Le 2 décembre 2023, la paroisse des Batignolles accueille la fête en avant-première du centenaire du premier groupe scout protestant de Madagascar. Une forme de retour aux sources : cette paroisse était celle de Jean Beigbeder avant son départ pour Tananarive, où il devait fonder en 1924 le mouvement des Éclaireurs unionistes malgaches. Mais cette célébration sera aussi l’occasion de rencontres autour de Madagascar… et de retrouvailles pour nombre de familles, françaises comme malgaches, aujourd’hui installées en France, dont l’histoire a été directement marquée par l’aventure de la « Trive 1 ».
L’affiche de la célébration à Paris du centenaire du premier groupe scout protestant de Madagascar

 

 
Avant de devenir le fondateur du scoutisme unioniste à Madagascar en 1924, Jean Beigbeder avait déjà été l’une des premières figures du mouvement en France. C’est lui notamment qui, à Paris, avait créé dès 1912 la troupe de Clichy – troupe qui devait devenir Batignolles III en 1915. Et c’est à la paroisse de l’Église protestante unie des Batignolles que seront célébrés, le 2 décembre 2023, les cent ans du premier groupe scout protestant de Madagascar, la « Trive 1 ». Pendant que se préparent parallèlement sur la Grande Île les festivités du centenaire des Éclaireurs unionistes…

La « Trive 1 » : un groupe interculturel © Chrystel Raharijaona pour Défap

À Madagascar, de tels rendez-vous sont honorés avec faste. En 1964, la Poste malgache avait diffusé un timbre spécial à l’occasion du quarantième anniversaire. En 2004, lors de la cérémonie d’ouverture des 80 ans des scouts protestants organisée au Palais des sports et de la Culture, à Tananarive, le président de la République, qui était alors Marc Ravalomanana, leur avait promis deux cent millions de francs malgaches. Une enveloppe destinée à financer des projets de développement, répartie entre les principales composantes des scouts protestants, les « Tily eto Madagasikara » (les Éclaireurs) et les « Mpanazava eto Madagasikara » (les Éclaireuses), mais qui n’oubliait pas les scouts catholiques, les « Antilin’ny Madagasikara ». Il faut dire que les valeurs, ainsi que le rôle éducatif et social des scouts, bénéficient d’une excellente reconnaissance dans l’île. Le mouvement a contribué à préparer l’indépendance du pays. Lorsque Madagascar a connu de graves inondations en mars 1959, leur rôle dans l’assistance aux sinistrés leur a valu de recevoir une distinction honorifique de la part du président de la République, Philibert Tsiranana, pour leur « dévouement exceptionnel » et leur « abnégation totale devant le danger », leur action ayant « sauvé de nombreuses vies humaines ». Aujourd’hui encore, les « Tily » (les « sentinelles ») assument un rôle en faveur de « la promotion de l’engagement citoyen » et de « l’intégrité dans le processus démocratique » auprès de Transparency International Initiative Madagascar (TI-MG) ; ils ont signé une convention avec le Centre de Recherches et d’Appui pour les alternatives de Développement Océan Indien (CRAAD-OI) pour mieux comprendre et agir face au dérèglement climatique ; ils développent des projets en lien avec les ODD (les objectifs de développement durable des Nations unies)…

Membres de la « Trive 1 » © Chrystel Raharijaona pour Défap

La double culture de la « Trive 1 »

Si, historiquement, le mouvement scout catholique a été le premier créé dans l’île, devançant de quelques mois les scouts protestants, ces derniers ont connu un développement plus important. Lorsqu’il signa officiellement leur acte de naissance en 1924, Jean Beigbeder dirigeait à Tananarive le « Foyer », une section des Unions chrétiennes de jeunes gens (UCJG). Un lieu dont il devait bientôt chercher à faire un « espace franco-malgache », avec la possibilité pour des « jeunes » de différents âges, bridés dans leurs aspirations, d’accéder à la culture européenne, tout en participant à la valorisation de la leur propre. Cette recherche de la rencontre, palpable dans ses lettres de l’époque, donna aussi une coloration particulière à la « Trive 1 », le premier groupe scout protestant. Un groupe d’emblée marqué par « une double culture, avec des familles françaises et malgaches », souligne Chrystel Raharijaona, dont le père et avant lui, toute la famille paternelle a fait partie de la « Trive 1 » dès les années 30. Elle-même, engagée au sein des Éclaireuses et Éclaireurs Unionistes de France (EEUdF), évoque « les liens affectifs forts, et les amitiés qui se sont créées » à travers ce groupe, par-delà les frontières culturelles. Un aspect qui a persisté après la « malgachisation » du mouvement scout dans l’île : la « Trive 1 » restait un groupe particulier, multiculturel, où l’on parlait français, tout en cultivant l’engagement fort du groupe et de ses membres au sein du mouvement des Tily Eto Madagasikara et plus largement, en prenant part au développement de Madagascar.
 

Film ci-dessous : « Tily Malagasy (Sentinelles Malgaches) » par les Éclaireuses et Éclaireurs unionistes de France (1951) – Archives départementales du Val-de-Marne. Commentaire rédigé par Faranirina Rajaonah, lu par Helimamy Esoavelomandroso et Claire-Lise Lombard.

Lors de sa création, la « Trive 1 » était le reflet du milieu dans lequel évoluait Jean Beigbeder à Tananarive : on y trouvait notamment « des enfants de familles bourgeoises, intellectuelles ou influentes », témoigne Chrystel Raharijaona. Et c’est « cette génération qui a dû se tenir debout pour contribuer à la période post-indépendance ». Le but du scoutisme étant de « faire grandir des enfants pour qu’ils deviennent des adultes intégrés, responsables, tenant leur place dans la société et voulant laisser un monde meilleur », au fil des années, « les membres de la « Trive 1″ ont pris des responsabilités, ont été des constructeurs. Ils ont pris des rôles dans la diplomatie, la santé, le social, l’armée, l’enseignement, les Églises, les arts et la culture… » Avec toujours le souci de « faire le pont avec la culture française tout en cultivant l’identité malgache ». Certains sont aussi venus étudier puis s’installer en France, avec la même volonté de s’impliquer et de construire.

« Z’oeil de chouette », pont entre les Éclaireurs de France et de Madagascar

Célébrer le centenaire de la « Trive 1 » aux Batignolles, pendant que Madagascar va fêter le centenaire du scoutisme unioniste malgache, est donc plus qu’un retour aux sources. Cette paroisse était celle de Jean Beigbeder avant qu’il ne parte à Madagascar – et la figure de « Z’oeil de chouette » (son surnom chez les Éclaireurs), ou « Rabeigy » chez les Malgaches, devenu par la suite le premier président du Scoutisme Français, est encore aujourd’hui un pont entre les Éclaireurs des deux pays. La célébration sera d’ailleurs marquée par une conférence donnée par les auteures des « Lettres de Tananarive – Jean Beigbeder à son père » : Faranirina Rajaonah, professeure émérite d’histoire à l’Université Paris Diderot et membre du Cessma (Centre d’Études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques), et Claire-Lise Lombard, responsable de la bibliothèque du Défap, en particulier chargée de la valorisation des archives de la Société des missions évangéliques de Paris (1822-1971). Mais au-delà, cette célébration sera aussi l’occasion de retrouvailles pour plusieurs générations, françaises comme malgaches, qui ont été marquées par l’histoire de la « Trive 1 ». Une histoire qui a directement influé sur le parcours de familles venues de Madagascar pour s’établir en France : nombre d’anciens de la « Trive 1 » sont aujourd’hui « membres de l’EPUdF et s’y sentent chez eux. D’autres sont engagés dans les Églises protestantes malgaches en France, témoigne Chrystel Raharijaona. Ils sont devenus membres actifs, conseillers presbytéraux ou pasteurs, parce que leur histoire et leur éducation les poussaient à s’engager, là où ils sont. »

« Lettres de Tananarive » : retrouvez ci-dessous une interview des auteures pour « Madagascar Media »

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