Né en République centrafricaine et ayant fait ses études de théologie à la Fateb, la Faculté de théologie évangélique de Bangui, avant de devenir boursier du Défap, Rodolphe Gozegba est désormais engagé dans un projet visant à améliorer les conditions de vie de la capitale de son pays, Bangui. Une capitale fragile et qui a frôlé la famine : c’est à ce premier problème que s’est attaquée l’association qu’il a fondée, A9. Mais au-delà, les objectifs sont plus ambitieux et vont de la création d’un réseau d’assistance psycho-sociale à la sensibilisation de la population à la question de l’environnement, en passant par la promotion du vivre-ensemble. Des objectifs que Rodolphe Gozegba a eu l’occasion de détailler au micro de Marion Rouillard, dont il était était l’invité fin novembre pour l’émission « Courrier de mission – le Défap ».

Rodolphe Gozegba détaillant les projets de l’association A9 lors d’une visite en France © DR

En République centrafricaine, les maux sont multiples et s’enchevêtrent. Le pays voit se succéder les épisodes de guerre plus ou moins ouverte depuis son indépendance ; le dernier conflit en date, la troisième guerre civile centrafricaine, s’est développé au cours de l’année 2013. Il a vu s’opposer les milices de la Seleka, à majorité musulmanes et fidèles au président Djotodia, à des groupes d’auto-défense chrétiens et animistes, les anti-balaka, fidèles à l’ancien président François Bozizé. Une guerre qui s’est traduite par des exactions sans nombre contre les civils et qui a laissé le pays déchiré et détruit. Depuis lors, la situation politique est d’une extrême instabilité, entre un gouvernement qui peine à faire reconnaître son autorité hors des limites de la capitale et des groupes armés qui revendiquent une légitimité politique. L’Accord Politique pour la Paix et la Réconciliation (APPR-RCA), signé en février 2019 avec 14 groupes armés, continue de servir de feuille de route pour la recherche de la paix et de la stabilité à long terme, même après le retrait des groupes armés liés à la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) en décembre 2020. La MINUSCA, force de maintien de la paix de l’ONU composée de plus de 15 000 hommes, reste présente dans le pays depuis 2014. Conséquence de cette instabilité récurrente, la RCA se classe au bas des indices du capital humain et du développement humain, à la 188ème place sur 189. Or parallèlement, le pays est très fragile face aux effets du changement climatique et voit se multiplier les événements climatiques extrêmes : en 2019 par exemple, de fortes inondations à Bangui ont forcé des dizaines de milliers de personnes à quitter leur domicile. Pendant que la diminution des ressources en eau et en pâturages dans les régions du Sahel et du lac Tchad provoque l’arrivée de nombreux éleveurs avec leurs troupeaux, ce qui crée aussi des tensions entre agriculteurs et éleveurs.

Lorsqu’il est venu en France depuis Bangui pour poursuivre des recherches en bénéficiant d’une bourse du Défap, Rodolphe Gozegba-de-Bombémbé avait déjà fait plusieurs années d’études à la Fateb, la Faculté de théologie évangélique de Bangui ; en se plongeant dans la pensée de Jürgen Moltmann, il a rapidement fait un parallèle entre cette théologie de l’espérance et des recommencements, et sa quête d’un espoir face aux maux affligeant son pays. Après avoir soutenu sa thèse de doctorat le 10 décembre 2020 à l’Institut protestant de théologie de Paris, Rodolphe Gozegba s’est lancé dans un projet concret pour aider ses compatriotes à Bangui. « En tant que théologien, ayant travaillé sur la théologie de Moltmann, qui place l’humain au cœur de toutes préoccupations, j’ai approché certains amis, et nous avons créé A9 », explique-t-il aujourd’hui au micro de Marion Rouillard.

 

Entretien avec Rodolphe Gozegba sur l’association A9, émission présentée par Marion Rouillard

Courrier de Mission – le Défap
Émission du 23 novembre 2022 sur Fréquence Protestante

 

A9 : une association qui a pour but d’intervenir, non pas dans un seul domaine, mais de manière globale, face à tous les maux de la société centrafricaine. Et avec, dès l’origine, une sensibilité particulière à l’environnement, un aspect le plus souvent négligé dans un pays où la paix reste encore à construire. Parmi les facteurs qui ont le plus contribué à le pousser à créer cette structure, Rodolphe Gozegba cite « l’insécurité alimentaire, les effets du réchauffement climatique, les conséquences de la crise inter-communautaire de 2013 ». Sa toute première action aurait dû être la lutte contre les déchets plastiques, qui, explique Rodolphe Gozegba, « constituent une véritable menace pour la nature et pour la santé publique ». Mais au moment de lancer le projet, « il y a eu une attaque de la capitale par les rebelles, qui ont coupé les routes d’approvisionnement ; Bangui s’est retrouvée asphyxiée ; il fallait alors un plan d’urgence alimentaire. C’est ainsi que nous avons proposé le projet : Nourris ta ville en 90 jours ». Il s’agissait d’aider les habitants de la capitale à améliorer leur autonomie alimentaire, en cultivant de nombreuses parcelles inexploitées à Bangui. Un projet qui a reçu le soutien du Défap et de l’UEPAL, et qui a déjà donné sur place des résultats très encourageants.

Mais pourquoi ce nom : A9 ? Il s’agissait, pour Rodolphe Gozegba et la douzaine d’amis avec lesquels il a créé cette association, de faire référence à un symbole fort de la République centrafricaine en lien avec leurs préoccupations, notamment environnementales. « On s’était rendu compte que le seul article de la Constitution centrafricaine qui abordait les questions liées à l’environnement, c’était l’article 9. » Dès lors, le nom de l’association était tout trouvé : A9. Mais les fondateurs de la jeune association devaient bientôt s’apercevoir qu’en 2016, la présidente de transition, Catherine Samba-Panza, avait modifié la Constitution ; et que l’article 9 s’était alors retrouvé placé à la 11ème place… Or le nom de l’association était choisi, et « A11 » sonnait beaucoup moins bien que « A9 » … Rodolphe Gozegba et ses amis devaient alors se livrer à une relecture en profondeur de cet article pour en dégager neuf actions, lesquelles constituent désormais les axes du programme de travail de l’association :

  • l’agriculture urbaine et périurbaine
  • la sensibilisation de la population et des instances politiques à la question de l’environnement
  • la préservation de la nature
  • le reboisement de la ville
  • la promotion de l’égalité hommes-femmes en luttant contre les violences faites aux femmes
  • la cohésion sociale et la promotion du vivre-ensemble
  • la préservation de la nature : cours d’eau, sources et brousse
  • la création d’un système de collecte d’ordures et de recyclage
  • la promotion des soins de santé physique et sociale, la création d’un réseau d’assistance psycho-sociale, notamment pour faire face aux conséquences des traumatismes subis par la population après des années de guerre plus ou moins ouverte, plus ou moins larvée.

Après la création de jardins potagers à Bangui pour améliorer l’autonomie alimentaire des habitants, A9 a lancé en juin 2022 la deuxième action visant à participer activement au rétablissement de la cohésion sociale. Elle veut désormais lancer une formation d’éducation au dialogue interreligieux et interculturel, débouchant sur un Certificat de compétence en Dialogue interculturel et interreligieux. Les besoins sont immenses, mais les idées ne manquent pas ; les bonnes volontés non plus.

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