La rédaction de ce rapport a donné lieu à des débats fournis au sein de l’équipe, tournant notamment autour de la question suivante : valait-il mieux, pour cette année « charnière » dans la période 2021-2025, présenter un rapport d’activité sous forme classique, mettant en avant l’activité par services… ou s’efforcer de le structurer en fonction des trois grands axes définis par le document stratégique « Convictions et Actions », à savoir : développer les liens avec les partenaires ; s’engager pour la justice, le respect de la création et la dignité humaine ; vivre l’interculturalité ? Le choix qui a été fait au bout du compte, c’est de privilégier une présentation classique : car le rapport d’activité a avant tout pour objet de permettre de montrer qui a fait quoi. Mais si le rapport garde une forme classique, la présentation faite en AG a été, pour sa part, organisée en fonction des axes prioritaires de « Convictions et Actions ».

1) Se diriger dans un monde en fragmentation

A) Tracer des lignes pour se repérer dans le monde

Il y a une tradition bien ancrée au sein de la Marine, tant militaire que marchande : celle du « baptême de la ligne » – le passage de l’Équateur. Si elle se réduit aujourd’hui souvent à quelques bizutages, elle a pu avoir par le passé son cérémonial bien établi. Les matelots qui n’avaient jamais changé d’hémisphère étaient convoqués devant Sa Majesté Neptune, rôle joué par un membre d’équipage grimé et déguisé. Afin d’être autorisés à pénétrer dans son royaume, les néophytes devaient lui payer un tribut et passer diverses épreuves. Ils étaient tour à tour enduits de graisse et de farine, harangués, copieusement aspergés d’eau de mer… Une fois lavés et blanchis, les baptisés devenus « chevaliers des mers » recevaient un certificat de passage.

L’Équateur n’existe pas. Et pourtant, cette ligne virtuelle inventée sur le globe terrestre a des traductions on ne peut plus concrètes. Pour ceux qui la passent… mais aussi pour tous les marins du monde, qui doivent se diriger sur des étendues d’océan loin de toute terre visible.

Les premiers navigateurs ont très tôt éprouvé le besoin de tracer des cartes pour mieux se représenter un monde qu’ils découvraient en le parcourant. Ératosthène de Cyrène, né en l’an 276 avant J-C, est considéré comme l’initiateur des premiers travaux géodésiques. Ptolémée, au IIe siècle ap. J-C, imagine de déterminer la position de lieux par des coordonnées, en « longueur » (longitude) et en « largeur » (latitude). Aujourd’hui, la plupart des pays du monde se réfèrent à l’un des 4 systèmes géodésiques les plus connus – comme le système WGS 84, associé au système de positionnement GPS.

B) Se fixer des lignes d’action

Tout comme ces tracés virtuels qui permettent de mieux se diriger, le Défap s’est doté depuis longtemps de lignes directrices pour orienter son action. Elles ne datent pas d’hier. Lors de la naissance du Défap en 1971, le contexte international était encore marqué par la décolonisation. La conviction était forte qu’un « rattrapage » par les pays du « Tiers-monde » était possible. Pour les Églises de France, il ne s’agissait plus d’aller « faire des chrétiens chez les autres » mais de porter ensemble une même mission. De construire des relations d’Église à Église fondées sur la réciprocité et le partenariat. Ce projet communautaire, le Défap s’est vu confier le rôle de lui donner vie.

Aujourd’hui, ces lignes directrices ont été mises à jour par le Défap dans son document « Convictions et Actions – 2021-2025 », qui est à la fois sa feuille de route et sa carte des opérations. Un travail de réactualisation nécessaire dans un monde de plus en plus mouvant. Non seulement le monde d’aujourd’hui n’est plus du tout celui que l’on connaissait dans les années 70, mais ses évolutions s’accélèrent. Avec des risques forts de repli dans des sociétés de plus en plus « bousculées » – risques qui n’épargnent pas les Églises. Les relations interculturelles sont partout présentes dans notre quotidien, sans entraîner nécessairement une meilleure compréhension entre les uns et les autres. Depuis ce document « Convictions et Actions », les grands mouvements du monde ont continué à poser de nouveaux défis à nos sociétés : suites de la pandémie de Covid-19, raidissement Est-Ouest autour de la guerre en Ukraine, avec des rapports de forces mondiaux qui se redéfinissent… Il est de plus en plus vital de savoir où l’on va.

2) Les priorités du programme 2021-2025 du Défap

A) Développer les liens avec les partenaires

 

À travers ses envoyés, ses projets, ses boursiers, le Défap entretient des relations avec près d’une trentaine de pays. Les envoyés « portés » représentent aussi une relation avec le milieu évangélique en France (soit une douzaine de partenaires ecclésiaux). Le Défap s’occupe également de l’envoi de pasteurs. Ce sont des partenariats qui tissent une toile dense, et qui sont entretenus et développés d’année en année. Certains sont noués avec de petites communautés, qui vivent leur foi dans un contexte minoritaire (Maroc, Tunisie, Djibouti…), quand d’autres concernent des Églises regroupant plusieurs millions de membres (Madagascar, République Démocratique du Congo, Cameroun…).

En France métropolitaine, à travers des cultes, des animations, des conférences, le Défap a assuré 36 interventions en 2022 pour sensibiliser à la mission et encourager les services à l’international. Il est également représenté lors des divers synodes de ses Églises fondatrices pour y rappeler l’importance de leur engagement dans la mission.

Le Défap n’agit pas seul, mais au sein d’un réseau, qui permet de démultiplier les effets des actions entreprises ; avec toutefois le risque que les actions du Défap perdent en visibilité auprès des Églises de France. D’où l’utilité de rappeler la place qu’il occupe dans ce réseau. Ainsi, quand la CLCF rend visite à des partenaires au Cameroun et soutient des bibliothèques de facultés de théologie par l’envoi de livres, elle le fait en partie grâce au Défap, qui a contribué à sa création et la soutient financièrement. Les réflexions sur le respect de la création et le projet de « compensation carbone » du Défap ne viennent pas de nulle part, mais du partenariat avec le Secaar, organisation au service du développement holistique, qui regroupe 19 Églises et organisations chrétiennes d’Afrique et d’Europe, et dont le Défap est membre fondateur. Dans ses activités à l’international, le Défap coordonne ses actions avec la Cevaa et DM, son homologue pour la Suisse romande : les trois Secrétariats se rencontrent chaque année pour débattre de leurs priorités et de leurs lieux d’engagement commun. Le Défap participe aussi aux Coordinations de la Cevaa.

Perspectives :

  • Développer les rencontres de témoins : envoyés du Défap de retour de mission, congés-recherches pendant leur séjour en France, enseignants ayant participé à des échanges avec des facultés de théologie…
B) S’engager pour la justice, le respect de la création et la dignité humaine

Parmi les trois grands axes de travail que s’est fixé le Défap dans son programme « Convictions et actions – 2021-2025 » figure la sauvegarde de la création : le Défap veut ainsi « s’engager pour la justice, le respect de la création et la dignité humaine ». Des préoccupations souvent intimement liées, et que résume bien le concept de « justice climatique », puisque les atteintes au climat se traduisent bien souvent par la perte de moyens de subsistance, par des destructions d’habitats, par des conditions de vie considérablement plus difficiles pour les habitants des pays les plus pauvres. Si le Défap est engagé depuis longtemps dans des projets en lien avec l’environnement, pour aller jusqu’au bout de la logique de solidarité, il se devait aussi de limiter les effets secondaires de ses propres activités ayant un impact sur le climat. En janvier 2022, le Conseil du Défap a décidé de formaliser ces engagements en se lançant dans une démarche de réduction de son empreinte écologique. Les objectifs affichés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont ambitieux : -40% d’ici 2030 (par rapport à l’année de référence, à savoir 2021) ; -50% d’ici 2040 et -60% à l’horizon 2050. Les émissions de gaz à effet de serre qui n’auront pu être évitées devront être « compensées ». Cela signifie que le Défap s’engage à soutenir des activités destinées à diminuer la production de gaz à effet de serre, dans une proportion équivalente à ce qu’il produit lui-même, de façon à parvenir à un bilan global égal à zéro : la neutralité carbone. Pour cela, le Défap propose de labelliser annuellement, en lien avec la Cevaa, des projets de « compensation carbone » pour les Églises membres et ses partenaires. Ainsi, pour compenser ses émissions de gaz à effet de serre de l’année 2022, c’est vers le Secaar qu’il s’est tourné. Prévu pour 2023, ce projet vise à promouvoir des foyers améliorés, afin de réduire la déforestation et l’utilisation de butane ; ce qui contribuera aussi à réduire les maladies respiratoires causées par l’inhalation de la fumée.

NB : Vivre la rencontre nécessitera toujours de se déplacer. Tout ne peut se vivre en « distanciel ». Des outils comme Zoom permettent de se concerter pour travailler sur des projets communs, mais s’ils sont utilisés à l’exclusion de toute rencontre physique, ils affaiblissent la relation. Le cœur d’activité du Défap implique donc qu’il continuera à produire des gaz à effet de serre – même de manière réduite ; d’où l’importance de les compenser.

Le Défap apporte aussi son soutien à des projets de transition écologique de ses Églises partenaires en Centrafrique, au Burundi, au Bénin, au Togo, à Djibouti, en Tunisie… Il manifeste sa solidarité avec les partenaires dans les domaines de l’éducation et de la santé par son soutien à Men a l’Espwa, programme de l’Église Protestante Réformée de la Guadeloupe ; par son soutien aux Écoles protestantes d’Haïti ; en aidant à fonctionner les hôpitaux de l’Église presbytérienne camerounaise ; en aidant à la formation d’enseignants à Madagascar… Le Défap apporte sa contribution au renforcement de la place des femmes dans les Églises et dans la société par des bourses pour des étudiantes ou par le soutien à des programmes de formation en République Démocratique du Congo ou au Cameroun ; il aide des femmes à surmonter la stigmatisation économique et sociale par des programmes sociaux et de microcrédits en RDC… Sur les thématiques de la justice et de la dignité humaine, toujours en RDC, le Défap aide à l’Éducation à la paix (avec l’Action Évangélique pour la Paix, créée par l’EEC) ; en Palestine/Israël, l’envoi d’observateurs œcuméniques (programme EAPPI) a repris en 2022 après deux ans d’arrêt : ce programme du COE (Conseil œcuménique des Églises) a pour mission d’accompagner les Palestiniens et les Israéliens dans leurs actions non violentes. Son suivi administratif est assuré en France par le Défap.

Perspectives :

  • Éducation, place des femmes, justice climatique : des réflexions à poursuivre pour accroître la cohérence des actions du Défap. Les effets les plus sévères du changement climatique apparaissent dans les pays du sud, au sein des populations les plus pauvres, les moins éduquées, les plus marginalisées parmi lesquelles les femmes sont sur-représentées.
  • Réduction des émissions de gaz à effet de serre : -40% d’ici 2030, -50% d’ici 2040, -60% d’ici 2050.
  • Démarche de labellisation du Défap sur les questions environnementales.
C) Vivre l’interculturalité

Le Défap envoie (des VSI, des services civiques, des pasteurs) et accueille (des congés-recherches). Il s’est aussi lancé dans le volontariat de réciprocité et a accueilli début 2023 ses premiers services civiques, issus d’Églises partenaires à l’étranger.

Le Défap entretient des liens depuis des années avec de nombreuses facultés de théologie d’Églises partenaires. Exemples 2022 : Maroc : soutien financier à l’Institut Al-Mowafaqa et financement de bourses. Madagascar : soutien à la SALT, la faculté de théologie de la FLM, l’Église luthérienne malgache.

Le Défap a soutenu en 2022 des envois et accueils courts d’enseignants en théologie : ceux d’Olivier Abel, Jean-Patrick Nkolo-Fanga et Sébastien Kalombo. Il a soutenu les travaux d’une vingtaine de boursiers : 9 doctorants venus du Cameroun, de Côte d’Ivoire, de République du Congo (Brazzaville), de République Démocratique du Congo (Kinshasa), de Madagascar, de Nouvelle-Calédonie, de Tahiti ; 11 post-doctorants, 5 venant du Cameroun, 3 de République Démocratique du Congo, 2 de République du Congo, 1 de Côte d’Ivoire.

L’EPUDF, l’UEPAL, l’EPUB (Église Protestante de Belgique) ont fait appel au Défap pour co-construire une formation pour les pasteurs étrangers arrivant en France et en Belgique. Deux sessions ont eu lieu les 10-12 octobre 2022 et 23-25 janvier 2023. Elles concernaient 16 pasteurs étrangers entrant dans le corps pastoral en Europe. L’étape prochaine serait de faire une formation pour les conseillers presbytéraux dans les paroisses qui accueillent des pasteurs venant de l’étranger. C’est dans cette même logique que le Défap est investi depuis longtemps dans l’accompagnement des formations CPLR. Après « Go to Togo », stage interculturel organisé en 2019 dans la ville togolaise de Kpalimé, le mois de juin 2022 a vu la deuxième partie de cet échange à Paris.

Le Défap, en partenariat avec l’EPUDF, a accueilli en janvier et février 2023 “Deviens un héros”, exposition interactive créée par les EUL (UEPAL) dans le but de sensibiliser les jeunes aux questions de racisme et de discrimination. Pour la première fois en janvier 2023, le Défap a participé aux « Nuits de la lecture » dont la thématique, centrée cette année sur « la peur », a été adaptée lors d’une soirée de lecture de textes issus de la bibliothèque et tournant autour de « la peur de l’autre ». Et en cette année 2023, le Défap accueille ses premiers volontaires, en service civique, issus d’Églises partenaires à l’étranger. Pour des missions au sein de l’association diaconale protestante Marhaban (entraide) à Marseille, et chez les Diaconesses de Strasbourg, pour de l’accompagnement de personnes âgées.

Perspectives :

  • Développer l’offre interculturelle à destination des paroisses (après les sessions d’accueil des pasteurs venus d’ailleurs, sessions de formation pour les conseillers presbytéraux)
  • Développer les échanges de réciprocité (les premiers services civiques de réciprocité du Défap sont accueillis en France cette année ; le dispositif s’est récemment élargi aux VSI)
  • Revisiter le projet Mosaïc en lien avec la FPF et autres partenaires

En guise de conclusion

Mission intérieure, mission extérieure: ici ou là-bas, c’est toujours la même mission. Cette volonté de porter la mission « du bout du banc au bout du monde » est depuis l’origine une caractéristique forte du Défap. Une vision d’autant plus pertinente aujourd’hui, alors que les Églises au Nord comme au Sud sont de plus en plus marquées par les relations interculturelles. Les Églises en croissance sont souvent des Églises transfrontalières, qui savent tirer parti des relations qu’elles entretiennent dans divers contextes, voire dans divers pays. Opposer mission au près et mission au loin, c’est risquer de succomber aux tentations de repli. Comme le rappelle le document « Convictions et Actions » : « Nous croyons que la diversité des cultures est une richesse de la création de Dieu. » Et « le Défap a pour cœur de métier de mettre en relation ».
 

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