Centrafrique : un colloque à Bangui pour construire la paix

Après un premier rendez-vous en 2023 sur le thème des « voies de la paix face à la difficile construction de la cohésion sociale en Centrafrique », l’association A9, créée à Bangui par un ancien boursier du Défap, Rodolphe Gozegba, a organisé au printemps un deuxième colloque avec le soutien du Défap. Le thème en était « Humiliation et réconciliation : quel avenir pour les sociétés post-conflit ? ». La présidence était assurée par Jean-Arnold de Clermont, ancien président du Défap. Retour sur ces deux jours de colloque, par Rodolphe Gozegba.

Rodolphe Gozegba lors du 2ème colloque de l’association A9 à Bangui © DR

L’an dernier, déjà, l’association créée par Rodolphe Gozegba, docteur en théologie de l’Institut protestant de théologie de Paris, organisait avec la participation du Défap un colloque sur la paix. Anne-Lise Deiss et Laure Daudruy y participaient. Cette année, les 29 et 30 mai, ce sont Philippe Kabongo-Mbaya et Jean-Arnold de Clermont qui l’ont représenté. Le thème était « Humiliation et réconciliation : quel avenir pour les sociétés post-conflit ? ». Plus de 250 personnes remplissaient pendant ces deux jours la très belle salle de la Sécurité Sociale et y apportaient une assiduité remarquable et une active participation aux débats. À peine terminée une contribution, les mains se levaient de toute part, et la présidence assurée par Jean-Arnold de Clermont, avec calme et humour, devait tenter de donner la parole au plus grand nombre.

Pourquoi un tel intérêt ?

Le thème, tout d’abord. Parler de paix, et bien sûr particulièrement dans le contexte centrafricain, c’est évoquer celles et ceux qui ont souffert profondément des crises passées. J’avais proposé une contribution intitulée « Différents aspects de l’humiliation recueillis dans la parole des Centrafricains par l’Observatoire Pharos dans les années 2013-2015 ». Trois images pour dire cette humiliation : Les enseignants de l’Université de Bangui nous disant être « bâillonnés » par les responsables politiques, alors qu’ils étaient les seuls à avoir depuis des années constitué un groupe de travail sur les origines de la crise centrafricaine ; cette mère et sa fille, violées par des habitants de leur quartier pendant les troubles de 2013 et voyant tous les jours leurs violeurs les menaçant de les tuer si elles parlaient et la justice incapable de se saisir de leur drame ; les intellectuels disant leur humiliation d’entendre l’Ambassadeur de France dire quel était le « bon » premier ministre pur la RCA… Le colloque devait prendre le temps d’entendre les humiliations vécues par la population, humiliations par rabaissement, par déni d’égalité, par relégation ou par stigmatisation (pour reprendre les catégories de Bertrand Badie, dont nous avions espéré qu’il pourrait se libérer afin d’apporter les conclusions du colloque).

Bien d’autres contributeurs ont participé à cette première partie : Professeurs d’Université en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, Psychologue clinicienne en RCA, ou encore Ingénieure en informatique passionnée de théologie rendant compte de l’ouvrage d’Olivier Abel.

Entendre l’humiliation avant d’envisager de la réparer ou de la déconstruire

 



Présentation en images du colloque de l’association A9

C’est Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’IFRI qui ouvrait cette seconde partie avec un exposé sur la : « Justice transitionnelle : un concept en errance ». Il était suivi par un avocat centrafricain, conseil de la Cour Pénale Internationale et de la Cour pénale spéciale à Bangui ; puis des universitaires de Bangui, de Dshang ou de Maroua au Cameroun. D’autres aspects plus spécifiques étaient abordés ; la question de la vérité (Franck Levasseur), ou le thème biblique de la réconciliation (Philippe Kabongo Mbaya).

Chaque contribution appelait de longs débats ; mais la dernière, par le Professeur Abdon Nadin Liango, président du comité scientifique, sous le titre « Dignité humaine en péril » retraçant les crises subies par la RCA devait susciter un moment extrêmement fort : trente ou quarante mains se sont levées pour apporter précisions, corrections, commentaires… Le colloque se terminait par la confirmation d’un immense besoin de partage auquel répond l’Association A9.

Car la RCA aujourd’hui n’offre pas beaucoup d’autres possibilités. Les oppositions politiques au régime en place ne sont guère actives, ou sont ailleurs. Les problématiques du moment touchent plus aux questions de survie alors que 80% de la population n’a qu’un repas par jour, me dit-on. Les ressources naturelles du pays sont détournées, les routes difficilement praticables, le fonctionnement économique réduit, sauf pour l’immobilier des riches : Bangui voit fleurir les bâtiments à étages, les hôtels climatisés. Et fort peu en profitent. Heureusement il y a 3000 agents des différentes institutions des Nations Unies.

A9 s’est singularisée en proposant en 2021 de nourrir Bangui en 90 jours, opération qui a donné naissance à 1400 jardins potagers privés devant les cases de volontaires et l’opération devrait bientôt doubler.

Mais A9 a aussi lancé avec l’Université (le Recteur ouvrait le colloque) un master en pluralisme religieux et médiation. Quelques jours après le colloque, ce sont 60 nouveaux titulaires qui étaient reçus (50 l’an dernier).

C’est l’honneur du CCFD-Terre solidaire, de la Friedrich Schiller Universitat d’Iena, et modestement du Défap de soutenir de telles initiatives porteuses d’espérance.

Rodolphe Gozegba




L’Église luthérienne de Centrafrique : 100 ans, et un rôle social toujours essentiel

L’Église évangélique luthérienne de République centrafricaine a célébré en novembre 2023 les 100 ans de l’arrivée des premiers missionnaires de la Sudan Mission. Cette Église, premier partenaire du Défap dans ce pays, regroupe aujourd’hui 125.000 membres répartis dans sept régions. Surtout, elle a un rôle essentiel dans un pays qui peine à se relever de décennies de conflits, où l’insécurité reste persistante, et où les services de base sont quasi-inexistants en-dehors de Bangui.

Photo prise lors des célébrations du centenaire de l’EELRCA © DR

Si des évêques de l’Église luthérienne du Cameroun figurent sur cette photo de famille, ce n’est pas un hasard : longtemps, l’Église luthérienne de Centrafrique et celle du Cameroun ont été une seule et même Église. Une histoire commune qui remonte à l’arrivée des premiers missionnaires américains de la Sudan Mission (aujourd’hui ELCA) en 1923 à Ngaoundéré. Et c’est encore à Ngaoundéré qu’est née officiellement, le 20 décembre 1960, l’Église évangélique luthérienne du Cameroun et de la République centrafricaine (EELCRCA). Ce n’est qu’au cours de l’année 1973 que la partie centrafricaine de l’EELCRCA est devenue une Église nationale, la partie camerounaise conservant le nom d’Église évangélique luthérienne du Cameroun (EELC).

Ce cliché a été pris au mois de novembre 2023, en pleine célébration du centenaire de l’EEL-RCA ; au premier plan, portant des lunettes de soleil, on peut reconnaître Annelise Deiss, qui représentait le Défap. L’Église évangélique luthérienne de République centrafricaine est en effet le premier partenaire du Défap dans ce pays, où se trouve aussi une Église membre de la Cevaa, l’Église protestante Christ-Roi de Centrafrique, qui a bénéficié plusieurs années d’un accompagnement pastoral. Le thème des célébrations de ce centenaire, qui se sont tenues du 6 au 12 novembre, était : « 100 ans d’évangélisation en paroles et en actes », tiré de Matthieu 28 : 19-20. Les festivités ont été marquées par une conférence sur l’histoire de l’Église, par des visites de sites, des cultes à Bouar, Abba et Baboua ; ainsi que par une exposition et une caravane organisées dans la ville de Bouar… Mais le fait le plus significatif est peut-être, en prélude à l’arrivée de la délégation camerounaise, la mise à la disposition de la population présente à Gallo et Bohong d’une équipe médicale venue du Cameroun. Les besoins sont en effet criants, et l’EEL-RCA y consacre une grande partie de ses activités. Quand on interroge le Révérend Joseph Ngoé, président de l’Église, sur ses priorités, il évoque « la réconciliation, la fourniture de soins de santé et d’éducation à la population, et le soutien particulier à ceux qui vivent dans les zones rurales pour faire face à la pauvreté ».

Écoles, centres de santé, projets générateurs de revenus…

Photo prise lors des célébrations du centenaire de l’EELRCA © DR

La République centrafricaine fait partie des pays les plus pauvres du monde. Elle se classe tout en bas des indices mondiaux du capital humain et de développement humain, à la 188ème place sur 191. Environ 71% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté international (c’est-à-dire avec moins de 1,90 dollar par jour). Le sous-sol est riche en ressources naturelles, mais ce qui pourrait être une opportunité est plutôt devenu une malédiction pour ce pays. La RCA a connu dernièrement plus de deux décennies de crises, les oppositions politiques ayant des répercussions sur les relations entre communautés et entre religions, au point que la prise de pouvoir par la Séléka en 2013 a laissé craindre un affrontement généralisé entre chrétiens (largement majoritaires dans le pays) et musulmans, plutôt présents dans le Nord-Est, près de la frontière avec le Tchad et le Soudan voisins. Des responsables religieux ont dû longtemps œuvrer à l’apaisement, à l’instar des trois « saints de Bangui » : le révérend Nicolas Guerekoyame-Gbangou, pasteur de l’Église évangélique Elim Bangui-M’Poko et représentant du protestantisme, Mgr Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui et représentant du catholicisme, et l’imam Omar Kobine Layama, président de la conférence islamique. Mais la paix est loin d’être revenue et la dernière crise a été déclenchée par une coalition de rebelles en décembre 2020. Longtemps, le gouvernement de Bangui n’a contrôlé de fait qu’une infime partie du pays, le reste étant mis en coupe réglée par des groupes insurgés. Aujourd’hui, il est largement dépendant pour assurer la sécurité de soutiens militaires étrangers, venus de la Russie (le groupe Wagner) et du Rwanda ; les forces françaises se sont retirées depuis 2016. Le pays compte aussi sur son sol une Force de maintien de la paix de l’Onu, la MINUSCA, présente depuis avril 2014 et qui mobilise plus de 17.000 personnes.

Photo prise lors des célébrations du centenaire de l’EELRCA © DR

Après des décennies de guerres et de crises, l’insécurité reste le premier problème de la population, et il n’est pas rare que des attaques de groupes rebelles entraînent de nouveau des exodes d’habitants fuyant les violences en abandonnant leurs habitations et leurs champs. Les infrastructures sont détruites, les services de base à peu près inexistants en-dehors de la capitale, et les Églises font partie des rares institutions à rester debout et à faire fonctionner des écoles, des dispensaires, ou à venir en aide aux plus démunis. C’est le cas de l’EELRCA, présente surtout dans la partie Ouest du pays, où elle regroupe 125.000 membres répartis dans sept régions, à travers 544 « congrégations » (paroisses) ; elle compte 74 pasteurs et 540 « catéchistes diplômés ». Elle est en lien plutôt avec des partenaires américains (ELCA) mais a entretenu aussi pendant de longues années des relations avec les protestants de France via la Colureum (Commission luthérienne des relations avec les Églises d’outre-mer), aujourd’hui intégrée au Défap.

Ce rôle social essentiel, le Révérend Joseph Ngoé a tenu à le rappeler dans un entretien publié par la Fédération luthérienne mondiale à l’occasion du centenaire de l’EEL-RCA. L’Église luthérienne de Centrafrique, a-t-il souligné, « contribue énormément au développement du pays dans les domaines de l’éducation, de la santé, des infrastructures pour l’approvisionnement en eau, des projets générateurs de revenus et dans le domaine agricole. Par exemple, nous avons mis 30 écoles primaires à la disposition des populations de certains villages des sous-préfectures d’Abba, Baboua, Bouar et Bocaranga, dans des zones où le gouvernement n’est pas en mesure d’intervenir. Nous comptons au total près de 5700 élèves pour l’année scolaire 2022-2023 (…) Dans le domaine de la santé, il existe deux centres de santé : à Bohong (à 70 km de Bouar sur la route de Bocaranga) et au Centre de Santé Emmanuel (à 60 km de Bouar sur la route de Baboua). »

Retrouvez ci-dessous une présentation en vidéo de l’EEL-RCA :





Le Défap à la rencontre de ses partenaires

Les mois de mars à août sont bien remplis dans l’agenda de l’équipe du Défap pour cette année 2023, avec des déplacements en République centrafricaine, au Maroc, au Congo-Brazzaville, à Madagascar… Il s’agit de rencontrer les Églises partenaires, visiter les envoyés, et faire le point sur les missions et les possibilités d’accueil et d’envoi de volontaires.

Centrafrique : un culte de l’Église luthérienne – photographie prise lors de la mission de Laure Daudruy © Défap

Laure Daudry (Défap) et Annelise Deiss se sont rendues dix jours en mars en République centrafricaine à la rencontre des Églises partenaires et notamment à Bouar, au siège de l’Église luthérienne. Elles ont représenté le Défap au colloque « Les voies de la paix » qui s’est tenu les 17 et 18 mars à Bangui ; colloque co-financé par le Défap et l’UEPAL.

Basile Zouma, secrétaire général du Défap, était au Maroc du 13 au 20 mars, pour fêter les 10 ans de l’Institut Al Mowafaqa. Il était accompagné de la secrétaire générale de la Cevaa, la pasteure Claudia Schulz. Ils ont rencontré l’Église évangélique au Maroc et Basile Zouma a participé à l’évaluation du partenariat Défap-Al Mowafaqa.

Maroc : une conférence à l’institut Al Mowafaqa © Al Mowafaqa

 
En avril, Basile Zouma et Anne-Sophie Macor, en charge des Relations internationales au Défap, seront au Congo-Brazzaville. L’objet de cette mission est de rencontrer l’Église évangélique du Congo, l’Université protestante de Brazzaville, les étudiants boursiers du Défap, et de faire le point avec les lieux d’accueil potentiels de volontaires. Une rencontre avec le représentant national de France-Volontaires (plateforme opérationnelle du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères pour le volontariat international) est également au programme.

Un voyage à Madagascar est en préparation, probablement pour août. Anne-Sophie Macor accompagnera Pascal Hickel pour rencontrer les deux Églises partenaires (FLM et FJKM) et visiter les envoyés. Ce sera l’opportunité de faire le point sur les missions et les possibilités d’accueil et d’envoi de volontaires.
 

Madagascar : Pierre, envoyé du Défap, dans le labo de langues de la SFM, l’école de formation des maîtres de l’Église luthérienne malgache © SFM

 

Les Églises partenaires par pays

  • République centrafricaine : l’EEL-RCA (Église évangélique luthérienne de République centrafricaine), qui regroupe 120 000 membres à travers 544 « congrégations » (paroisses)
  • Maroc : l’EEAM (Église évangélique au Maroc), qui est, avec l’Église anglicane, l’un des deux seuls mouvements protestants officiellement reconnus par le roi.
  • au Congo-Brazzaville: l’EEC (Église évangélique du Congo) qui revendique aujourd’hui 225 000 membres
  • à Madagascar : la FJKM et la FLM. La FJKM (Fiangonan’i Jesoa Kristy eto Madagasikara, en français Église de Jésus-Christ à Madagascar) est la plus grande Église protestante du pays. Elle revendique 3 500 000 membres, répartis dans 5 800 paroisses desservies par plus de 1 200 pasteurs. Quant à l’Église luthérienne malgache (en malgache : Fiangonana Loterana Malgache, FLM), elle revendique 3 millions de membres répartis dans 5000 paroisses, desservies par 1200 pasteurs.

 




«Les voies de la paix» : un colloque à Bangui avec le soutien du Défap

L’association A9, créée à Bangui par un ancien boursier du Défap, Rodolphe Gozegba, et qui s’est fait connaître notamment à travers un programme d’agriculture urbaine destinée à améliorer l’autonomie alimentaire de la capitale centrafricaine, prépare un colloque sur « Les voies de la paix face à la difficile construction de la cohésion sociale en Centrafrique ». Cette rencontre, organisée en partenariat avec l’Université de Bangui et avec le soutien du Défap, réunira des personnalités comme le chef de l’État Faustin-Archange Touadéra, deux des trois « saints de Bangui » – le cardinal Dieudonné Nzapalaïnga et le pasteur Nicolas Guerekoyame Gbangou – ainsi que Jean-Arnold de Clermont, ancien président du Défap.

Rodolphe Gozegba détaillant les projets de l’association A9 lors d’une visite en France © DR

Tout au long de ses études de théologie, depuis la Fateb (Faculté de théologie évangélique de Bangui) jusqu’à l’IPT-Paris (Institut protestant de théologie), Rodolphe Gozegba De Bombémbé a gardé en arrière-plan de ses travaux et de ses réflexions le drame que vivait son pays, la République centrafricaine. Les maux y sont multiples et s’enchevêtrent. Le pays voit se succéder les épisodes de guerre plus ou moins ouverte depuis son indépendance ; le dernier conflit en date, la troisième guerre civile centrafricaine, s’est développé au cours de l’année 2013. Il a vu s’opposer les milices de la Seleka, à majorité musulmanes et fidèles au président Djotodia, à des groupes d’auto-défense chrétiens et animistes, les anti-balaka, fidèles à l’ancien président François Bozizé. Une guerre qui s’est traduite par des exactions sans nombre contre les civils et qui a laissé le pays déchiré et détruit. Depuis lors, la situation politique est d’une extrême instabilité, entre un gouvernement qui peine à faire reconnaître son autorité hors des limites de la capitale et des groupes armés qui revendiquent une légitimité politique. L’Accord Politique pour la Paix et la Réconciliation (APPR-RCA), signé en février 2019 avec 14 groupes armés, continue de servir de feuille de route pour la recherche de la paix et de la stabilité à long terme, même après le retrait des groupes armés liés à la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) en décembre 2020. La MINUSCA, force de maintien de la paix de l’ONU composée de plus de 15 000 hommes, reste présente dans le pays depuis 2014. Conséquence de cette instabilité récurrente, la RCA se classe au bas des indices du capital humain et du développement humain, à la 188ème place sur 189.

Le drame de la Centrafrique avait déjà influé sur le choix du sujet d’étude de Rodolphe Gozegba lorsqu’il était en France : la théologie de Jürgen Moltmann, une théologie de l’espérance et des recommencements. « Moltmann, à travers tout ce qu’il a vécu, soulignait-il, réussit à nous parler d’un Dieu non pas lointain, mais bien présent ; un Dieu qui compatit à la douleur et qui intervient, qui agit. » Après sa thèse de doctorat soutenue en décembre 2020, Rodolphe Gozegba est revenu à Bangui pour aider. Avec quelques amis, il a fondé l’association A9.

« Les tensions ont cassé toute cohésion sociale »

L’une des premières actions de l’association A9 à Bangui : participants du projet « Nourris ta ville en 90 jours » réunis lors d’une distribution de matériel © A9

A9 : une association qui s’est fixé comme but d’intervenir, non pas dans un seul domaine, mais de manière globale, face à tous les maux de la société centrafricaine. Et avec, dès l’origine, une sensibilité particulière à l’environnement, un aspect le plus souvent négligé dans un pays où la paix reste encore à construire. Parmi les facteurs qui ont le plus contribué à le pousser à créer cette structure, Rodolphe Gozegba cite « l’insécurité alimentaire, les effets du réchauffement climatique, les conséquences de la crise inter-communautaire de 2013 ». Sa toute première action aurait dû être la lutte contre les déchets plastiques, qui, explique Rodolphe Gozegba, « constituent une véritable menace pour la nature et pour la santé publique ». Mais au moment de lancer le projet, « il y a eu une attaque de la capitale par les rebelles, qui ont coupé les routes d’approvisionnement ; Bangui s’est retrouvée asphyxiée ; il fallait alors un plan d’urgence alimentaire. C’est ainsi que nous avons proposé le projet : Nourris ta ville en 90 jours ». Il s’agissait d’aider les habitants de la capitale à améliorer leur autonomie alimentaire, en cultivant de nombreuses parcelles inexploitées à Bangui. Un projet qui a reçu le soutien du Défap et de l’UEPAL, et qui a déjà donné sur place des résultats très encourageants.

C’est dans cette optique de recherche de solutions globales face aux divers maux de la société centrafricaine qu’A9 organise aujourd’hui son premier colloque, avec le soutien du Défap et en partenariat avec l’Université de Bangui. Il portera sur « Les voies de la paix face à la difficile construction de la cohésion sociale en Centrafrique dans un contexte de tensions internationales« , et se tiendra les 17 et 18 mars 2023 au siège de la CEMAC (la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale).

 

Entretien avec Rodolphe Gozegba sur l’association A9, émission présentée par Marion Rouillard

Courrier de Mission – le Défap
Émission du 23 novembre 2022 sur Fréquence Protestante

 

« Ce colloque, indique A9 dans la présentation du programme, s’inscrit dans un double contexte : d’une part, celui de la guerre russo-ukrainienne et ses incidences socio-politiques et économiques sur les pays en voie du développement ; et d’autre part, celui des tensions socio-politiques palpables en République centrafricaine. Les conséquences touchent surtout les populations civiles. La communauté internationale semble bien souvent impuissante. Construire la paix et la cohésion sociale est devenu difficile, cela demande beaucoup de bonne volonté et d’efforts de part et d’autre. Dans le contexte de la RCA, les tensions ont cassé toute cohésion sociale. La méfiance s’est installée au sein de la population alors que le peuple doit construire son avenir dans la paix et dans la cohésion sociale. »

Ce colloque, poursuit A9, « permettra de partager des expériences, de soulever des questions capitales relatives à la résolution des conflits dans un monde en transformation rapide. Ainsi, la consolidation de la paix et de la cohésion sociale devient impérative pour garantir un État de droit, les droits humains fondamentaux, les droits internationaux, etc. » Parmi les intervenants, notons la présence :

  • de Faustin-Archange Touadéra, président de la République centrafricaine ;
  • de Jean-Arnold de Clermont, ancien président du Défap, actuel président d’honneur de l’Observatoire Pharos ;
  • du cardinal Dieudonné Nzapalaïnga et du pasteur Nicolas Guerekoyame Gbangou (deux des trois « saints de Bangui », trois dignitaires religieux – un imam, un pasteur, et un archevêque – qui avaient choisi de prêcher ensemble la paix et la réconciliation au plus fort des affrontements qui, en 2013, laissaient craindre que la guerre civile ne dégénère en conflit religieux) ;
  • d’Abdoulaye Ouasselegue, président de la Communauté islamique centrafricaine ;
  • de Nupanga Weanzana, doyen de la Fateb.

Vous pouvez retrouver ci-dessous le programme complet de ce colloque :




Courrier de mission : neuf actions pour faire revivre Bangui

Né en République centrafricaine et ayant fait ses études de théologie à la Fateb, la Faculté de théologie évangélique de Bangui, avant de devenir boursier du Défap, Rodolphe Gozegba est désormais engagé dans un projet visant à améliorer les conditions de vie de la capitale de son pays, Bangui. Une capitale fragile et qui a frôlé la famine : c’est à ce premier problème que s’est attaquée l’association qu’il a fondée, A9. Mais au-delà, les objectifs sont plus ambitieux et vont de la création d’un réseau d’assistance psycho-sociale à la sensibilisation de la population à la question de l’environnement, en passant par la promotion du vivre-ensemble. Des objectifs que Rodolphe Gozegba a eu l’occasion de détailler au micro de Marion Rouillard, dont il était était l’invité fin novembre pour l’émission « Courrier de mission – le Défap ».

Rodolphe Gozegba détaillant les projets de l’association A9 lors d’une visite en France © DR

En République centrafricaine, les maux sont multiples et s’enchevêtrent. Le pays voit se succéder les épisodes de guerre plus ou moins ouverte depuis son indépendance ; le dernier conflit en date, la troisième guerre civile centrafricaine, s’est développé au cours de l’année 2013. Il a vu s’opposer les milices de la Seleka, à majorité musulmanes et fidèles au président Djotodia, à des groupes d’auto-défense chrétiens et animistes, les anti-balaka, fidèles à l’ancien président François Bozizé. Une guerre qui s’est traduite par des exactions sans nombre contre les civils et qui a laissé le pays déchiré et détruit. Depuis lors, la situation politique est d’une extrême instabilité, entre un gouvernement qui peine à faire reconnaître son autorité hors des limites de la capitale et des groupes armés qui revendiquent une légitimité politique. L’Accord Politique pour la Paix et la Réconciliation (APPR-RCA), signé en février 2019 avec 14 groupes armés, continue de servir de feuille de route pour la recherche de la paix et de la stabilité à long terme, même après le retrait des groupes armés liés à la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) en décembre 2020. La MINUSCA, force de maintien de la paix de l’ONU composée de plus de 15 000 hommes, reste présente dans le pays depuis 2014. Conséquence de cette instabilité récurrente, la RCA se classe au bas des indices du capital humain et du développement humain, à la 188ème place sur 189. Or parallèlement, le pays est très fragile face aux effets du changement climatique et voit se multiplier les événements climatiques extrêmes : en 2019 par exemple, de fortes inondations à Bangui ont forcé des dizaines de milliers de personnes à quitter leur domicile. Pendant que la diminution des ressources en eau et en pâturages dans les régions du Sahel et du lac Tchad provoque l’arrivée de nombreux éleveurs avec leurs troupeaux, ce qui crée aussi des tensions entre agriculteurs et éleveurs.

Lorsqu’il est venu en France depuis Bangui pour poursuivre des recherches en bénéficiant d’une bourse du Défap, Rodolphe Gozegba-de-Bombémbé avait déjà fait plusieurs années d’études à la Fateb, la Faculté de théologie évangélique de Bangui ; en se plongeant dans la pensée de Jürgen Moltmann, il a rapidement fait un parallèle entre cette théologie de l’espérance et des recommencements, et sa quête d’un espoir face aux maux affligeant son pays. Après avoir soutenu sa thèse de doctorat le 10 décembre 2020 à l’Institut protestant de théologie de Paris, Rodolphe Gozegba s’est lancé dans un projet concret pour aider ses compatriotes à Bangui. « En tant que théologien, ayant travaillé sur la théologie de Moltmann, qui place l’humain au cœur de toutes préoccupations, j’ai approché certains amis, et nous avons créé A9 », explique-t-il aujourd’hui au micro de Marion Rouillard.

 

Entretien avec Rodolphe Gozegba sur l’association A9, émission présentée par Marion Rouillard

Courrier de Mission – le Défap
Émission du 23 novembre 2022 sur Fréquence Protestante

 

A9 : une association qui a pour but d’intervenir, non pas dans un seul domaine, mais de manière globale, face à tous les maux de la société centrafricaine. Et avec, dès l’origine, une sensibilité particulière à l’environnement, un aspect le plus souvent négligé dans un pays où la paix reste encore à construire. Parmi les facteurs qui ont le plus contribué à le pousser à créer cette structure, Rodolphe Gozegba cite « l’insécurité alimentaire, les effets du réchauffement climatique, les conséquences de la crise inter-communautaire de 2013 ». Sa toute première action aurait dû être la lutte contre les déchets plastiques, qui, explique Rodolphe Gozegba, « constituent une véritable menace pour la nature et pour la santé publique ». Mais au moment de lancer le projet, « il y a eu une attaque de la capitale par les rebelles, qui ont coupé les routes d’approvisionnement ; Bangui s’est retrouvée asphyxiée ; il fallait alors un plan d’urgence alimentaire. C’est ainsi que nous avons proposé le projet : Nourris ta ville en 90 jours ». Il s’agissait d’aider les habitants de la capitale à améliorer leur autonomie alimentaire, en cultivant de nombreuses parcelles inexploitées à Bangui. Un projet qui a reçu le soutien du Défap et de l’UEPAL, et qui a déjà donné sur place des résultats très encourageants.

Mais pourquoi ce nom : A9 ? Il s’agissait, pour Rodolphe Gozegba et la douzaine d’amis avec lesquels il a créé cette association, de faire référence à un symbole fort de la République centrafricaine en lien avec leurs préoccupations, notamment environnementales. « On s’était rendu compte que le seul article de la Constitution centrafricaine qui abordait les questions liées à l’environnement, c’était l’article 9. » Dès lors, le nom de l’association était tout trouvé : A9. Mais les fondateurs de la jeune association devaient bientôt s’apercevoir qu’en 2016, la présidente de transition, Catherine Samba-Panza, avait modifié la Constitution ; et que l’article 9 s’était alors retrouvé placé à la 11ème place… Or le nom de l’association était choisi, et « A11 » sonnait beaucoup moins bien que « A9 » … Rodolphe Gozegba et ses amis devaient alors se livrer à une relecture en profondeur de cet article pour en dégager neuf actions, lesquelles constituent désormais les axes du programme de travail de l’association :

  • l’agriculture urbaine et périurbaine
  • la sensibilisation de la population et des instances politiques à la question de l’environnement
  • la préservation de la nature
  • le reboisement de la ville
  • la promotion de l’égalité hommes-femmes en luttant contre les violences faites aux femmes
  • la cohésion sociale et la promotion du vivre-ensemble
  • la préservation de la nature : cours d’eau, sources et brousse
  • la création d’un système de collecte d’ordures et de recyclage
  • la promotion des soins de santé physique et sociale, la création d’un réseau d’assistance psycho-sociale, notamment pour faire face aux conséquences des traumatismes subis par la population après des années de guerre plus ou moins ouverte, plus ou moins larvée.

Après la création de jardins potagers à Bangui pour améliorer l’autonomie alimentaire des habitants, A9 a lancé en juin 2022 la deuxième action visant à participer activement au rétablissement de la cohésion sociale. Elle veut désormais lancer une formation d’éducation au dialogue interreligieux et interculturel, débouchant sur un Certificat de compétence en Dialogue interculturel et interreligieux. Les besoins sont immenses, mais les idées ne manquent pas ; les bonnes volontés non plus.




Des jardins pour nourrir Bangui

Dans un des pays les plus pauvres d’Afrique et toujours menacé par la violence, la République centrafricaine, Rodolphe Gozegba, ancien boursier du Défap, a lancé un projet pour promouvoir l’autonomie alimentaire. Dans un arrondissement de Bangui, la capitale, l’association A9 qu’il a créée forme les habitants, les équipe et les accompagne pour cultiver leur propre jardin potager. Avec des premiers résultats visibles et encourageants. Un projet soutenu par le Défap et qui figure dans le carnet de solidarité 2023 de l’UEPAL.


Les activités du Défap s’inscrivent dans un réseau de relations entre Églises. Des relations qui permettent à toutes les Églises qui y prennent part, au nord comme au sud, de mieux appréhender les défis communs auxquelles toutes sont confrontées, dans un monde marqué par l’accélération des échanges, les défis de l’interculturalité et les replis communautaires. Il s’agit de plaider et d’agir pour une Église qui reste accueillante et se montre responsable face aux enjeux du monde contemporain. Ce que le Défap a formalisé dans un document, « Convictions et actions 2021-2025 », et qu’il met en œuvre à travers les projets qu’il soutient.

Parmi ses diverses actions, le Défap veut œuvrer à un équilibre écologique et économique qui restaure les personnes, les relations et les sociétés. C’est le cas en République centrafricaine, où la guerre et les défaillances de l’État entretiennent pauvreté et famine. Depuis une quarantaine d’années, la RCA subit ainsi un cycle récurrent de violences. Une violence qui alimente la déliquescence des infrastructures : le pays, souligne la Banque mondiale, figure parmi les plus pauvres et les plus fragiles du monde malgré sa richesse en ressources naturelles. Bien que doté d’un potentiel agricole impressionnant, d’énormes ressources minières et de vastes forêts, les populations ne bénéficient pas de ces possibilités et la RCA se classe dans le bas du tableau des Indices de capital humain et de développement humain. On estime qu’environ 71% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté international (soit l’équivalent de 1,90 dollar par jour). Près de 630.834 personnes sont encore déplacées à l’intérieur du pays tandis que 632.000 réfugiés centrafricains demeurent dans les pays voisins, selon le Haut Commissariat au Réfugiés. La capitale elle-même est dans une situation de grande fragilité : elle est très dépendante de deux grandes routes pour son approvisionnement, dont l’une, menant vers le Tchad et le Cameroun, a été bloquée plusieurs semaines début 2021 par des groupes armés. Bangui a frôlé la famine.

Le rôle crucial des Églises dans un pays déliquescent

Pour maintenir le lien dans le pays, les Églises font partie des rares institutions à rester debout. C’est dans les églises que beaucoup de familles fuyant les violences vont souvent chercher refuge. Au-delà du milieu chrétien, les diverses religions présentes dans le pays ont tenté de jouer ces dernières années un rôle d’apaisement, notamment à travers la plateforme interreligieuse pour la paix (Interfaith Peace Platform), créée par l’archevêque de Bangui Dieudonné Nzapalainga, le pasteur et président de l’Alliance évangélique Nicolas Guérékoyamé-Gbangou (qui avait été reçu au Défap), ainsi que l’imam et ancien président du Conseil islamique Oumar Kobine Layama. Les Églises jouent aussi un rôle irremplaçable de soutien auprès des populations dans ce pays très majoritairement chrétien. Depuis des années, le Défap accompagne notamment l’Église protestante Christ-Roi de Centrafrique (EPCRC), membre de la Cevaa et présente dans la capitale. Mais il est aussi en lien avec d’autres Églises présentes ailleurs sur le territoire centrafricain, comme l’Église Évangélique Luthérienne de République centrafricaine (EELRCA) ; des relations ponctuelles ont pu aussi s’établir avec d’autres partenaires, également engagés dans les efforts de paix et de reconstruction. C’est le cas par exemple des communautés baptistes, et notamment de l’UFEB (Union Fraternelle des Églises baptistes). C’est aussi le cas, plus récemment, d’un projet né à la jonction entre le milieu des Églises et la société civile : celui de Rodolphe Gozegba et de son association A9.

Rodolphe Gozegba et des membres de l’association A9 cultivant un lopin de terre à Bangui © A9

Les projets naissent souvent de rencontres. Dans le cas de Rodolphe Gozegba-de-Bombémbé, ce fut celle de Jürgen Moltmann, et du Défap. Né en 1984 en République centrafricaine, il a étudié à la FATEB (la Faculté de Théologie Évangélique de Bangui), et a été pasteur de l’Église évangélique Béthanie, dans la capitale, de 2006 à 2013. Il a bénéficié d’une bourse du Défap pour étudier le dialogue des cultures et des religions à l’institut Al Mowafaqa, au Maroc. À partir de 2015, toujours avec l’aide du Défap, il a entamé des études à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris) pour y préparer un doctorat, décroché avec les félicitations du jury fin 2020. Son sujet d’étude : la théologie de Moltmann, et plus précisément la façon dont elle a été reçue par les protestants francophones. Pourquoi cet intérêt pour un théologien allemand, né dans un pays et dans un contexte historique aussi différents du sien ? Pour sa résilience. « Toute fin, écrivait Moltmann, est le début d’un recommencement ». Un thème qui avait profondément marqué Rodolphe Gozegba : l’étudiant n’avait pas tardé à faire le parallèle entre l’Allemagne détruite par la Deuxième Guerre mondiale et son propre pays ravagé par des décennies de guerre civile. Et c’est la redécouverte du message biblique par Moltmann au plus profond du désespoir qui avait poussé Rodolphe Gozegba à se plonger dans ses écrits. Il se trouve par ailleurs que Jürgen Moltmann est aussi un pionnier de la théologie écologique – un aspect mis en évidence en France à travers un recueil réalisé par Jean Bastaire et publié en 2004 : « Le rire de l’univers. Traité de christianisme écologique ».

Distribution de bêches et d’arrosoirs par l’association A9 © A9

Ces deux aspects, résilience et rapport à l’environnement, sont à la base du projet de l’association A9. Rentré à Bangui fin 2020, et après avoir obtenu son doctorat, Rodolphe Gozegba a créé cette structure avec une idée simple : rendre fertiles les nombreux lopins de terre inutilisés dans la capitale pour y créer des jardins potagers ; aider les familles à les cultiver en leur fournissant formation, soutien, suivi et matériel (ce qui va des graines aux bêches en passant par les arrosoirs), de façon à pouvoir se nourrir même en cas de nouveau blocus par des groupes rebelles, et à pouvoir obtenir de petits revenus en revendant une partie de leur production sur les marchés. Une manière très concrète de limiter la dépendance alimentaire de Bangui, d’améliorer la gestion de l’environnement et le quotidien des habitants participant au projet. Pour l’heure, l’association A9 travaille dans un des neuf arrondissements de Bangui, avec l’objectif d’apporter son soutien à 400 familles. Avec 8 euros, il est possible d’équiper l’une d’elles de manière à lui permettre de commencer à cultiver ses légumes. Le projet est soutenu par le Défap, avec l’aide de l’UEPAL qui l’a inscrit dans son carnet de solidarité 2023, à hauteur de 3200 euros.

 

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Bangui : l’insécurité alimentaire, un problème multiforme

À l’occasion de la COP 27, zoom sur un des projets soutenus par le Défap : « Nourris ta ville en 90 jours », porté par Rodolphe Gozegba à Bangui. Cet ancien boursier du Défap a créé une association, A9, qui travaille à améliorer l’autonomie alimentaire de la capitale centrafricaine. Une autonomie d’abord menacée par l’insécurité persistante dans laquelle se trouve le pays depuis la guerre civile ; mais les solutions mises en œuvre par Rodolphe Gozegba et l’association A9 rejoignent les réflexions de nombreux urbanistes qui, face aux défis des changements climatiques en cours, s’interrogent sur les moyens de rendre les villes moins dépendantes des campagnes sur le plan alimentaire, en développant une véritable agriculture urbaine. Récemment, Rodolphe Gozegba a été invité par l’UEPAL pour présenter les premiers résultats obtenus par son association à Bangui.

Participants du projet « Nourris ta ville en 90 jours » réunis lors d’une distribution de matériel © A9

Comment est né le projet « Nourris ta ville en 90 jours » ?

Rodolphe Gozegba De Bombémbé : L’Association A9 est née du constat de différents problèmes qui gangrènent la vie sociale de la population centrafricaine. Je peux mentionner l’insécurité alimentaire, les effets du réchauffement climatique avec ses répercussions sur la santé, les conséquences de la crise intercommunautaire de 2013 qui perdure, la non prise de conscience des problématiques écologiques, et j’en passe. Face à cette situation, il fallait agir urgemment. En tant que théologien ayant travaillé sur la théologie de Jürgen Moltmann qui place l’humain au centre de toute préoccupation, j’ai approché certains amis et nous avons créé A9. A9 pour les 9 Actions que nous allons entreprendre en Centrafrique.

L’action qui nous a semblé urgente était la promotion de l’agriculture urbaine et péri-urbaine autour du concept « nourris ta ville en 90 jours », car en janvier 2021, Bangui la capitale a été attaqué par des rebelles, les routes d’approvisionnement (Bangui Cameroun et Tchad) étaient coupées, à l’intérieur du pays, notamment dans le nord-est et ouest, les femmes et les hommes étaient empêchés d’aller aux champs. La situation sociale était devenue plus compliquée qu’avant, de nombreuses personnes n’arrivent même pas à prendre un repas correct par jour ; les enfants sont souvent malades car mal nourris, les familles peinent à subvenir à leurs besoins de première nécessité. Le pays a frôlé la famine. Les pauvres étaient encore plus pauvres ! Selon les données du HCR du 3 janvier 2021, 2,8 millions de Centrafricains, soit plus de la moitié de la population du pays (5 millions d’habitants), auraient besoin d’une aide humanitaire d’urgence.

Et comme A9 a remarqué que la plupart des habitants avaient à leur disposition, à côté de leur habitat, un lopin de terre inexploité, leur a proposé de le mettre en culture. La population a bien accueilli le projet et a de suite manifesté sa volonté d’y adhérer. C’est ainsi que grâce aux dons des personnes de bonne foi nous avons pu donner à plus de 700 familles des kits comprenant une bêche, une houe, un arrosoir et des semences d’une valeur de 30,00 euros. Elles sont suivies et conseillées par l’équipe de A9. Dans cette dynamique, A9 prévoit de leur proposer divers évènements tels des concours, des marchés organisés spécialement pour la vente des récoltes en surplus, ceci pour dynamiser la motivation des adhérents.

Distribution de matériel de jardinage par l’association A9 © A9

Quels sont les premiers résultats ?

Rodolphe Gozegba De Bombémbé : Les familles bénéficiaires de nos kits ne cachent pas leur satisfaction, sont fières de nous montrer leurs récoltes. Certaines d’entre elles arrivent même à vendre leur surplus, se créant ainsi un revenu complémentaire. A9 est contente de voir que tous ses bénéficiaires apprécient de pouvoir cultiver leur propre jardin, mais sont aussi séduits par l’originalité de l’action de A9.

A9 ne propose pas de l’assistanat, mais une prise de conscience et une responsabilisation des bénéficiaires. A9 donne des outils, à eux de travailler, à eux de faire fructifier. A9 donne la possibilité de retrouver sa dignité dans le travail. La RCA offre très très peu d’opportunités d’emploi, mais en cultivant leur lopin de terre, les familles peuvent vendre leur surplus et se créer une source de revenus.

Rodolphe Gozegba (à gauche sur la photo) au travail avec des membres de l’association A9 © A9

Quelles sont les suites envisagées ?

Rodolphe Gozegba De Bombémbé : Notons que le chemin est encore long et les défis sont nombreux. Au niveau national, il y a encore une longue liste d’attente de personnes prêtes à s’engager dans le jardin potager. Leur réel engagement nous poussent à continuer à nous battre pour eux. Nous avançons avec eux selon les fonds dont nous disposons. Au plan international, nous sommes sollicités par des personnes au Congo, au Burkina Faso, au Cameroun, au Tchad, au Cap-Vert pour venir implanter le projet de A9. En fait, ces personnes pensent que A9 est une grosse machine, mais malheureusement nous n’avons pas les moyens déjà pour la Centrafrique. Mais, nous sommes quand même encouragés de voir que nos actions sont appréciées dans la sous-région (pays d’Afrique centrale) et même dans certains pays d’Afrique de l’Ouest. Cela nous laisse à croire que les actions de A9 sont une des solutions aux problèmes de l’insécurité alimentaire sur le continent africain.




Centrafrique : l’étau de Bangui, appels religieux à la paix

Alors que l’ONU a mis en garde contre le risque de pénuries à Bangui, dont les groupes rebelles ont coupé les principales voies d’approvisionnement, des offensives gouvernementales ont permis de reprendre du terrain. Face à ces violences grandissantes dont la population est la principale victime, l’Église catholique a lancé un appel au dialogue. Dans ce pays où les structures sont détruites et les institutions défaillantes, les Églises représentent l’une des rares forces capables d’aider à reconstruire le vivre ensemble.

Patrouille de la Minusca (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République Centrafricaine) © DR

Face aux tentatives des groupes rebelles d’asphyxier Bangui, les forces armées centrafricaines (les Faca) s’efforcent de desserrer l’étau : en ce 25 janvier, le gouvernement a annoncé deux opérations qui auraient permis de reprendre le village de Boyali, à 90 km de la capitale, et surtout la ville de Boda, à 124 km. Le 17, c’était la ville de Bangassou, aux mains des rebelles depuis début janvier, qui avait été reprise sans combats. Ce passage à l’offensive des troupes gouvernementales intervient après des attaques coordonnées lancées jusque dans Bangui même, qui avaient été repoussées à la mi-janvier. Depuis décembre, les rebelles de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) ont commencé à bloquer les trois principales routes permettant d’acheminer de l’approvisionnement dans la capitale.

Ces groupes, après avoir largement entravé les opérations de vote lors de la présidentielle, contestent désormais la réélection du président Touadéra, qui a obtenu 53,16% des voix mais au terme d’un scrutin où deux électeurs sur trois n’ont pu voter. Depuis le 21 janvier, l’ensemble du territoire est sous état d’urgence pour une durée de 15 jours. L’émissaire de l’ONU en Centrafrique, Mankeur Ndiaye, déplorant une «grande désertion» des forces de sécurité centrafricaines, a réclamé au Conseil de sécurité une «augmentation substantielle» du nombre de Casques bleus déployés dans le pays, et du matériel militaire. Mais d’autres renforts sont déjà présents sur place : désormais, aux 12.000 militaires de la force de maintien de la paix de la mission de l’ONU en Centrafrique (Minusca) présents depuis 2014, s’ajoutent des centaines de soldats rwandais et paramilitaires russes envoyés à la rescousse du président Touadéra.

Le rôle clé des Églises dans un pays ravagé

Le CPC présente une alliance improbable de groupes, dont certains se sont combattus ces dernières années. Parmi eux se trouvent des groupes armés du nord de la RCA qui composaient auparavant la Séléka – l’alliance qui a renversé le gouvernement de François Bozizé en 2013, déclenchant des années de conflit. Il comprend également des milices anti-Balaka, que Bozizé est soupçonné d’avoir contribué à mettre en place en 2013 pour combattre la Séléka. L’ex-président, qui a été empêché de se présenter aux urnes de décembre par la Cour constitutionnelle, fait actuellement l’objet d’une enquête du parquet pour avoir soutenu le CPC. Tous les groupes composant cette coalition se partagent de fait plus des deux-tiers du territoire, où ils contrôlent les très lucratives filières de l’or et des diamants, et rackettent la population. Des avantages bien plus importants que ceux que pouvait leur apporter l’accord de Khartoum, huitième tentative en date de trouver un chemin de stabilisation du pays, qui offrait pourtant à divers chefs de guerre des postes au sein du gouvernement. Et les ressources tirées des divers trafics pourraient aussi leur offrir les moyens, à terme, d’une attaque d’envergure sur Bangui.

Conséquence de cette hausse des violences, la situation des civils – dans un pays où une personne sur quatre était déjà déplacée à l’intérieur du pays ou vivant en tant que réfugiés à l’étranger – s’est encore aggravée. Et à Bangui, jusqu’alors relativement épargnée, les étals des marchés sont à moitié vides. Le prix des marchandises a grimpé en flèche alors que des centaines de camions restaient bloqués dans la ville frontalière camerounaise de Garoua Boulai – incapables de traverser en raison de la présence rebelle le long de la route principale. L’ONU a mis en garde contre des pénuries de nourriture et de médicaments dans la capitale. En Centrafrique, deuxième pays le plus pauvre du monde, plus d’un tiers de la population (soit 1,9 million de personnes) est déjà confronté à un niveau élevé d’insécurité alimentaire, selon l’ONU.

«La misère du peuple centrafricain est indicible»

Pour maintenir le lien dans le pays, les Églises font partie des rares institutions à rester debout. C’est dans les Églises que beaucoup de familles fuyant les violences vont chercher refuge, comme tout récemment à Bouar, où elles ont accueilli des milliers de personnes qui ne savaient où dormir. Réunis en session plénière du 9 au 17 janvier, les évêques de Centrafrique ont publié un message appelant à la fin des violences, en soulignant : «La misère du peuple centrafricain est indicible.» Présentant ce message commun intitulé : «Lève-toi et marche», l’Abbé Cédric Rodrigue Kongbo Gbassinga, secrétaire général des évêques de Centrafrique, a souligné : «Nous appelons à un dialogue sincère et franc, fraternel et constructif pour trouver une paix juste et durable en repoussant la haine, la violence et l’esprit de vengeance.»

Au-delà de cet appel des évêques, les diverses religions présentes dans le pays ont tenté de jouer ces dernières années un rôle d’apaisement, notamment à travers la plateforme interreligieuse pour la paix (Interfaith Peace Platform), créée par l’archevêque de Bangui Dieudonné Nzapalainga, le pasteur et président de l’Alliance évangélique Nicolas Guérékoyamé-Gbangou (qui avait été reçu au Défap), ainsi que l’imam et président du Conseil islamique Oumar Kobine Layama, décédé en novembre dernier à 62 ans. Les Églises jouent aussi un rôle irremplaçable de soutien auprès des populations dans ce pays très majoritairement chrétien. Depuis des années, le Défap accompagne notamment l’Église protestante Christ-Roi de Centrafrique (EPCRC), membre de la Cevaa et présente dans la capitale (lire : Poursuivre l’accompagnement de l’Église à Bangui). Mais il est aussi en lien avec d’autres Églises présentes ailleurs sur le territoire centrafricain, comme l’Église Évangélique Luthérienne de République centrafricaine (EELRCA) ; des relations ponctuelles ont pu aussi s’établir avec d’autres partenaires, également engagés dans les efforts de paix et de reconstruction. C’est le cas par exemple des communautés baptistes, et notamment de l’UFEB (Union Fraternelle des Églises baptistes).




Une théologie de l’espérance et des recommencements

Rodolphe Gozegba, boursier du Défap originaire de République centrafricaine, a soutenu sa thèse de doctorat le 10 décembre 2020, à l’Institut protestant de théologie de Paris. Son travail portait sur le thème : «L’espérance et le Dieu crucifié. La réception de l’œuvre de Moltmann dans la théologie francophone». Rodolphe Gozegba a reçu le titre de docteur en théologie avec la mention «félicitations».

Rodolphe Gozegba-de-Bombémbé lors de sa soutenance de thèse de doctorat le 10 décembre 2020 à l’IPT © DR

«Toute fin est le début d’un recommencement». Cette idée force de l’œuvre de Jürgen Moltmann, Jürgen Moltmann lui-même en est l’un des premiers illustrateurs. Sa vie se présente comme une suite de fins et de recommencements. Né en 1926, issu d’un milieu protestant mais peu pratiquant à l’origine, rien ne le destinait à devenir l’un des plus importants théologiens réformés allemands du XXe siècle. Adolescent, il était plus attiré par les travaux d’Albert Einstein que par les thèmes bibliques. Mais son parcours devait connaître un infléchissement radical avec la montée du nazisme en Allemagne, qui l’obligea à intégrer les Jeunesses hitlériennes comme tous ceux de son âge, et par la Deuxième guerre mondiale, qui le vit incorporé dans l’armée allemande. Il se trouvait ainsi à Hambourg, sa ville natale, lorsque celle-ci fut soumise en juillet 1943 à des bombardements qui devaient tuer plus de 40.000 personnes. Prisonnier de guerre de 1945 à 1948, c’est dans un camp, en Belgique, qu’il commença à lire une bible que lui avait donnée un aumônier militaire. Le cri de Jésus «mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?» le toucha au plus profond de son être, lui qui jusqu’à présent n’était pas croyant. Il comprit que la mort de Jésus sur la croix, aussi horrible qu’elle fût, était bien une fin mais était surtout le commencement de quelque chose de nouveau. Retournant enfin chez lui en 1948, pour retrouver sa ville natale réduite en ruines par les bombardements américains, il devait dès lors commencer à réfléchir à une théologie de l’espérance adressée à ceux qu’il qualifiait dès lors de «survivants de sa génération».

«Un Dieu qui compatit à la douleur, et qui intervient»

C’est cette redécouverte du message biblique au plus profond du désespoir qui a précisément interpellé Rodolphe Gozegba-de-Bombémbé dans le parcours de Moltmann. Né en 1984 en République centrafricaine, il a été pasteur de l’Église évangélique Béthanie, à Bangui, de 2006 à 2013. Il a bénéficié d’une bourse du Défap pour étudier le dialogue des cultures et des religions à l’institut Al Mowafaqa, au Maroc. À partir de 2015, toujours avec l’aide du Défap, il a entamé des études à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris) pour y préparer un doctorat. Son sujet d’étude : la théologie de Moltmann, et plus précisément la façon dont elle a été reçue par les protestants francophones…

De gauche à droite : la rencontre entre Jürgen Moltmann et Rodolphe Gozegba-de-Bombémbé, début 2018 à l’IPT © Défap

«Jürgen Moltmann, souligne-t-il, a connu une vie de souffrance, il a connu les bombardements, la prison, il a perdu tous ses proches dans la guerre : et c’est dans ce contexte qu’il a expérimenté la Croix. J’ai aussi vécu la guerre en Centrafrique ; j’ai aussi été personnellement touché, ma famille a été durement frappée, mes amis proches ont été tués ; et même si je n’y vis pas actuellement, je ressens fortement qu’il y a en Centrafrique beaucoup de gens qui continuent d’y vivre des choses terribles, et qui ont vraiment besoin d’un message d’espérance. Or Moltmann, à travers tout ce qu’il a vécu, réussit à nous parler d’un Dieu non pas lointain, mais bien présent ; un Dieu qui compatit à la douleur et qui intervient, qui agit.»

L’intérêt de Rodolphe Gozegba-de-Bombémbé pour le parcours et la théologie de Jürgen Moltmann n’a ainsi fait que se renforcer avec l’aggravation de la crise centrafricaine : «Je l’avais déjà étudié quand j’étais en licence à la faculté de théologie évangélique de Bangui (la Fateb). Déjà à cette époque, Moltmann m’avait beaucoup intéressé. Mais quand est venu le moment de déposer mon sujet de doctorat, la situation de mon pays s’était tellement dégradée que je me suis demandé : en tant que théologien, y a-t-il un message d’espoir que je puisse porter ? Je me suis alors rendu compte que la théologie de Moltmann répondait aux besoins de tout ce que traversait mon pays.» Pour Rodolphe Gozegba-de-Bombémbé, le choix de son sujet de thèse a reflété ainsi bien plus qu’un choix académique. Les écrits de Jürgen Moltmann, souligne-t-il, «m’ont «aidé» à surmonter mon désespoir, à trouver des «réponses» à mes interrogations. Les mots «aidé» et «réponses» ne sont pas anodins pour moi, car j’ai eu l’occasion d’en apprécier la portée. En effet, alors que j’étais fortement désespéré, les écrits de Moltmann ont été un réel soutien pour moi et m’ont permis de mieux comprendre ce qu’il me fallait endurer.»

 



Comprendre l’espérance selon le théologien Jürgen Moltmann : les éclairages de l’avocat et militant des droits humains Guy Aurenche (sur Campus Protestant)

Cet aspect très personnel et faisant écho à son propre parcours, Rodolphe Gozegba-de-Bombémbé n’a pas manqué de le rappeler lors de la soutenance de sa thèse de doctorat à l’Institut protestant de théologie de Paris, le 10 décembre 2020. Une présentation à l’issue de laquelle il a reçu le titre de docteur en théologie avec la mention «félicitations». Soulignant une nouvelle fois la «source immense de réconfort et de courage (…) que la théologie de Moltmann apportait à mes questionnements», il a détaillé l’avancée de ses réflexions : «Mon projet initial était d’entrer en dialogue avec l’œuvre de Moltmann pour en dégager les ressources théologiques requises pour faire face à des crises politiques, économiques et morales comme celles que la République centrafricaine a connues lors de la guerre civile. Ce projet demeure le mien, mais je vois aujourd’hui sa réalisation comme un objectif à long terme de ma recherche (…) L’objectif plus limité de ma thèse, que je conçois comme une phase préparatoire de ce projet à long terme, est d’examiner l’impact de la pensée de Moltmann sur la théologie contemporaine d’expression française.»

À travers ses travaux, Rodolphe Gozegba-de-Bombémbé espère ainsi contribuer à mieux faire connaître un théologien qui est, curieusement, mieux connu chez les catholiques et dans le monde anglo-saxon qu’au sein du monde protestant francophone. «Dans les milieux protestants, Moltmann est très critiqué, notamment chez les évangéliques, qui le classent parmi les théologiens libéraux. Il est vrai que sa théologie encourage une foi ouverte, une Église ouverte, qui ne soit pas introvertie… Une Église qui n’a pas peur de la rencontre et du dialogue.»




Violences post-électorales en Centrafrique

En République centrafricaine, l’annonce début janvier du résultat de l’élection présidentielle du 27 décembre, et de la réélection dès le premier tour de Faustin-Archange Touadéra, est intervenue dans un contexte de reprise des violences : les groupes rebelles qui contrôlent les deux tiers du territoire ont pris plusieurs villes et provoqué la fuite de dizaines de milliers de personnes. Dans ce pays où les structures sont détruites et les institutions défaillantes, les Églises représentent l’une des rares forces capables d’aider à reconstruire le vivre ensemble. Parmi celles dont le Défap soutient les actions figure ainsi l’Église protestante Christ-Roi de Centrafrique (EPCRC), membre de la Cevaa.

Patrouille de la Minusca (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République Centrafricaine) © DR

Le résultat du vote du 27 décembre a été annoncé le lundi 4 janvier par la commission électorale : Faustin-Archange Touadéra, président en exercice de la République centrafricaine (RCA) et candidat à sa propre succession, a été déclaré réélu dès le premier tour de la présidentielle, avec 53,92% des voix. Se détachant ainsi nettement parmi les 16 candidats qui briguaient la présidence en ordre dispersé, et au sein desquels l’ancien Premier ministre Anicet Georges Dologuélé n’arrivait deuxième qu’avec 21,01% des suffrages exprimés.

Mais ces résultats, qui doivent encore être validés officiellement par la Cour constitutionnelle, sont déjà rejetés par la coalition rebelle qui contrôle de fait plus des deux-tiers du territoire ; les opérations de vote se sont ainsi déroulées dans un pays en proie à une nouvelle offensive de ces groupes armés qui avaient juré de «prendre le contrôle de tout le territoire». Au cours des dernières semaines, les forces rebelles ont pris une série de villes, y compris la ville du sud-est de Bangassou. La capitale, Bangui, reste sous la protection des Forces armées centrafricaines (FACA) – renforcées par des militaires russes et des troupes rwandaises – et des soldats de la paix de l’ONU.

Des élections largement perturbées

Faustin-Archange Touadéra voulait initialement retarder le scrutin présidentiel en raison de la pandémie de Covid-19, mais en a été empêché par la cour constitutionnelle. Plusieurs candidats de l’opposition ont exploité le mécontentement populaire à l’égard de l’accord de paix de Khartoum (le treizième accord de paix en Centrafrique), qui a accordé aux chefs rebelles des postes au gouvernement, malgré les crimes de guerre commis depuis le début de la guerre civile en 2013. Facteur aggravant les tensions, parmi les candidats ayant postulé à la présidence le 27 décembre, figurait l’ancien dirigeant François Bozizé, rentré en RCA fin 2019 après six ans d’exil. Sa candidature a été invalidée par la Cour constitutionnelle peu avant l’offensive rebelle, et Faustin-Archange Touadéra l’a aussitôt accusé d’être derrière cette «tentative de coup d’État». Conséquence : près de deux ans après la signature de l’accord de Khartoum, le niveau de violence à travers le pays n’a absolument pas diminué, comme le souligne Hans De Marie Heungoup, analyste pour l’Afrique centrale à l’International Crisis Group.

Des milliers de personnes ont été empêchées de voter ou privées de leur carte d’électeur, jamais arrivée en raison de l’insécurité. Dans d’autres régions, le vote n’aurait tout simplement pas pu avoir lieu car des centaines de bureaux n’ont pas ouvert. Selon l’Autorité nationale des élections (ANE), sur 1,8 million d’électeurs enregistrés avant le scrutin, seulement 700.000 Centrafricains se seraient rendus aux urnes. Nombre d’électeurs auraient vu par ailleurs leur bulletin de vote détruit. L’opposition a dénoncé des «fraudes massives» – ce qu’ont fait également de nombreux observateurs étrangers.

Les Églises, artisans de paix

Avec la reprise de ces violences, le HCR, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, estime que 185.000 personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays depuis le 15 décembre, tandis que plus de 30.000 Centrafricains ont fui vers les pays voisins. Mais avant même cette nouvelle offensive des groupes rebelles, la RCA faisait face à l’une des plus graves urgences humanitaires au monde: un Centrafricain sur quatre – quelque 1,2 million de personnes – était déjà déplacé par les années de conflit. Dans de nombreuses régions, l’accès des agences d’aide est difficile et la malnutrition est en hausse car de nombreuses communautés reçoivent peu d’assistance.

Dans ce pays où les structures collectives sont détruites et les institutions défaillantes, les Églises représentent l’une des rares forces capables d’aider à reconstruire le vivre ensemble. Elles jouent un rôle irremplaçable auprès de la population, aident à panser les plaies de la guerre et plaident pour l’apaisement. Au cours des dernières années, le Défap a tout particulièrement accompagné l’Église protestante Christ-Roi de Centrafrique (EPCRC), membre de la Cevaa et présente dans la capitale (lire : Poursuivre l’accompagnement de l’Église à Bangui). Parmi ses projets en cours figure ainsi le financement du forage d’un puits à Morija, où a été construite une école. Mais il est aussi en lien avec d’autres Églises qui interviennent dans d’autres régions, dans des conditions tout aussi difficiles et qui ont les mêmes besoins ; c’est notamment le cas de l’Église Évangélique Luthérienne de République centrafricaine (EELRCA), qui compte près de 120.000 membres dont 84 pasteurs, et œuvre principalement dans l’ouest du pays, région déshéritée et instable. Des relations ponctuelles ont pu aussi s’établir avec d’autres partenaires, également engagés dans les efforts de paix et de reconstruction. C’est le cas par exemple des communautés baptistes, et notamment de l’UFEB (Union Fraternelle des Églises baptistes).




Tragique disparition du Dr Antoinette Yindjara

Le Défap s’associe à la douleur de la famille du Dr Antoinette Yindjara, tragiquement disparue le 5 septembre lors d’un accident de la circulation alors qu’elle rentrait en RCA. Membre de l’Église Évangélique Luthérienne de République centrafricaine et proche partenaire du Défap, elle était l’une des trois femmes pasteures ordonnées par cette Église et dirigeait l’école de théologie de Baboua.

La pasteure Antoinette Beanzoui Yindjara © archives

Le Défap a appris avec consternation le décès de la pasteure Antoinette Beanzoui Yindjara, survenu le 5 septembre 2019, et s’associe à la douleur de ses proches. Elle a été victime d’un accident de la circulation entre Garoua-Boulai (Cameroun) et Bouar (RCA), alors qu’elle rentrait en bus en République centrafricaine.

Antoinette Beanzoui Yindjara était l’une des trois femmes pasteures ordonnées par l’EELRCA (l’Église Évangélique Luthérienne de République centrafricaine), et elle dirigeait l’école de théologie de Baboua, non loin de la frontière camerounaise. L’EELRCA est l’une des deux Églises avec lesquelles le Défap est en lien dans ce pays, avec l’EPCR (l’Église Protestante Christ-Roi de Centrafrique). Toutes deux travaillent, chacune à sa manière, à la réconciliation de la République centrafricaine, et à reconstruire un vivre-ensemble mis à mal par des années de guerre civile ; mais alors que l’EPCRC est surtout présente à Bangui, l’EELRCA est davantage présente dans l’Ouest du pays, non loin des frontières du Tchad et du Cameroun.

L’Église Évangélique Luthérienne de République centrafricaine, en deuil, a annoncé la nouvelle du «décès tragique de la Révérende Docteur Antoinette Yindjara Beanzoui». L’UPAC (Université Protestante d’Afrique Centrale, présente à Yaoundé) a également adressé à l’Église et à la famille de la défunte ses sincères condoléances.

L’accident qui a emporté la pasteure Antoinette Beanzoui Yindjara a eu lieu sur le trajet de retour d’une visite aux partenaires allemands de son Église. Elle venait de participer à la première Université d’été de l’œuvre missionnaire de Hermannsburg sur le genre. Hannah Rose, consultante de l’ELM (Evangelisch-lutherische Missionswerk in Niedersachsen) pour la coopération œcuménique avec l’Afrique centrale, a rendu hommage à une «femme forte et courageuse», tout en communiant par la prière avec la douleur de ses proches.

La levée du corps a eu lieu le jeudi 5 septembre à 14h à l’hôpital Militaire d’Ekounou / Yaoundé ; elle a été suivie du départ de la défunte pour la République centrafricaine.




Centrafrique : «Travailler comme artisans de paix»

Si on ne parle plus officiellement de guerre, les violences perdurent en République centrafricaine, comme a pu en témoigner, en novembre 2018, le drame d’Alindao. La situation reste instable, les risques de dérapage permanents, et les besoins immenses. Comment les Églises participent-elles à réinventer un vivre-ensemble dans ce pays meurtri ? Entretien avec le pasteur Maurice Gazayeke, président de l’UFEB (Union Fraternelle des Églises baptistes), qui a été reçu au Défap au cours du mois de juin 2019.
Carte de la République centrafricaine

 

On ne parle plus de guerre civile en République centrafricaine. Et pourtant, les troubles perdurent, dans un pays qui reste profondément marqué et où tout est, encore aujourd’hui, à reconstruire. Si la situation est relativement calme à Bangui, la capitale, les provinces restent instables et leurs populations, menacées par de toujours possibles éruptions de violences. En 2016, les élections ont apporté un espoir de tourner la page des années de guerre. Pour la première fois de son histoire, la RCA avait enfin un président (l’ancien Premier ministre Faustin-Archange Touadéra) et un parlement démocratiquement élus. Mais des régions entières sont restées de fait sous le contrôle de milices faisant régner la terreur ou monnayant leur «protection». Des groupes armés avec lequel le gouvernement a bien dû négocier, jusqu’à signer en février 2019 un accord avec quatorze d’entre eux : l’accord de Khartoum, treizième accord de paix qu’ait connu la République centrafricaine depuis 2007, qui devait permettre d’apporter un apaisement en intégrant les principaux chefs de guerre à la vie politique centrafricaine. Dans les faits, la situation reste si difficile que le Conseil de sécurité a renouvelé, jusqu’au 15 novembre 2019, le mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (Minusca), tout en le renforçant. Les violations des droits humains sont quotidiennes, plus des trois-quarts des habitants du pays sont toujours en situation d’extrême pauvreté et la RCA est à la toute dernière place de l’indice du développement humain, au 188ème rang sur 188 pays.

Dans un pays où les structures collectives sont détruites et les institutions défaillantes, les Églises représentent l’une des rares forces capables d’aider à reconstruire le vivre ensemble. Elles jouent un rôle d’accompagnement irremplaçable auprès de la population, aident à panser les plaies de la guerre et plaident pour l’apaisement. Le Défap est directement en lien avec deux d’entre elles : l’Église Protestante Christ-Roi de Centrafrique, basée à Bangui, et l’Église Évangélique Luthérienne de République centrafricaine, présente principalement dans l’ouest du pays, région déshéritée et instable. Mais des relations ponctuelles peuvent s’établir avec d’autres partenaires, également engagés dans les efforts de paix et de reconstruction. C’est le cas des communautés baptistes, et notamment de l’UFEB (Union Fraternelle des Églises baptistes), dont le président, le pasteur Maurice Gazayeke, a été reçu au Défap au cours du mois de juin 2019.

Le pasteur Maurice Gazayeke © Défap

 

Quelle est aujourd’hui la situation en République centrafricaine ?

Pasteur Maurice Gazayeke : Le gouvernement continue à tendre la main à ceux qui ont pris les armes, en les exhortant à cesser les hostilités. Depuis l’accord de Khartoum, on sent un changement positif à Bangui et dans les villes environnantes ; mais il y a toujours des difficultés dans les régions, des massacres inopinés perpétrés par des groupes rebelles… Il y a des coupures de route : celle qui va de Bangui au Cameroun a ainsi été bloquée, pour empêcher le ravitaillement de la ville ; les fautifs ont été écartés ; mais on craint toujours les violences qui peuvent survenir de façon imprévisible. Partout dans l’arrière-pays, les groupes armés se sont solidement établis : en dépit de la Minusca, ils ont pris le pouvoir de certaines régions et ne veulent pas le laisser. En outre les chefs rebelles semblent n’avoir pas toujours un entier contrôle de tous leurs éléments, qui peuvent se comporter comme des bourreaux de la population. Ce qui continue à attiser les craintes de violences interconfessionnelles : quand des groupes rebelles sont majoritairement des musulmans, les Églises ont fort à faire pour éviter les représailles de la part de la population contre des musulmans… Alors qu’à la base, le problème est politique, non confessionnel.

Que vit la population au quotidien ?

Les gens sont en insécurité permanente. Les villageois craignent d’aller dans leurs champs, d’aller à la pêche, ou à la chasse : ils risquent à tout moment de rencontrer des éléments rebelles et de se faire tuer. Et la population civile a souvent l’impression d’être abandonnée à elle-même en cas de violences, alors que les forces de la Minusca sont là théoriquement pour les protéger. Personne n’a oublié le drame d’Alindao, en novembre 2018, lorsque des groupes armés ont massacré des dizaines de personnes dans un camp pourtant placé sous la protection de la Minusca. Le contingent de la force internationale avait été prévenu des préparatifs de cette attaque, et n’a rien fait pour s’y opposer ; au contraire, les hommes de la Minusca se sont retirés sans un coup de feu. L’Onu a dû ouvrir une enquête internationale, et l’image de la Minusca, déjà mauvaise aux yeux de l’opinion publique centrafricaine, s’est encore dégradée. De tels drames alimentent tous les soupçons, y compris ceux de connivence entre certains éléments des forces internationales et certains groupes rebelles. Mais en dépit de cette insécurité permanente, on progresse vers la paix, avec l’aide du Seigneur.

Que font les Églises pour aider à désamorcer ces violences ?

Les Églises baptistes ont toujours exhorté leurs fidèles à travailler comme artisans de paix. Mais elles ne le font pas seules : chaque dénomination travaille dans le sens de la cohésion sociale, en vue de la réconciliation de la population. Là où je vis à Bangui, dans le quatrième arrondissement, mon Église, celle de Ngoubagara, organise des grandes rencontres de prière, et y invite le gouvernement et le président de la République. Elle lance des appels notamment à travers l’AEC (l’Alliance des Évangéliques en Centrafrique), qui fait partie de la Plateforme des Confessions Religieuses de Centrafrique, laquelle regroupe des protestants, des catholiques et des musulmans pour faire du plaidoyer en faveur de la paix. L’une de ces grandes rencontres de prière en faveur de la réconciliation et de la paix a eu lieu juste avant mon départ pour la France, en présence des autorités politiques. De son côté, le gouvernement fait régulièrement appel non seulement aux partis politiques, mais aussi aux diverses confessions pour nouer des contacts et tenter de consolider la paix. À travers ces rencontres, à travers la Plateforme, les leaders religieux, au lieu d’agir en ordre dispersé pour le retour de la paix, plaident ainsi ensemble contre les violences interconfessionnelles. Ils s’efforcent de montrer, ensemble, que les bases du conflit ne sont pas religieuses. Les relations entre représentants religieux sont régulières : ainsi, quand les nouveaux leaders de l’AEC ont été élus, l’imam Kobine, qui fait partie de la Plateforme, avait été invité.

Ces appels sont-ils bien reçus au sein de la population ?

Les gens sont fatigués de toutes les violences. Ils aspirent avant tout à la paix. S’il y a des réticences chez les fidèles, ils ne les expriment pas dans l’Église. Quand on organise des chaînes de prière au niveau de l’AEC, toutes les Églises répondent de manière positive et les fidèles impliqués sont nombreux. Mais les rebelles, eux, ont beau signer des accords, ils ne les respectent pas toujours. Les Églises sont sincères dans leurs appels à la paix, mais se rendent bien compte que les rebelles jouent à une sorte de jeu de cache-cache…

Propos recueillis par Franck Lefebvre-Billiez