Après la violence des gangs et la corruption, après les hausses de prix de l’essence annoncées par un gouvernement désespérément en quête d’autonomie financière, et les manifestations qui ont suivi ; après les pénuries, les blocages de dépôts de carburant, les écoles et les hôpitaux fermés, voici le choléra. Et Haïti appelle à une aide extérieure. Mais ce dont le pays a besoin avant tout, c’est d’un soutien pour garantir une véritable indépendance.

Une commerçante haïtienne dans sa boutique – © maxpixel.net

Les plaies d’Égypte étaient au nombre de dix. Celles d’Haïti sont bien plus nombreuses, non pas d’origine divine, mais essentiellement causées par les hommes. La dernière en date, le choléra, n’est elle-même qu’une conséquence d’un blocage de plus en plus dramatique de la société et des institutions. Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021, le pays n’a plus de chef d’État, mais un gouvernement intérimaire dirigé par le Premier ministre Ariel Henry. Dans les faits, la rue est aux gangs, bien plus nombreux et mieux armés que la police, et les luttes entre groupes armés exacerbent les crises existantes, telles que la malnutrition et le manque de biens de première nécessité. Plus d’un million de personnes dans la capitale souffrent de la faim, l’eau se fait de plus en plus rare et récemment, les pénuries de carburant ont contraint les hôpitaux à fermer. Les premiers cas de choléra confirmés ont été signalés dans les bidonvilles de Cité Soleil et de Carrefour Feuilles – des zones contrôlées par les gangs et quasi-inaccessibles aux équipes médicales. Impuissant à rétablir un semblant d’ordre et de services essentiels, le gouvernement Henry a réclamé une aide internationale par une résolution prise en conseil des ministres le 6 octobre. Le 9, l’appel a été relayé par le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres.

Des hausses des prix des carburants de plus de 100%

À l’origine de l’aggravation actuelle de la crise haïtienne, il y a eu l’annonce, le 11 septembre par Ariel Henry, d’une hausse spectaculaire des prix du carburant. Il s’agissait pour le gouvernement de trouver des ressources financières qui lui font cruellement défaut, en mettant fin à des subventions aux produits pétroliers, en luttant contre le marché noir ; il s’agissait aussi de mieux contrôler les flux de marchandises qui bien souvent échappent aux droits de douane… Mais dans un contexte où beaucoup n’ont pas même assez pour se nourrir, l’annonce a dégénéré en manifestations et en violences, avec appels à la démission du Premier ministre – un mécontentement exploité et accru par les groupes armés, souvent soutenus par de puissants intérêts politiques et économiques hostiles à Ariel Henry : c’est ainsi qu’une puissante fédération de gangs connue sous le nom de G-9 a bloqué l’accès au terminal pétrolier de Varreux. Le blocus dure depuis un mois et les pénuries sont devenues catastrophiques. On ne trouve plus d’essence qu’au marché noir. Une situation assez similaire aux débuts de la crise qui avait lancé la contestation contre le président Jovenel Moïse : c’était en juillet 2018 et les manifestations avaient commencé après l’annonce d’une hausse de 40% du prix du carburant. Aujourd’hui, il s’agit d’une hausse de 100% ; et elle intervient après une hausse de 200% sur certains produits pétroliers comme le diesel en décembre dernier.

Les appels à une intervention internationale se sont multipliés bien avant la résolution du gouvernement Henry. Le président américain Joe Biden a évoqué la situation haïtienne le 21 septembre à la tribune des Nations unies, à l’occasion de la 77ème assemblée générale. Mais qui se soucie de donner à Haïti les moyens de prendre son destin en main ? Les promesses internationales de soutien financier pour renforcer la police haïtienne n’ont pas été honorées par ceux qui les ont faites – à l’exception notable du Canada. Et Haïti souffre déjà trop de sa dépendance à l’extérieur. Ce pays autrefois riche de ses ressources naturelles doit aujourd’hui importer toutes ses denrées de base. La corruption a encouragé la destruction de la couverture végétale – ce qui favorise aujourd’hui les coulées de boue lors des cyclones. Les précédentes interventions internationales ont été entourées de scandales : comme la gabegie qui a suivi le séisme de 2010. Port-au-Prince aurait dû renaître de ses ruines plus belle, plus solide ; mais depuis 2010, seuls les bâtiments publics comme la Cour de cassation ou le Ministère du tourisme ont été rénovés dans le respect des normes antisismiques. Sur les près de 9 milliards d’euros d’aides qui ont été débloqués par la communauté internationale pour venir en aide à Haïti, la majeure partie a été détournée. Et au moment où le choléra fait de nouveau des victimes, comment oublier que la précédente épidémie avait été provoquée par les casques bleus de l’ONU, qui avaient déversé des eaux usées contaminées dans une rivière ? Ces mêmes casques bleus qui avaient été accusés d’abus sexuels systématiques envers la population haïtienne… Ce n’est pas pour rien que l’on surnomme parfois Haïti « la République des ONG » ; mais ces ONG n’y sont pas moins perçues avec méfiance.

Aider nos partenaires haïtiens à agir et à porter leur témoignage

Depuis longtemps, ce sont les Églises qui tentent de pallier les carences de l’État en matière d’action sociale, d’éducation, de protection de l’environnement : autant d’actions cruciales pour Haïti où la profonde crise que traverse le pays frappe d’autant plus durement les plus fragiles. Et si Haïti est considérée comme « zone rouge » par le ministère français des Affaires étrangères, ce qui y limite les voyages aux seuls cas de nécessité absolue, c’est en soutenant ces institutions liées aux Églises qu’il est possible d’aider malgré tout. Les relations entre les protestantismes haïtien et français sont anciennes et solides. En témoigne l’existence de la Plateforme Haïti, mise en place par la Fédération protestante de France et dont la gestion administrative est assurée par le Défap, qui rassemble les acteurs du protestantisme français ayant des liens avec le protestantisme haïtien. Comme le soulignait il y a déjà plus d’un an le pasteur Philippe Verseils, « il faut aider nos partenaires haïtiens à survivre ». Il connaît bien à la fois Haïti et le Défap : il a travaillé une dizaine d’années au sein du Service Protestant de mission entre les années 90 et 2000, avant d’être envoyé du Défap en Haïti deux ans à partir de 2010.

Si les Églises seules ne peuvent résoudre les multiples plaies qui affligent Haïti, elles peuvent continuer à agir et à porter leur témoignage. C’était le sens de l’appel de Martin Luther King, dont on oublie souvent qu’il était un pasteur baptiste, lors de sa remise du prix Nobel de la paix, en 1964 : « Aujourd’hui, dans la nuit du monde et dans l’espérance, j’affirme ma foi dans l’avenir de l’humanité. Je refuse de croire que les circonstances actuelles rendent les hommes incapables de faire une terre meilleure. Je refuse de partager l’avis de ceux qui prétendent l’homme à ce point captif de la nuit, que l’aurore de la paix et de la fraternité ne pourra jamais devenir une réalité. Je crois que la vérité et l’amour, sans conditions, auront le dernier mot effectivement. La vie, même vaincue provisoirement, demeure toujours plus forte que la mort. Je crois fermement qu’il reste l’espoir d’un matin radieux, je crois que la bonté pacifique deviendra un jour la loi. Chaque homme pourra s’asseoir sous son figuier, dans sa vigne, et plus personne n’aura plus de raison d’avoir peur. »

 

Le Défap et la Plateforme Haïti
La Plateforme Haïti de la Fédération Protestante de France est actuellement présidée par le pasteur Rodrigue Valentin, de l’Église du Nazaréen, et sa coordination administrative est assurée par le Défap. La Plateforme rassemble les acteurs suivants :

image_pdfimage_print