Quelle relation entre Ennio Morricone, Robert De Niro et… la mission ? Bien sûr, il s’agit du film « Mission » de Roland Joffé, une œuvre cinématographique qui met notamment en scène les relations entre culture missionnaire et musique. Ces relations sont au cœur du n°74 de « Perspectives Missionnaires« . Présentation avec cet article introductif de Gilles Vidal.

Toute personne ayant vu le film Mission de Roland Joffé a forcément gardé en mémoire à la fois les images magnifiques des chutes d’Iguazu et la bande-son sublime composée par Ennio Morricone. Parmi les passages marquants de ce long-métrage, on retiendra celui où le Père Gabriel (Jeremy Irons), père jésuite perdu dans la jungle du Paraguay, sent mystérieusement autour de lui et de son acolyte, le repenti Mendoza (Robert De Niro), la présence menaçante des indiens Guarani. Au cœur de cette atmosphère oppressante, il tire un hautbois de sa besace, l’assemble tranquillement et commence à en jouer. La mélodie délicate s’élevant vers le ciel agit alors comme un enchantement puisque les Indiens se laissent approcher et conduisent les missionnaires vers leur village. Un peu plus loin dans le film, un autre passage musical joue également un rôle clé : lors d’une visite de la mission effectuée par le nonce du pape venu en apprécier l’utilité, celui-ci est impressionné par la chorale d’enfants entonnant avec ferveur un « Ave Maria » digne de Palestrina…

Ainsi comme l’on peut le constater, la musique et le chant ont été et continuent d’être un corollaire efficace à la mission et l’évangélisation, engendrant la créativité avec des effets tant sur la foi chrétienne que sur l’art. Le dossier qui suit tente de donner un modeste aperçu de ce compagnonnage à différentes époques et dans des contextes très variés.

Gilles Vidal esquisse un historique de la musique et du chant d’Église ainsi que de sa traduction, au XIXe siècle, en contexte missionnaire protestant. Après avoir rappelé l’importance de la musique et du chant communautaire pour les réformateurs, il aborde la contribution du Réveil britannique à l’hymnologie protestante. Confrontée à des contextes culturels si variés, la musique et le chant européens s’hybrident : les mélodies deviennent moins strictement « tonales » et les paroles des cantiques s’interprètent à la lumière des situations locales ou régionales.

Pour aller plus loin :
Retrouvez les archives de « Perspectives missionnaires » sur le site de l’AFOM (Association francophone oecuménique de missiologie) en cliquant sur l’image ci-dessus. Et retrouvez ci-dessous les anciens numéros :
N° 72 – Famille, conjugalité, témoignage
N° 71 – Églises et culture émergente
N° 70 – Ensemble vers la vie, Nouvelles pistes pour la mission
N° 69 – Héritiers et témoins d’une terre promise
N° 68 – Se former à la mission ?
N° 67 – Œcuménisme et mission en Europe
N° 66 – Relire David Bosh
N° 65 – Afrique en mission
N° 64 – Bible et traduction en mission
N° 63 – Prier dans un contexte interreligieux ?
N° 62 – La planète évangélique
N° 61 – Divers articles
N° 60 – Dossier Édimbourg – Cape Town 2010
N° 59 – Dossier Afrique du sud
N° 58 – La Mission : entre altérité et identité
N° 57 – Dossier Mission et communication
N° 56 – Dossier Madagascar
N° 55 – Mission en Europe
N° 54 – Christianisme en zones interdites
N° 53 – Économie et foi

Cette diversité des cultures et leur richesse artistique dans laquelle la foi s’exprime au moyen de la musique et du chant sont étudiées, théorisées et pratiquées dans le cadre de l’ethnodoxologie. Ruth Labeth introduit magistralement le lecteur dans cette discipline missiologique à part entière dont le but est d’analyser et – le cas échéant – d’infléchir les stratégies liturgiques à l’œuvre dans un milieu donné, tant sur le plan personnel que communautaire. Qu’elle soit ici remerciée pour son apport et sa réflexion dans un domaine sans doute encore trop méconnu en milieu francophone.

Peut-on « décemment » jouer du jazz dans un culte ? C’est à partir de ce cas concret vécu en Indonésie que William Edgar propose une réflexion globale sur le triptyque « musique, mondialisation et mission ». Il décrit en particulier la difficulté des cantiques indonésiens, pourtant bien adaptés culturellement, à s’imposer face au flux du gospel mondial. Cependant, prenant également le contre-exemple de la Guadeloupe, il montre comment la période contemporaine est marquée par une « conscientisation » de l’identité antillaise qui semble rendre justice à une foi plus authentiquement vécue. Inutile de dire combien cette comparaison insulaire entre l’Indonésie et la Guadeloupe est précieuse pour ouvrir les horizons des lecteurs de Perspectives Missionnaires qui lui en sont profondément reconnaissants.

Pasteur, compositeur et musicien, Joël Dahan partage sa passion et son expérience dans un article décrivant comment la création artistique auprès des jeunes relève de l’évangélisation. Les ateliers « musique et écriture » produisent des chants d’assemblée auquel l’auteur reconnaît six dimensions dont la parenté avec la pensée des réformateurs du XVIe siècle est patente. Il conclut – et nous lui en savons gré – en ouvrant la réflexion non seulement sur les enjeux interculturels de la musique et du chant en milieu ecclésial et missionnaire, mais également sur leurs implications inter- générationnelles.

Clôturant et enrichissant ce dossier, Fred. O. Biyela présente un aperçu historique du chant liturgique catholique à partir du Congo-Brazzaville. Il montre comment, avant la réforme de Vatican II, les cantiques traduits par les missionnaires pouvaient donner lieu à de terribles – et diaboliques – contresens ! La période postconciliaire fut plus heureuse en la matière, notamment grâce à une meilleure prise en compte de l’inculturation du christianisme. C’est au nom de cette notion en effet, que le chant liturgique a gagné en profondeur, notamment grâce à l’introduction d’instruments « traditionnels ». Mais le processus n’est pas clos et l’auteur souligne les collaborations œcuméniques fructueuses qui sont nées de la pratique du chant et de la célébration. Qu’il reçoive ici toute notre gratitude pour sa contribution.

Parmi la diversité des époques, des pays et des contextes évoqués dans ce dossier, une question fondamentale et transversale apparaît. Elle se manifeste sous la problématique récurrente de l’introduction d’instruments profanes – ou de mélodies, ce qui est une variante – dans l’espace « sacré » que constitue le culte ou l’annonce missionnaire. Ce n’est pas le moindre mérite des auteurs de nous amener sans cesse à nous interroger sur nos héritages et la place que nous leur accordons dans la foi et sa proclamation. Finalement, le trio musique, chant et mission pourrait bien être l’écho d’un autre trio : héritage, tradition et innovation.

Gilles Vidal

Retrouvez ci-dessous le sommaire de ce numéro 74 de « Perspectives missionnaires » :

 

 

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