Orient. Dans l’ancienne Palestine, avant la création de l’État d’Israël, il existait déjà des mouvements de population : des Juifs arrivaient d’Europe et se portaient acheteurs de parcelles de terrain appartenant aux Arabes. Mais la première vague de réfugiés récente, celle des Palestiniens, date de la fin de la guerre de 1948. Ces réfugiés ont été contraints de quitter la Palestine et de s’ implanter en Jordanie et au Liban ou bien de se déplacer à l’intérieur des frontières de l’ancienne Palestine. De nouvelles vagues ont suivi la guerre de 1967.
A l’époque de Moïse, le peuple d’Israël, suite au départ d’Egypte, était lui-même un peuple de réfugiés. Des milliers d’années d’après, et plus particulièrement à la suite de l’Holocauste, une bonne partie de ce même peuple a pris le chemin de nouveau de la « terre promise ».

 

Nous avons également rencontré des Palestiniens qui ont dû s’installer dans le camp des réfugiés de Ein al-Sultan, l’un des deux camps de Jéricho. La population totale de ces deux camps avoisine 8 500 personnes. Il s’agit de petites villes possédant, mis à part la taille des maisons, à peu près les mêmes caractéristiques que celles du centre-ville de Jéricho. A noter cependant que, dans le cas du camp de Ein al-Sultan, il manque un système d’évacuation des eaux. L’explication, qui nous a été fournie par le représentant d’une des agences de l’ONU, est que la population du camp craint que la mise en place d’un tel système risque de porter préjudice au fameux droit de retour qui figure toujours en priorité parmi les exigences des personnes expulsées.
De manière générale, en interrogeant des Palestiniens, notamment dans la vallée du Jourdain, et des Bédouins, nous avons noté en tout premier lieu, leur exigence relative aux terres. Les Bédouins constitue un cas particulier. Un grand nombre d’entre eux étaient implantés autrefois dans le désert du Néguev, donc dans l’extrême sud de ce qui constitue aujourd’hui l’État d’Israël. A la suite de la guerre de 1948, la majorité de ces Bédouins a dû partir, soit en Jordanie, soit vers le nord dans la région centre-nord de Cisjordanie.

Crédits photo : Elisabeth Mutschler

 

La situation des Bédouins qui habitent la vallée du Jourdain est, par la suite, devenue assez catastrophique. Conformément aux accords d’Oslo (1993), la Cisjordanie a été divisée en trois zones, désignées A, B et C. La zone C est entièrement soumise au contrôle du pouvoir militaire israélien. Or la vallée du Jourdain et les territoires à l’ouest de la Mer Morte, représentent à eux seuls, 87 % de la zone C. Il est interdit de construire dans cette zone, même d’ériger une tente. Ces Bédouins se trouvent donc dans une situation d’extrême précarité.
Nous avons rencontré plusieurs communautés bédouines. Sans parler des conditions matérielles de leur existence – sujet que nous aborderons dans un futur article – nous avons retenu qu’elles sont le plus souvent privés de l’espace qui faisait traditionnellement partie des conditions élémentaires de leur existence. En effet, les Bédouins n’étaient généralement pas reconnus comme propriétaires de terres. Ce sont des nomades dont l’activité consiste à élever des moutons, des chèvres et éventuellement des chameaux. Le bétail se déplace en permanence à la recherche de sa nourriture. Or les Bédouins font l’objet, ces derniers temps, d’un harcèlement continu de la part de la population juive des territoires occupés.
Dans un autre village, toujours dans le nord de la vallée, nous avons visité une école d’environ 70 enfants. Une conversation s’est engagée avec le directeur de cette école. Comme de nombreux autres Palestiniens, il attribue l’origine des malheurs de la population à la déclaration Balfour. Ce texte, établi par le premier ministre britannique en 1917 vers la fin de la Première guerre, promet qu’un « foyer national » sera réservé aux Juifs, ajoutant qu’une telle décision sera sans préjudice aux « droits civiques et religieux » des autres peuples de la région. En apprenant que j’étais britannique, le directeur s’est laissé un peu emporter !

Puis il expose davantage son point de vue. Le peuple palestinien n’a pas besoin d’aide financière. Il a besoin … et il cherche la traduction d’un mot arabe dans son téléphone portable… qu’on lui rende  son « homeland » (sa patrie).

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